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Sexualité en Ehpad, du tabou à l’accompagnement

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Laura Fernandes est directrice d’Ehpad depuis une quinzaine d'années. 

Crédit photo DR
[TRIBUNE] Les représentations sociales de la vieillesse, façonnées par des stéréotypes culturels et des idées reçues, tendent à associer le vieillissement à une perte d'autonomie, de désir et de sensualité. De fait, la sexualité des personnes âgées demeure largement invisibilisée, voire taboue. Or, en dépit des préjugés, les personnes âgées continuent d’éprouver des désirs et de vivre des relations intimes, redéfinissant ainsi les contours de la sexualité à mesure qu’elles avancent en âge.

Au cours de près de quinze années d'expérience professionnelle en Ehpad, j’ai souvent été confrontée à des situations concernant la sexualité des résidents, observant à chaque fois des réactions marquées et clivées chez les professionnels. Je pense en particulier à une situation, peu de temps après ma prise de fonction en tant qu’adjointe de direction, qui m’a beaucoup interpellée. Deux résidents, une dame atteinte de troubles cognitifs importants et un monsieur présentant un handicap mental avec une désinhibition importante, venaient de se mettre en couple. Ils se retrouvaient dans la grande salle principale, il arrivait qu’ils s’embrassent, mais, très vite, soignants, résidents et familles ont signalé des comportements ‘‘gênants’’.

Débats et tensions

Après avoir éclairci la situation, il s’est avéré que les résidents s’adonnaient en réalité à des préliminaires en public. Débats et tensions au sein de l’équipe quant à l’attitude à tenir, sachant qu’étaient centraux les enjeux du droit à la sexualité et de la capacité à consentir. Malgré différentes réunions, certains salariés n’étaient pas prêts à accompagner cette sexualité qu’ils jugeaient non consentie pour la résidente. Cette expérience a éveillé en moi le besoin de comprendre pourquoi et comment les professionnels accompagnaient ou non la sexualité des résidents. J’ai donc profité de la chance qui s’offrait à moi, à l’occasion de mon Master en Direction des établissements pour personnes âgées (1), de choisir ce sujet comme thème de mon mémoire de recherche qualitative en sciences humaines et sociales à visée professionnelle.

La création d’espaces intimes

De ce travail d’enquête mené auprès de professionnels intervenant en Ehpad, sont ressortis différents facteurs. Le premier, majeur, est celui des représentations sociales des professionnels sur la sexualité en général et sur celle des personnes très âgées en Ehpad en particulier. Appartenances socio-culturelles, religieuses influencent significativement la manière dont les professionnels abordent la sexualité en établissement : tabou pour les uns, face auquel des stratégies comme l’humour ou le silence peuvent être déployés, sujet « banal » pour d’autres…

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Le cadre institutionnel est lui aussi déterminant. Le manque d’intimité et le regard des autres sont autant de freins à l’expression des désirs affectifs et sexuels des résidents. Les équipes se mobilisent parfois pour lever ces obstacles, tant pour respecter les désirs des résidents que pour assurer une prévention des risques liés à la sexualité, en proposant par exemple la création d’espaces intimes ou l’organisation de moments de rencontre. Mais ce type d’initiatives spécifiques pour accompagner la sexualité restent rares. Pour les professionnels rencontrés, travailler ces enjeux en équipe et être guidé par une direction engagée jouent un rôle central dans la mise en place d’un cadre favorable à l’épanouissement intime des résidents.

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Selon les équipes rencontrées, les familles sont également un élément déterminant. Elles témoignent du fait que souvent la manière dont les proches sont impliqués complique l’accompagnement de la sexualité des résidents. Les professionnels informent fréquemment les familles des relations affectives de leur proche, pour les protéger face à des situations potentiellement choquantes pour elles ou pour protéger l’établissement contre d’éventuelles plaintes. Cette communication peut provoquer des tensions lorsque les proches rejettent ces relations. En cas d’opposition, les professionnels doivent naviguer entre respect du choix des résidents et apaisement des familles, ce qui peut parfois limiter l’accompagnement de la sexualité. Les témoignages relèvent que souvent, les équipes tendent à se conformer aux souhaits des familles, entraînant parfois une surveillance excessive ou des restrictions.

L’enjeu autour de la capacité à consentir

Avec l’évolution de la situation des résidents, le nombre croissant de résidents atteints de troubles cognitifs ou psychiques, la question de la capacité à consentir devient centrale et l’enjeu majeur sur la question de la sexualité des personnes âgées. Les relations sont-elles toujours consenties ? Y-a-t-il abus ? Autant de dilemmes auxquels les soignants sont confrontés. En outre, mes recherches ont révélé que le jugement des soignants sur les résidents influence leur perception du consentement et qu’il est plus souvent questionné dans le cadre des relations hétérosexuelles, avec une tendance à voir l'homme comme un prédateur et la femme comme une victime.

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Face à ces constats, il n’y a évidemment pas de réponses standardisables, mais il semble important de créer les conditions, entre toutes les parties prenantes, d’un dialogue partagé sur ces sujets, et de lever les tabous pour permettre aux personnes âgées de vivre librement leur vie affective et sexuelle, que ce soit en établissement ou au domicile. Pour cela, un travail sur les représentations sociales de la sexualité est nécessaire. Il peut passer par la formation des professionnels pour leur permettre de faire le point sur leur propre rapport à la sexualité, de connaître les droits des résidents et de mieux appréhender la sexualité des personnes âgées ainsi que la notion de consentement. Il serait également intéressant de sensibiliser les familles. Nous l’avons vu, leurs postures peuvent entraver le droit à une vie affective et sexuelle de leur parent et influencer le comportement des professionnels. Les directeurs doivent aussi se saisir de ce sujet en étant soutenant, et, au-delà, en donnant une direction aux professionnels. Il m’est arrivé par exemple d’encourager une professionnelle à qui une résidente s’était confiée sur ses besoins sexuels afin qu’elle puisse lui suggérer des alternatives à la sexualité "classique" entre deux personnes. Après tout, il sera peut-être un jour courant d’organiser des réunions sex-toys en Ehpad, qui sait ? L’avenir nous le dira…

 

(1) Master Direction d’établissements et services pour personnes âgées. Université Paris Est-Créteil, en partenariat avec l’INFA Ile de France, Promotion 2021-23.

 

 

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