En 2014, sont lancés par les pouvoirs publics les travaux pour réformer les modalités de financement des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS). Cette démarche a été dénommée « Serafin-PH ». Dans la Bible, les séraphins sont des créatures spirituelles qui délivrent des messages divins ; dans le médico-social, Serafin annonce la fin des institutions.
Serafin, pourquoi ?
Les établissements et services médico-sociaux étaient financés jusqu'il y a peu de temps au moyen de prix de journée ou de dotations globales et négociés chaque année. A ce mode de financement, se substituent depuis relativement peu les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom), censés responsabiliser les organismes gestionnaires et amener de la souplesse dans le management et la gestion. Il serait plus juste de parler de contorsions gestionnaires et de risques financiers dès lors que les dépenses réelles sont supérieures aux dotations financières publiques. Parallèlement aux signatures de Cpom, une autre approche dite « Serafin » est mise à l'étude pour une application progressive à partir de 2025.
Les deux critiques portées au système actuel par les pouvoirs publics
- Les usagers ne seraient pas aujourd'hui « au centre du dispositif » ; on ne répondrait pas à leurs besoins individuels et les services spécialisés fonctionneraient pour eux-mêmes. Cette affirmation montre une grande méconnaissance du fonctionnement des ESMS. Depuis plus de 30 ans, officieusement d'abord, puis avec la loi du 2 janvier 2002, les usagers disposent de droits dans les établissements et services spécialisés : les contrats de séjour, la personnalisation des accompagnements, leurs droits et leurs devoirs, le droit au recours, la défense de leurs avis et propositions…
Les premières évaluations pratiquées avant 2017 ont montré la mobilisation massive des structures dans l'accompagnement à la fois collectif et individuel des usagers, ce à quoi les incitaient aussi les recommandations des bonnes pratiques professionnelles. Les insuffisances éventuelles pourraient donner lieu à un dialogue annuel entre les associations, les usagers et les pouvoirs publics, les outils existent pour cela. Mais qui veut tuer son chien…
- Les institutions et structures spécialisées seraient prédominantes et rigides ; elles étoufferaient les parcours inclusifs. Il s'agit d'affirmations sans fondement réel. Depuis les années 1990, les structures se sont ouvertes et diversifiées. La création des services (Sessad, SAVS, Samsah…) a été exponentielle alors que celle des établissements se tassait, offrant ainsi une pluralité et un équilibre toujours plus fort des réponses.
Par ailleurs, au regard des pays européens comparables, la France n'a pas un nombre élevé d'institutions ; 85 % des enfants, adolescents et adultes handicapés se trouvent dans le système ordinaire d'éducation, de scolarisation, d'emploi et de logement ; les structures spécialisées ne sont pas ségrégatives : elles permettent à un certain nombre de personnes, dont le handicap est le plus lourd, d'accéder aux droits fondamentaux.
La désinstitutionnalisation – notion mal digérée par Denis Piveteau, qui est prônée par son rapport « Zéro sans solution » – ne vise qu'à diminuer l'implication financière de la collectivité dans la prise en charge et l'accompagnement des handicaps en promouvant des solutions parcellaires. La contribution des familles serait renforcée, ce qui augmenterait encore leurs difficultés au quotidien et pendant de très nombreuses années. Peut-on alors, comme le font les pouvoirs publics, parler d'une prédominance des institutions alors que les listes d'attente s'allongent et que l'épuisement des aidants familiaux est patent ?
Serafin va dans le sens d'une restriction de la protection et de la solidarité collectives à l'égard des plus vulnérables : favoriser le « virage domiciliaire » et organiser des séjours de répit sont les maîtres-mots. Serafin ne financerait pas des « places » (en EMP, en MAS…) mais des « solutions » de bric et de broc, non pérennes et insécurisantes (ce sont les fameux « parcours ») pour les usagers et leurs familles.
Serafin, comment ?
Serafin s'inspire du financement des hôpitaux basé sur une tarification à l'activité (dite « T2A »), qui est établie selon une analyse statistique du coût moyen des pathologies traitées. Comment soutenir que la satisfaction des besoins des personnes handicapées et leur inclusion sociale s'obtiennent grâce à des prestations et à des consultations individuelles issues de prescriptions de type médical et à des accueils de courte durée ?
Une conception individualiste et rationaliste de l'autonomie qui, selon la chercheuse Marie Garrau, « prend insuffisamment en compte ses conditions relationnelles et sociales ». Comme l'écrit Robert Lafore, spécialiste de l'action sociale, la profonde mutation des formes institutionnelles en cours a pour effet le plus directement observable, de démanteler les organisations et les diluer dans les montages flous, peu compréhensibles et difficilement opératoires.
Serafin, encore ?
L'intention des pouvoirs publics est donc de généraliser de nouvelles réponses ciblées sur les supposés demandes et besoins individuels ; celles-ci seraient assurées par des services et des cabinets de droit commun, publics et privés. Il s'agit donc d'une entreprise de déstructuration et d'effacement des espaces collectifs de sociabilisation et d'apprentissage des habilités sociales qui existent jusque-là (comme les Esat, les EMP, les MAS…). Or, c'est parce qu'existent des appartenances collectives et des espaces où les sujets sont reconnus et actifs que se développe l'autonomie.
Pourtant, c'est Serafin, selon les vœux des pouvoirs publics, qui permettrait de financer, à l'encontre de toutes les connaissances et expériences acquises en la matière, des aides et des prestations présentées comme mobiles et inclusives (en quoi ?) par opposition au « collectif » qui serait l'apanage (bien sûr négatif et enfermant) des institutions.
« L'individu contre le collectif »
Serafin n'est pas un changement d'organisation budgétaire du médico-social ; il accompagne une autre logique de solidarité sociale dans laquelle, selon les mots de Robert Lafore, « l'individu est contre le collectif ».
Serafin a ainsi établi deux nomenclatures. L'une, pour un inventaire de besoins individuels, l'autre pour une liste de prestations censées y répondre. C'est, comme le soutient le psychanaliste Roland Gori, le présupposé « qu'un individu n'avait plus d'histoire, plus de singularité et qu'il n'était que la somme de ses comportements ».
Serafin accompagnerait financièrement la transformation des établissements et services en prestataires de consultations, de prestations et d'accueils limités dans le temps ; il favoriserait parallèlement le recours aux cabinets médicaux et paramédicaux, avec un éclatement mécanique des prises en charge. La sollicitation des milieux familiaux serait toujours plus forte.
Une logique d'aide minimale
Reviendra-t-on à un retour à domicile ou à un accompagnement mixte imposé : domicile + prestations + accueil ponctuel et aléatoire en institution ? Serafin s'inscrit dans une démarche d'aide minimale à la dépendance plutôt que dans la promotion des personnes.
Serafin exprime clairement une volonté publique de diminuer drastiquement les budgets consacrés aux handicaps ; la France pourrait aussi échapper, grâce à la logique « des solutions, pas des places », aux condamnations par les instances françaises et internationales pour le non-respect de ses responsabilités face aux handicaps.