La sono est installée, l’assistance est arrivée mais la scène demeure vide. Dans la salle de la Maison des jeunes et de la culture (MJC) de Bégard, dans les Côtes-d'Armor, l’heure n’est pas aux festivités mais à la mobilisation. Une centaine d’élus bretons et de directeurs d’Ehpad se sont donné rendez-vous jeudi dernier à l’appel du collectif Ehpad publics en résistance. « Il y a quelques mois, je pensais être le plus mauvais maire gestionnaire des Côtes-d’Armor jusqu’à ce que je découvre que je n’étais pas seul », explique en préambule Jean-Louis Even, le maire de La Roche-Jaudy, l’un des initiateurs de ce mouvement qui a peu à peu fait tache d’huile dans toute la Bretagne. Confrontés aux importantes difficultés financières et de recrutement de leurs Ehpad publics (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), les élus, présidents de leurs CCAS, sont à bout. Un à un, ils se lèvent, prennent le micro et détaillent leur situation catastrophique.
« Notre déficit programmé pour 2023 s’élève à 184 000 € alors qu’on était à l’équilibre l’année dernière. Que répondre à nos salariés qui attendent la future prime pouvoir d’achat ? », s’interroge Alain Sapin, le maire de Lanvollon. « On était à 312 000 € de déficit l’année dernière, celui de cette année fait froid dans le dos. On va friser les 570 000 € », poursuit Yves Dallet, le maire de Fréhel. « J’angoisse de ne pas pouvoir payer le personnel à la fin de l’année. En tant que maire, je suis fier de porter l’écharpe mais j’espère qu’elle ne finira pas par m’étrangler », s’émeut le maire du Méné, Gérard Daboudet.
Contraindre l’Etat à l’action
Selon une enquête de la Fédération hospitalière de France rendue publique en début d’année, 85 % des Ehpad publics prévoient d’être déficitaires, contre 45 % en 2019. Du jamais-vu. Déjà en équilibre clair, confrontés à de graves difficultés de recrutement, ils n’arrivent plus à faire face à l’explosion des factures énergétiques, au financement insuffisant des mesures salariales Ségur. Si bien qu’ils ont démarré une grève des factures l’été dernier dans l’espoir de se faire entendre. « La priorité, ce sont les salaires. On ne paye plus les factures d’électricité ni le loyer et même comme ça, on ne s’en sort pas », déplore François Le Marrec, maire de Belle-Isle-en-Terre dont l’Ehpad sera déficitaire de 310 000 € cette année.
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Une délégation d’élus du collectif a été reçue fin août par la ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé. Des fonds exceptionnels ont été débloqués mais tout cela reste insuffisant face à l’urgence. « Nous n’en sommes plus à tirer la sonnette d’alarme, il y a déjà le feu dans nos maisons », insiste Annie Guennou, la maire d’Hillion. Et pour contraindre l’Etat à l’action, les maires ont décidé de l’attaquer en justice pour carence fautive sur le financement des Ehpad et non-respect des obligations de soin.
Une vingtaine de communes ont d’ores et déjà annoncé qu’elles se joignaient à ce recours contentieux et participaient aux frais. Selon leur avocat Sophie Guillon-Coudray, « cette procédure sur le sujet du financement du grand âge est inédite ». Objectif : démontrer qu’au-delà de la situation inflationniste qui a entraîné dans le rouge les établissements, il y a un vrai problème structurel de financement qui nuit gravement au fonctionnement des structures, à la santé des résidents et au respect de leurs droits fondamentaux. Les aides d’urgence et crédits non reconductibles (CNR) ne suffisent plus. Les maires réclament des financements pérennes.
Les directeurs d’Ehpad saluent la démarche des maires
« Je suis vraiment lassé du rapport infantilisant imposé par nos financeurs. On a toujours l’impression de faire l’aumône », s’agace Philippe Le Goff, le maire de Guingamp. « Les vieux méritent mieux que des cacahouètes », ajoute son collègue de Ploumilliau. Selon le cabinet d’avocats Coudray, la procédure est aussi un moyen pour les édiles de se prémunir du risque que leur propre responsabilité soit engagée par les usagers, les familles ou même les agents. Dans la salle, plusieurs directeurs d’Ehpad saluent la mobilisation des maires.
Président de la Fnadepa des Côtes-d’Armor, Benoît Lubin explique que cela fait des années que les directeurs alertent sans être entendus : « Nous sommes allés au ministère, on nous a dit qu’on avait raison, qu’on allait faire une loi. Il y a eu des rapports mais ça ne bouge pas. » Jean-Louis Even en est persuadé, si le mouvement est parti des Côtes-d’Armor, il risque de s’étendre au reste de la France ainsi qu’aux Ehpad associatifs à but non lucratif, aux résidences autonomie, aux services d’aide à domicile. Le maire de la Roche-Jaudy ne peut se résoudre à voir disparaître son Ehpad public, au profit du secteur privé. Non, il ne les abandonnera pas « ses vieux ».