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Projet de loi relatif à l’enfance : « une occasion manquée » (Jean-Pierre Rosenczveig)

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Photo d'illustration

Jean-Pierre Rosenczveig, ancien magistrat et membre du Conseil national de la protection de l’enfance.

Crédit photo Jacques Demarthon / AFP
En juillet prochain, le « projet de loi relatif à l’enfance » sera examiné par l’Assemblée nationale. L’ex-président du tribunal pour enfants de Bobigny et membre du Conseil national de la protection de l’enfance analyse pour les ASH un texte qui, malgré « certains apports », est « décevant et très hétéroclite ». Et qui « passe à côté de problèmes majeurs ».

Actualités sociales hebdomadaires : Que pensez-vous du projet de loi sur l’enfance, actuellement en examen au Conseil d’Etat ?

J.-P. R. : C’est une grande déception. Tout d’abord, il n’est pas à la hauteur de son titre : en aucun cas il ne s’agit d’une « loi  sur l‘enfance », qui  s’attacherait, en reprenant l’existant et en lui donnant plus de cohérence, au statut de l’enfance, à ses droits et libertés d’où découlent ses responsabilités, et, bien sûr, aux différents dispositifs en appui de ces droits. Il concerne essentiellement le champ de la protection de l’enfance. Mais même dans ce domaine il n’embrasse pas l’ensemble du dispositif. Rien sur la mise à jour des responsabilités parentales alors que la famille est la première ligne de protection de l’enfant ; la prévention est invoquée sans que soit identifié ce que l’on entend prévenir – et, sur ce registre majeur, seule la PMI [protection maternelle et infantile] est abordée.

De plus, il est très hétéroclite – de l’interdiction du recours à l’accueil hôtelier à la gouvernance nationale, en passant par la prévention de la maltraitance institutionnelle. Et il affiche des perspectives et des ambitions – « assurer un socle commun de droits pour tous les enfants », « mieux protéger les enfants contre les violences » – dont on ne retrouve pas la tenue dans les dispositions adoptées. 

On passe donc à côté d’adaptations majeures dont on attendait la concrétisation depuis des années, comme l’identification des adultes en situation d’être en responsabilité sur les enfants, l’articulation de leurs pouvoirs ou la réécriture de l’autorité parentale au service des responsabilités. On ne résout pas non plus des problèmes essentiels comme la non-mise en œuvre de décisions judiciaires. En d’autres termes, on affiche plus que l’on apporte.

ASH : Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus dans ce texte ?

J.-P. R. : Les dispositions visant les enfants étrangers en France, qui ne s’attachent qu’aux fraudes sur l’identité de jeunes mis en cause pénalement, et celles qui montrent une méconnaissance profonde des réalités, du rôle du juge des enfants et de l’histoire même de la protection sociale.

La délégation de compétences du juge des enfants au service mandaté pour accueillir, dans l’article 1 , en est un exemple. Pour faciliter l’exercice de la prise en charge au quotidien – dont je ne nie pas la difficulté –, les parents pourraient être totalement privés de leur mot à dire sur l’orientation scolaire de leur enfant ou sur sa santé. Or c’est en travaillant ces situations-là, en travaillant sur le lien et l’attachement, que l’on est au cœur de la fonction sociale et que l’on peut aller progressivement soit vers une amélioration de la situation, soit vers le retrait d’autorité parentale, au terme d’un dispositif à six niveaux. Cette proposition marque ainsi la poursuite implicite d’une dynamique renonçant à mobiliser les compétences parentales, privant l’enfant de son droit à ne pas être séparé de ses parents.

ASH : Quelles avancées relevez-vous ?

J.-P. R. : Le texte contient des apports indéniables, comme le souci de limiter autant que possible l’hébergement hôtelier. Mais, là encore, il reste à la surface des choses car la question n’est pas tant la nature de l’hébergement que l’absence de suivi éducatif durant cette période.

En ce qui concerne le contrôle des antécédents graves, le projet demande une réactualisation régulière de la situation des personnes en poste. Mais sous quelle autorité et quel contrôle ?

Sur la lutte contre les maltraitances institutionnelles, le texte propose que chaque établissement de l’aide sociale formalise dans son projet sa politique de prévention et de lutte contre la maltraitance. Mais ceci n’offre aucune garantie : il faudrait plutôt mettre en place dans chaque structure une cellule en charge de ce sujet associant un acteur interne et une personne externe chargés de rendre compte et d’interpeller si besoin la direction de l’établissement.

ASH : Que pensez-vous de la réforme de la gouvernance de l’aide sociale à l’enfance telle qu’elle est définie par ce projet de loi ?

J.-P. R. : Comprenne qui pourra. L’objectif était de faciliter la gouvernance nationale et territoriale, et de créer une dynamique, des synergies. Au niveau national est proposée la création d’un groupement d’intérêt public (GIP) regroupant plusieurs organismes, mais son fonctionnement n’est pas précisé. Côté gouvernance territoriale, l’ODPE (Observatoire départemental de la protection de l’enfance) n’est pas refondé, comme on l’imaginait, en instance d’analyse des besoins locaux et de leurs spécificités, formulant des propositions pour aider l’ensemble des acteurs à  la décision.

De plus, de nombreuses questions ne sont pas abordées : l’Etat jouera-t-il enfin son rôle de garant de l’accès au droit ? Qui sera en charge, sous l’autorité du préfet, de veiller à décliner la politique nationale prévue dans les lois de décentralisation de 1982-1984 ? L'Etat assumera-t-il – au lieu de les négliger – les missions qui restent les siennes (la scolarité, la justice, la police, la psychiatrie) ?

On reste sur sa faim. En quoi ce dispositif contribuera-t-il concrètement sur le terrain à faire progresser le niveau de protection de l’enfance dans une dynamique nationale ? On ne sent pas de souffle nouveau.

 

Protection de l'enfance

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