Rupture avec l’isolement, entretien de l’autonomie, inclusion dans la société, accès au dispositif de droit commun, assurance de sécurité… Pour les personnes âgées ou en situation de handicap, les bénéfices de l’habitat inclusif – autrement appelé « habitat partagé » – sont nombreux. « Les deux grands modèles de prise en charge de la vulnérabilité existants sont parfois insatisfaisants pour les usagers et connaissent des limites. Par exemple, en établissement, il est courant de ne plus se sentir chez soi, alors qu’au domicile, l’isolement peut se faire sentir et génère d’autres pathologies », affirme Stéphane Corbin, directeur adjoint de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
Le recours au logement intergénérationnel ou à la collocation, fondé sur des critères définis par la loi, pourrait être une alternative. Il s’agit soit d’une colocation, soit d’un ensemble d’appartements autonomes comprenant des locaux communs affectés au projet de vie sociale.
A première vue, le principe est simple : trouver un équilibre entre sécurité et liberté au moyen d’un logement doté d’espaces et de services partagés. Diverses associations ou entreprises accompagnent déjà depuis longtemps ces projets. « Nous proposons de l’habitat intergénérationnel depuis 2007 et disposons d’une quinzaine de résidences », indique Philippe Chabasse, responsable de l’habitat inclusif pour Habitat et humanisme. Une mise en œuvre facilitée par la loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) du 23 novembre 2018, qui a initié un forfait pour l’habitat inclusif permettant de financer le projet de vie sociale et partagée, indissociable de ce type d’habitation.
Trouver des financements durables
Mais, en dépit de la mobilisation du législateur, de nombreux freins subsistent pour généraliser ce nouveau modèle d’habitat (voir l’interview de Denis Piveteau, page 12). A commencer par le financement. « Il n’y a pas de modèle unique d’habitat inclusif à l’heure actuelle, et pas de réel modèle économique. Il est donc difficile de trouver des financements pérennes. Le forfait pour l’habitat inclusif ne peut excéder trois ans. Cela n’est pas suffisant », explique Patty Manent, directrice du développement et de l’innovation de Vivre et devenir, qui gère de l’habitat partagé et des résidences accueil. Une piste, selon elle, serait de décloisonner le financement afin que les différents acteurs (agences régionales de santé, directions départementales de la cohésion sociale, conseils départementaux…) s’investissent sur les mêmes objectifs. « La prise de risque aussi doit être partagée entre les personnes vulnérables, les associations gestionnaires et les pouvoirs publics avec la mise en place de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens », souligne Patty Manent. Autre point d’achoppement : les disparités territoriales. « Les volontés politiques diffèrent mais, heureusement, il y a des “locomotives” », pointe Philippe Chabasse.
Des dysfonctionnements à relativiser au regard des avantages notables générés pour les usagers. « Il s’agit d’un juste équilibre entre l’habitat individuel, l’habitat chez un proche et l’hébergement. C’est probablement le concept de demain », assure Jean Ruch, codirigeant de l’association Familles solidaires, qui propose de l’habitat inclusif dans l’est de la France depuis 2013. « Entre la liberté de choix de logement et de service à la personne, la pair-émulation grâce au partage des problèmes, la lutte contre l’isolement, etc., les avantages du recours à l’habitat inclusif sont multiples pour les usagers », note-t-il. Sans compter que ceux-ci deviennent – ou redeviennent – décisionnaires. Une façon de reprendre du pouvoir sur sa vie et ses exigences. « C’est un enrichissement », souligne Stéphane Corbin.
L’habitat partagé modifie aussi le rapport entre la personne et les salariés qui interviennent pour l’accompagner. La mutualisation des aides (prestation de compensation du handicap, allocation personnalisée d’autonomie…) permet d’assurer la présence permanente d’un professionnel. « L’idée est vraiment de proposer un service sur-mesure en fonction de la dépendance. Le nombre d’heures peut aussi baisser », précise Patty Manent. Dans les collocations regroupant le même type de vulnérabilité (dépendance, handicap…), les intervenants peuvent être spécialisés et l’aménagement des espaces adaptés. « C’est très rassurant, notamment pour les aidants, car il n’y a pas de réponse universelle. La mutualisation génère de la qualité de vie. L’enjeu majeur est d’ailleurs l’évolution du service à la personne », indique Jean Ruch.
Le partage d’espaces oblige, en effet, les professionnels à un changement de posture. Les services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) pourraient d’ailleurs être plus efficaces, ne serait-ce qu’en réduisant les temps de déplacements des équipes. Le partage des bonnes pratiques se verrait également facilité. « Ce type d’habitat doit s’appuyer sur les Saad et les faire évoluer. Il est important qu’ils prennent ce virage. Il s’agit d’un changement de méthodes et d’organisation de leur offre », estime Stéphane Corbin.
Pour autant, tous les profils ne sont pas éligibles à l’habitat partagé. Il faut qu’ils disposent d’un minimum d’autonomie, qu’ils n’aient pas recours à des actes d’hospitalisation trop importants et qu’ils soient en capacité de vivre en adéquation avec d’autres personnes. Fondatrice et directrice de Colibree, un site Internet dédié à la cohabitation intergénérationnelle entre étudiants et retraités, Mélanie Slufcik déplore, quant à elle, « un manque de communication et des résistances liées aux clichés tels que le fait que les jeunes font la fête ».
Pour lever les obstacles, la personnalisation et la souplesse de la charte qui cadre l’adhésion des habitants est indispensable. D’autres critères s’imposent parfois. « Dans les cohabitations de personnes atteintes de problèmes psychiatriques, la condition sine qua non est l’engagement des habitants à avoir un projet de soins », indique Patty Manent. La vigilance des professionnels se porte également sur l’assurance d’une réelle inclusion par le retour à l’accès au droit commun pour tous, avec la réintégration d’une vie sociale à l’intérieur comme à l’extérieur du logement. « Les habitants doivent pouvoir profiter d’activités culturelles à proximité sans que cela ne nécessite un dispositif de déplacement particulier. L’accès aux transports en commun est donc important, pointe Stéphane Corbin. Il s’agit d’un projet dans lequel l’accompagnement à la vie sociale est aussi important que celui de l’habitat et de l’insertion. »
Pour faciliter l’inclusion des réfugiés, l’association Caracol leur propose des collocations avec des Français. Le principe ? Investir des bâtiments vides. L’encadrement juridique par la loi « Elan », qui intègre l’habitat intercalaire, a permis à l’association d’ouvrir deux collocations en Ile-de-France, une en Haute-Garonne et une en Vendée depuis le début 2019. « Les loyers sont plafonnés à 200 € et, pour les réfugiés, il s’agit d’insertion par l’hébergement durable. Le cadre juridique n’est pas encore connu et le modèle économique encore dépendant des subventions. Il faut que cela se démocratise », indique Simon Guibert, coordinateur pour Caracol.
Il est attribué à toute personne handicapée ou en perte d’autonomie qui répond à un cahier des charges national dont les modalités et les conditions de versement sont fixées par un décret de juin 2019. Ce forfait permet aux agences régionales de santé (ARS) de payer la personne morale chargée d’assurer le projet sélectionné dans le cadre d’un appel à candidature.