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Haro sur le fou

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Les salariés du CHU de Reims rendent hommage à leur collègue tuée la veille.

Crédit photo Francois Nascimbeni/AFP
Lundi 22 mai, une infirmière de 38 ans du CHU de Reims (Marne) a été tuée à l’arme blanche par un homme de 59 ans. L’homme avait un lourd passé psychiatrique et a déclaré vouloir s’en prendre aux « blouses blanches ». Advocacy France, une association d’usagers en santé mentale, voit surtout dans ce tragique fait divers le signe d’une société qui mise sur le tout sécuritaire. Quitte à en oublier le soin.

« Ce sont des faits extrêmement graves et nous tenons à témoigner de notre compassion à la famille des victimes. La presse insiste sur la nécessité de renforcer les “mesures de protection”, c’est-à-dire des mesures de privation de liberté pour les malades mentaux que nous préférons nommer “personnes en souffrance psychique”. Une fois encore, on crie haro sur le malade mental, amplifiant si besoin en était la “peur du fou”, de celui dont les actes inconsidérés mettent en péril tout un chacun, voir l’équilibre social. Le ministre de la Santé François Braun a lui-même affirmé vouloir “garantir encore plus de sécurité pour les soignants”.

Nous nous associons pleinement aux revendications des professionnels qui dénoncent les conditions déplorables dans lesquelles ils/elles travaillent dans le cadre d’une psychiatrie de plus en plus sacrifiée. Mais est-ce bien là une question de sécurité ? Il faut affirmer, ici, qu’il n’y a pas plus de danger dans un hôpital qu’en traversant la route. En mettant l’accent sur la sécurité, le ministre se dédouane de sa responsabilité à l’égard de la situation des personnes en souffrance psychique et des professionnels prenant soin d’eux. En mettant l’accent sur la sécurité, il s’en sert, une fois de plus, comme de boucs émissaires. Haro sur le fou.

« Patates chaudes »

Il est facile d’incriminer la perte de jugement d’une personne pour trouver une cause à l’acte criminel. Dans le cas présent, il s’agit d’un homme accusé de violence dans un Esat (établissement et service d'aide par le travail) et qui, pour cette raison, avait été hospitalisé en psychiatrie. Il en voulait, disait-il, aux “blouses blanches”. Notre association est saisie, depuis quelques temps, de nombreuses demandes d’aide et de conseil de familles de personnes exclues d’établissement médico-sociaux et internées en psychiatrie. L’hôpital est obligé de les recevoir mais refuse de les reprendre lorsque l’hospitalisation n’a plus de raison d’être. Il ne leur trouve aucune solution de sortie ; des “patates chaudes” dont personne ne veut assurer l’accueil. Si l’hôpital est en difficulté, ces personnes handicapées sans solution sont dans une situation carrément désespérante. L’assassin de cette infirmière était donc sorti de l’hôpital avec une obligation de soin. La loi du 5 juillet 2011 précise qu’une fois sorti, si le patient ne prend pas ses médicaments, il doit y retourner. Il se retrouve bien seul face à cette injonction, les rendez-vous en centre médico-psychologique étant généralement accordés des mois plus tard.

Nous n’exposons pas ces éléments pour excuser l’assassin ou pour minimiser son geste. Nous pensons que c’est un acte grave, qui doit être puni. Dans l’état actuel du fonctionnement des institutions, il y a de fortes chances pour qu’il soit déclaré irresponsable au titre de l’article 221.1 du code pénal, dans le cadre d’une procédure prévue par la loi du 25 février 2008 et qu’il finira ses jours enfermé dans un hôpital psychiatrique, aujourd’hui appelé par euphémisme “établissement public de santé mentale”. Il l’aura bien cherché. Le médecin-chef qui le recevra se gardera bien de décider un jour de sa sortie, car il redoutera les réactions qu’elle provoquerait. Quelles seront, alors, les ressources de réinsertion mobilisables pour cette personne ? On voit bien que la préoccupation essentielle ne sera pas le soin, sinon l’enfermement. On demandera à l’hôpital de jouer un rôle carcéral.

Punir ET soigner

C’est là justement que le bât blesse. Il ne s’agit pas d’avoir à choisir entre “punir” et “soigner”. Il s’agit de punir ET de soigner. Nous revendiquons l’application de la Convention des droits des personnes handicapées de l’ONU (CDPH-ONU), ratifiée par la France et notamment de son article 12 qui stipule : “1. Les Etats parties réaffirment que les personnes handicapées ont droit à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique. 2. Les Etats parties reconnaissent que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l'égalité avec les autres.” La capacité juridique est un droit, mais elle implique aussi des devoirs.

C’est ce qui s’appelle la responsabilité et non l’irresponsabilité. C’est ce qui définit la personne humaine, y compris les personnes handicapées et les personnes en souffrance psychique. Ce sont des personnes à part entière. Etre responsable, c’est être amené à répondre. Répondre par un “non-lieu” à un acte criminel ne peut que renforcer le sentiment d’irréalité chez une personne qui a déjà bien du mal à prendre en compte la réalité. Une peine de prison pour homicide, même à perpétuité, est une peine dont le juge ordonne la durée, à la différence de l’hospitalisation sous contrainte qui relève de la compétence du médecin… et de l’opinion publique.

Capacité juridique

La prison n’est-elle pas un milieu pathogène, préjudiciable à une personne psychiquement fragile ? Le nombre effarant des suicides en prison tend à le prouver. Nous avons réfléchi à cette question en nous appuyant encore sur la suite du fameux article 12 de la CDPH-ONU : “3. Les Etats parties prennent des mesures appropriées pour donner aux personnes handicapées accès à l'accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique.” Il s’agit de punir mais aussi de répondre à l’obligation sociale du soin à l’autre. Punir ET soigner. Non pas transformer l’hôpital en lieu de rétention (et nous sommes d’ailleurs effarés par la multiplication des hospitalisations sous contrainte par rapport aux hospitalisations en service libre) sinon de créer des lieux de soin dans les prisons. Et si la personne a encore besoin d’une hospitalisation à sa sortie de prison, il n’y aura aucune raison de la lui refuser.

Vous me direz que les prisons sont déjà surchargées, que c’est impossible de leur imposer cette nouvelle mission. Cet argument de l’impossibilité matérielle a été longtemps opposé à la judiciarisation de l’hospitalisation psychiatrique. Le Conseil constitutionnel a répondu que ce n’était pas un argument face à ce qui se devait dans le cadre de l’application des Droits de l’Homme et du citoyen, et la judiciarisation s’est mise en place. Pourquoi pas dans le cas de crimes et délits commis par des personnes en souffrance psychique ? »

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