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Nicolas Duvoux : “l’Etat social français consiste à protéger les salariés stables” (sociologue)

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Nicolas Duvoux

Nicolas Duvous est professeur de sociologie à l’université Paris 8 et membre du Conseil national de lutte contre les exclusions et du comité d’évaluation de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté à France Stratégie.

Crédit photo Nicolas Duvoux
La protection sociale témoigne, selon Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à l’université Paris 8 et membre du Conseil national de lutte contre les exclusions et du comité d’évaluation de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté à France Stratégie, d’une hiérarchie des statuts des personnes. Pour réagir face à la crise sanitaire, il lui semble urgent de prendre des mesures préventives pour éviter que nombre de personnes basculent vers les minima sociaux. Mais aussi d’accompagner les autres de façon significative, y compris en revalorisant les prestations sociales.
Pendant cette crise, la solidarité nationale A-t-elle réellement joué ?

Oui, et très fortement. Des mesures puissantes et coûteuses ont été mises en œuvre, notamment pour financer l’activité partielle. Mais il est intéressant de regarder comment cette solidarité a fonctionné. La réaction des pouvoirs publics face à la crise s’inscrit dans le cadre de l’architecture de la protection sociale antérieure, laquelle protège inégalement les différentes catégories de la population. On a davantage soutenu, au travers de l’activité partielle, ceux qui occupent un emploi stable. Les indépendants ont, de leur côté, fait l’objet d’un soutien moins généreux, de type forfaitaire. Quant aux allocataires des minima sociaux, aux jeunes, ils ont bénéficié de mesures d’urgence tardives et à un moindre niveau. Donc on ne peut pas dire que rien n’a été fait, mais les décisions prises reflètent le caractère dualisé de notre protection sociale.

De quelle dualité parlez-vous ?

Ceux qui sont inscrits de façon stable sur le marché du travail peuvent être protégés. Ceux qui ne le sont pas se retrouvent moins couverts. Les réponses apportées à la crise mettent en évidence cette ligne de fracture préexistante. La hiérarchie des statuts est devenue transparente. Cela signifie que l’on évalue différemment la gravité des situations. On estime que la perte brutale d’un emploi est beaucoup plus grave que ce que vit une personne déjà inscrite dans le système des minima sociaux. Le centre de gravité de l’Etat social français consiste à protéger les salariés stables. Il n’y a là rien de nouveau mais, comme sur de nombreux autres sujets (disparités territoriales, conditions de travail et d’emploi des travailleuses et travailleurs des métiers « exposés », conditions de logement), ces inégalités ont été rendues particulièrement visibles.

Mais ces minima sociaux existent.
 
Comment expliquer leur maintien ?
 
Le chômage de masse les impose. Mais l’aide qu’ils apportent est perçue comme moins valorisante et leur montant plus faible. Les fondements de notre système ont été ainsi pensés : la sécurité sociale n’a pas vocation à protéger tous les citoyens, mais ceux qui travaillent. Lorsqu’on est en plein emploi, la différence entre travailleurs et citoyens s’avère seulement théorique. C’est pour cela que les pères fondateurs de la sécurité sociale pouvaient envisager d’obtenir une forme d’universalité à travers un régime unifié. La multiplication des statuts après guerre avait déjà conduit à une réduction des ambitions initiales. Surtout, le chômage de masse a fait apparaître un écart entre nos institutions et la réalité sociale. Prenons la question des jeunes. On part du principe que leur famille les protège. Dans la réalité, on voit bien que cela ne fonctionne pas pour certaines catégories.

Vous semble-t-il urgent, dès lors, de refonder le contrat social ?

De fait, s’il n’y a pas dès maintenant de réaction forte, la suite est prévisible : des dizaines, peut-être des centaines de milliers de personnes risquent d’arriver au revenu de solidarité active. Déjà, de nouvelles personnes font appel à l’aide alimentaire. L’ordre de grandeur de la récession annoncée laisse penser que l’augmentation du nombre d’allocataires de minima sociaux se fera à deux chiffres. Bien sûr, la société française pourra vivre avec ça, elle est habituée à ce dualisme de la protection sociale. Mais on peut aussi penser que c’est le moment de faire autrement et, à tout le moins, d’anticiper les conséquences sociales les plus prévisibles de la crise.

Quelles sont vos préconisations ?

Je me place dans une perspective de réformisme modeste. Mais même l’ajustement de l’existant dans un agenda réformiste qui ne pointe que les questions d’absence de droits semble, aujourd’hui, largement hors d’atteinte. Il y a pourtant selon moi trois choses simples à faire. D’abord, travailler en amont, pour éviter que des personnes basculent vers les minima sociaux. Même s’il est absolument légitime que ceux-ci absorbent une partie des effets de la crise, si l’on n’anticipe pas, on aura les mêmes effets qu’après la crise de 2008, avec une augmentation en quelques années de 30 % des effectifs des allocataires du RSA. Ce n’est souhaitable ni pour les personnes concernées, ni pour la collectivité. On a su mettre en œuvre la prévention en matière sanitaire, il faut faire de même, et revoir par exemple les règles de l’assurance chômage. Il ne serait pas insensé d’empêcher une puissante vague de déclassements brutaux. Pour que cela bouge, il ne faudrait pas attendre l’an prochain et les reportages qui ne manqueront pas d’être publiés sur des personnes déclassées. La deuxième chose à faire consiste, puisqu’on ne parviendra pas complètement à éviter cette déferlante, à maintenir un socle de protection sociale qui soit un amortisseur. Il faut donc faire attention à ce point mal documenté du non-recours aux prestations sociales. Enfin, il est urgent de se préoccuper des jeunes. Parce que, pour eux, la garantie « jeune » est très en deçà des besoins.

Comptez-vous parmi ceux qui veulent voir le RSA ouvert aux 18-25 ans ?

Oui. Il n’est pas souhaitable que des droits soient différenciés en fonction d’une barrière d’âge. C’est une forme de discrimination. Et vu la gravité de la situation pour les jeunes en matière d’accès au marché de l’emploi, il est urgent qu’ils bénéficient du RSA.

Revenu de solidarité ACTIVE, projet de Revenu universel d’ACTIVITé… Les sigles soulignent le lien souhaité entre activité et minima social.
 
Que faut-il en penser ?

Pour un moindre décalage avec la réalité, mieux vaudrait parler de revenu universel d’accompagnement. L’activité, au sens d’un emploi, était déjà hors d’atteinte pour de nombreuses personnes, c’est encore plus le cas maintenant. C’est un message politique, de nature idéologique, qui peut exercer une très grande violence symbolique pour les professionnels et les usagers. Depuis le début du quinquennat, il y a « un » verrou : les minima sociaux pour les adultes valides qui ne travaillent pas n’ont pas été revalorisés. La prime d’activité, elle, l’a été, à la suite du mouvement des « gilets jaunes », ainsi que l’allocation aux adultes handicapés. Il faudrait franchir ce pas de la revalorisation des prestations pour ceux qui ne travaillent pas, dans le contexte actuel. Cela devient indispensable.

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