La tension était palpable, mais les applaudissements finaux sincères. Accueilli à Angers le 15 novembre pour y clôturer les assises des départements de France, Michel Barnier en a profité pour jouer les démineurs face à plus d’un millier d’élus départementaux chauffés à blanc depuis le début de l’examen au Parlement d’un projet de budget pour 2025 qui prévoyait réduire leurs ressources de près de 2,2 milliards l’an prochain. « Je suis là pour vous dire que, tenant compte de votre situation très spécifique, nous allons réduire très significativement l'effort qui vous est demandé par le projet de loi de finances », a ainsi lancé celui qui fut lui-même, entre 1982 et 1989, aux manettes d’une collectivité territoriale, le département de la Savoie.
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« Réduire très significativement », donc, mais ni effacer l’ardoise – impossible dans le cadre d’un budget destiné à ramener à terme le déficit français en dessous de la barre des 5 % – ni même satisfaire à l’ensemble des revendications portées collectivement par les départements (une résolution unanime a été approuvée le 13 novembre dernier). Des revendications portant pêle-mêle sur une compensation par l’Etat de 50 % des montants versés par les collectivités au titre de la prestation de compensation du handicap (PCH) et de l’allocation personnalisée d'autonomie (APA), un nouvel abondement d’Etat de 163 millions à destination des 30 % de collectivités dont l’aiguille de la trésorerie vire dans le rouge ou l’exonération du prélèvement que compte leur imposer le gouvernement afin de financer un nouveau fonds de péréquation inter-départemental.
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Des engagements, mais peu de chiffrages
A la place, Michel Barnier s’est engagé sur une série de mesures qui devraient, ces prochains jours, faire leur apparition par voie d’amendements dans les deux textes budgétaires – PLF et PLFSS – sur lesquels planchent députés et sénateurs depuis quelques semaines. Y figurent notamment :
- Une promesse de réduction du taux de prélèvement (dont il appartiendra au Sénat de fixer le montant) prévu pour alimenter ce nouveau fonds de péréquation,
- L’annonce d’un relèvement de 0,5 % du plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) sur trois ans qui devrait permettre de dégager une « ressource potentielle » d’un milliard d’euros supplémentaire pour les départements sous réserve d’une reprise d’un marché du logement aujourd’hui à l’arrêt,
- La suppression du caractère rétroactif du taux de compensation de la TVA,
- Une hausse de 200 millions des concours de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) pour 2024 et 2025,
- L’étalement sur quatre ans, au lieu de trois, de la hausse des cotisations des employeurs territoriaux à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL).
Un dernier geste « qui représente un effort important pour les comptes sociaux puisqu’il va retarder le rétablissement de l’équilibre de ce régime de retraite » et devrait constituer la première étape d’un futur chantier visant à étendre le périmètre de cette caisse aux contractuels territoriaux.
Des engagements, mais peu de chiffrages. Et surtout, pour l’instant, des mesures dont la fixation demeure essentiellement à la main du Palais du Luxembourg. Une incertitude qui n’a pas échappé à François Sauvadet, président de la Côte d’Or et de l’assemblée des Départements de France. « Ces mesures doivent être suivies de traductions concrètes dans le PLF. Le véritable travail commence maintenant, au Parlement », indique-t-il, alors qu’en coulisses, tout en se félicitant du « bon sens » des annonces de Michel Barnier et de la reprise du dialogue entre Matignon et les collectivités locales, certains élus soulignent mezzo voce l’absence de garanties solides sur les promesses du Premier ministre et le caractère très temporaire des mesures annoncées…
Menaces sur le RSA à droite...
Parmi ces élus, ce sont surtout ceux de la droite et du centre qui ont exprimé le plus vivement leur mécontentement lors des assises. Ils menacent de suspendre, dès le 1er janvier prochain, le versement du montant du revenu de solidarité active (RSA) aux caisses d’allocations familiales dans leurs 71 territoires. Et par la même, de cesser la prise en charge des nouveaux mineurs non accompagnés (MNA), si le gouvernement ne lève pas le pied sur les ponctions budgétaires.
Patron du groupe des départements de droite, du centre et indépendants (DCI), Nicolas Lacroix, président de la Haute-Marne, a part ailleurs agité le spectre d’actions en justice des départements contre l’Etat « à chaque fois que l’une de ses décisions » impacterait les finances des collectivités sans leur accord. Dans le viseur, notamment, l’extension du Ségur de la santé dont l’élu haut-marnais a réclamé l’annulation malgré la signature, l’agrément et l’extension d’un accord entre les partenaires sociaux de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass) le 4 juin dernier.
... et actions spectaculaires à gauche
Du côté de la gauche, on entend aussi mettre la pression sur l’exécutif, mais pas au détriment des allocataires de prestations sociales. Les trente collectivités à majorité socialiste, écologistes ou apparentées ont choisi d’exprimer leurs protestations par des moyens plus spectaculaires. En Gironde, le président Jean-Luc Gleyze a ainsi annoncé son intention de déployer une immense bâche sur la façade de l’hôtel du département, afin d’interpeller les habitants sur les choix budgétaires imposés par l’Etat. Dans d’autres collectivités, les élus ont prévu de mettre symboliquement en vente des bâtiments publics sur des sites d’enchères comme Leboncoin ou eBay. Des gestes essentiellement symboliques, afin de sensibiliser l’opinion publique aux coupes financières prévues dans le budget 2025.
En parallèle, l'Uniopss (union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) reste prudente, espérant que ces mesures en faveur des départements bénéficieront bien aux structures associatives, aux évolutions salariales dans le secteur et au financement de la compensation destinée aux "Oubliés du Ségur" (accord du 4 juin 2024). Plus globalement, l'association qui regroupe 20 000 structures attend du gouvernement qu'il soit davantage à l'écoute des acteurs de terrain.