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La loi « grand âge et autonomie » ressuscitée par le coronavirus

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Annoncée en juin 2018 par Emmanuel Macron lui-même, la loi « grand âge et autonomie » a été maintes fois repoussée depuis. A tel point que les acteurs du secteur se désespéraient de la réelle conviction gouvernementale à la faire sortir de terre. Si la crise sanitaire en accentue l’importance, la loi ne doit pas se reposer sur les seules propositions d’avant pandémie car de nouvelles priorités sont apparues.

S’il est encore trop tôt pour faire un bilan, la crise engendrée par le Covid-19 a déjà livré de précieux enseignements. Cette crise sanitaire va modifier en profondeur le texte de la future loi « grand âge et autonomie ». C’est en tout cas la volonté affichée des acteurs du terrain. Et c’est ce que confirment les responsables politiques interrogés sur la question.

En juin 2018, Emmanuel Macron assurait qu’un texte serait rapidement présenté à l’Assemblée nationale. Pourtant, cette loi a maintes fois été repoussée depuis. Si de nombreux rapports (Libault, Fiat-Iborra, El Khomri, Dufeu Schubert, etc.) ont été rédigés, permettant de rendre compte de la fragilité actuelle du système, les professionnels du secteur commençaient à douter de la volonté gouvernementale. La pandémie et ses conséquences sur les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) comme sur le domicile ont permis de la remette sur le devant de la scène, de réaffirmer la nécessité d’une grande loi sur la perte d’autonomie. Le 26 mai, le Premier ministre Edouard Philippe l’a confirmée. C’est en tout cas ce que rapporte Monique Iborra, députée de Haute-Garonne (LREM) : « Avec d’autres parlementaires, nous avons eu une visioconférence avec le Premier ministre sur le sujet. Je lui ai demandé si la loi verrait bien le jour. Il a été catégorique : "Oui". La volonté politique de légiférer sur la loi “grand âge” est donc bien présente. C'était une intention, il faut que cela devienne une réalité. Il a été très clair là-dessus. Je n'ai pas de raison, a priori, de penser qu'il n'était pas sincère. »

Ce n’est pas le seul élément qui permet de penser que le gouvernement a enfin pris conscience de l’urgence de la situation. Ainsi, le lancement lundi 25 mai du « Ségur de la santé » est un autre signe positif en direction des acteurs du secteur. D’autant que le premier pilier consiste à « transformer les métiers et revaloriser ceux qui soignent ». Une requête de longue date des professionnels du grand âge. « C’est absolument nécessaire, confirme Monique Iborra, mais ça ne sera pas suffisant. La loi “grand âge et autonomie” doit inclure des revalorisations salariales mais elle doit être beaucoup plus large que cela. En effet, si l'on repart sur un texte qui ne concerne que les Ehpad, comme l'a fait le gouvernement antérieur en ne s'intéressant qu'au domicile, on sera à nouveau sur une partition de la réalité du grand âge et de la perte d'autonomie. Ce ne serait donc pas satisfaisant. » Un autre élément, et non des moindres, permet de penser que la future loi verra bien le jour : l’annonce le 20 mai par Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, de la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale, consacrée aux personnes âgées dépendantes.

« La crise a révélé la grande fragilité des personnes âgées à domicile »

« Avant la crise, notre ambition d'une grande loi, nos réflexions entre parlementaires, butaient sur le financement. Donc le fait de créer ce cinquième risque ouvre la voie à un financement pérenne. Ce n'est pas négligeable, se réjouit Annie Vidal, députée de la Seine-Maritime (LREM) et membre de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. En créant ce cinquième risque, on garantit que l'on aura une ligne de dépense pour financer le grand âge. A quelle hauteur ? C'est bien la question et c'est là tout l'enjeu de notre travail dans les semaines à venir. » La crise sanitaire qui frappe actuellement le pays a donc permis aux pouvoirs publics et aux politiques, de se rendre compte de l’urgence de légiférer. Cependant, le contenu ne doit pas être le même que celui envisagé avant l’apparition de la pandémie.

Alors que 92 % des victimes du coronavirus en France sont âgées de 65 ans ou plus, la crise sanitaire a mis en évidence, et même accentué, le manque crucial d'effectifs dans les établissements pour personnes âgées. « Mais, surtout, elle a révélé la grande fragilité des personnes âgées à domicile, estime Annie Vidal. Les Français ont compris combien ces personnes ont besoin d'un accompagnement de qualité. Nous nous en sommes rendus compte car certaines personnes âgées à domicile n'ont pas pu avoir les services à domicile dont elles bénéficiaient. Elles n'ont pas non plus bénéficié de certains soins de prévention comme la kinésithérapie. L'approche domiciliaire est donc plus que jamais nécessaire. La loi “grand âge et autonomie” va devoir en tenir compte. »  Et la députée d’ajouter : « Je pense qu'avant la crise, dans les différents rapports présentés, il n'y avait pas suffisamment d'avancées sur cet aspect. Or c'est un secteur qu'il est impératif de renforcer. En effet, sans un secteur du domicile solide, la personne âgée ne peut pas exprimer son choix de vie. Il faut qu'elle puisse choisir de rester chez elle ou d'aller dans une structure d'accueil. Encore faut-il que les conditions le permettent. Le choix d'un établissement par défaut, ce n'est pas satisfaisant. »

« Un vrai déficit sur la reconnaissance de la parole de la personne âgée »

« La crise nous confirme qu'il est dur de vivre chez soi tout seul », appuie Marie-Anne Montchamp, présidente du conseil de la Caisse nationale de  solidarité pour l’autonomie (CNSA). Celle qui fut secrétaire d’Etat chargée des solidarités et de la cohésion sociale sous la présidence de Nicolas Sarkozy estime dès lors que « l’une des priorités à venir est d’être capable de fabriquer collectivement le virage domiciliaire de la réponse aux personnes âgées pour faire face au vieillissement de la société française ». Préconisation de longue date du conseil de la CNSA, le virage domiciliaire consiste à dire que quel que soit le lieu où elle vit, quel que soit le territoire où elle vit, en établissement, chez elle, à Paris ou en province, la personne âgée est un citoyen à part entière, jusqu'au bout de sa vie. « Cette affirmation assez banale de la pleine et entière citoyenneté de la personne âgée s'impose à nous par la réponse domiciliaire. Celle-ci est là pour garantir que l'organisation de l'endroit où vit la personne âgée lui permet d’exprimer ses aspirations, sa volonté et ses choix », affirme encore Marie-Anne Montchamp.

Cette crise a donc permis une prise de conscience sur la nécessité de faire évoluer et de transformer le modèle. « En revanche, nous sommes encore dans des vieux schémas, déplore Audrey Dufeu Schubert, députée de Loire-Atlantique (LREM). C'est-à-dire que le regard demeure très corporatiste. Ce sont les professionnels de santé qui s'expriment sur les besoins et les désirs des personnes vieillissantes. En France, nous avons un vrai déficit sur la reconnaissance de la parole de la personne âgée. Il y a une rupture dans l'égalité des droits. Il y a des discriminations. Par exemple, les mesures de déconfinement prises dans les établissements se font essentiellement sur pouvoir de la direction. C'est assez inquiétant. » « Tout l'enjeu de la future loi “grand âge” est de laisser une place aux personnes concernées. Comme je le disais dans mon rapport (1), il faut leur donner les moyens d'exprimer leur citoyenneté et arrêter de penser pour elles mais plutôt avec elles. Si nous ne l'affirmons pas dans la loi et au travers de l'ensemble de nos politiques publiques, nous échouerons. Nous ne serons pas allés assez loin. Il faut que le vieillissement soit une priorité. Or, là-dessus, nous avons encore du travail », avertit-elle.

Des initiatives à faire perdurer

Si la future loi « grand âge et autonomie » doit évidemment aussi se pencher sur la question des Ehpad et d’une nouvelle gouvernance , elle doit surtout faire en sorte qu’il y ait une meilleure coopération entre tous les acteurs du grand âge. D’autant que des initiatives locales ont vu le jour aux quatre coins du territoire durant cette crise. « Nous avons vu des acteurs sortir complètement du schéma habituel en mettant en place de vraies coopérations, se réjouit Monique Iborra. Ils ne sont pas arrêtés aux simples protocoles. Cela a permis de faire rencontrer et agir en même temps les hôpitaux, les Ehpad, les services à domicile, la médecine de ville, les villes ou les intercommunalités et les départements. Notamment quand il a fallu trouver des réponses très rapides aux difficultés d’accès aux matériels de protection. Tout le monde s’est mobilisé en même temps alors qu'habituellement ils ne travaillent jamais ensemble. Ces initiatives doivent perdurer. »

Au-delà de tout ce qui est en train de se faire sur la question des métiers, des revalorisations, au-delà de la redéfinition des modèles de l'Ehpad, du domicile ou des secteurs associés, au-delà d’une nouvelle gouvernance, Annie Vidal estime qu’une loi « grand âge et autonomie » « ambitieuse », c'est une loi qui porte « une diversification de l'offre d'accompagnement, qui porte la promotion de la bientraitance de la personne fragilisée (par l'âge, la maladie, le handicap), qui permette une meilleure coordination entre les structures d'accueil, les services du domicile. Il faut enfin l'ouverture de nouveaux droits à la personne âgée : le droit de s'exprimer, le droit de dire, le droit de choisir et le droit de prendre des risques. Cela me semble être absolument fondamental. »


(1) Audrey Dufeu Schubert est l’auteure d’un rapport intitulé « Réussir la transition démographique et lutter contre l’âgisme », décembre 2019.

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