ASH : Estimez-vous, en tant que proche aidante, pâtir d’un manque d’accompagnement ?
Christelle Evita : La tension dans le secteur médico-social est dramatique. Trouver une auxiliaire de vie ou un infirmier, si en plus vous vivez dans un désert médical, c’est devenu mission impossible. Lorsqu’un aidant se tourne vers une offre de répit, il est dans un tel état de fatigue, que le professionnel intervient dans un contexte de crise. Et s’il ne peut pas arriver tout de suite, parce que les effectifs ne le permettent pas, l’aidant continue à faire des heures, il finit par couler et c’est l’aidé qui en pâtit. Mais le problème existe aussi du point de vue administratif, lorsqu’il s’agit de savoir quels leviers activer, vers qui se tourner, quelles sont les options…
Aujourd’hui, il n’y a pas de dispositif coordonné. Face à un parent vieillissant, un enfant malade, un proche en situation de handicap à la suite d’un accident, un enfant qui nait avec une pathologie ou un conjoint malade, il n’y a pas de réponses globales. Tout est morcelé et c‘est l’aidé, donc l’aidant, qui est obligé de chercher qui contacter, alors qu’il n’est pas un professionnel. Il est un simple individu aux côtés d’un proche qui souffre. Non seulement l’aidant se prend une grosse charge émotionnelle, mais en plus on lui demande de devenir un super intendant médico-social et administratif. Faute d’accompagnement, il ne demande pas toujours les aides auxquelles il a droit. Ou alors, il les sollicite trop tard, quand le contexte est très dégradé.
Que pensez-vous de la tendance à professionnaliser les aidants ?
C. E. : Je suis d’accord avec l’idée de sensibiliser les aidants à la pathologie d’un proche, mieux connaitre la maladie d’Alzheimer par exemple. Je ne suis pas une professionnelle de santé, je souhaite comprendre pourquoi mon parent va réagir de telle ou telle manière. Mais lorsqu’on parle de formation des aidants, il y a un glissement subtil où on leur demande de devenir des soignants bis. Dans un contexte de pénurie de formation, de pénurie de recrutement, d’une incapacité à retenir les soignants – leurs conditions de travail sont tellement terribles qu’ils ne veulent pas rester – il y a une tendance à se dire : les aidants sont prêts à se sacrifier corps et âmes, ils vont faire le job. On peut leur demander ça, sans les payer au même prix qu’un aidant professionnel. Et puis, très basiquement, les professionnels médico-sociaux suivent des cursus, ils savent ce que sont les interactions médicamenteuses, la bientraitance, la maltraitance, autant de choses auxquelles on ne peut décemment pas former des aidants avec des webinaires de trois fois deux heures.
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L’ouverture de la validation des acquis de l’expérience aux aidants familiaux n’est-elle donc pas une bonne idée ?
C. E. : Je suis aidante de ma mère qui a des troubles neuro-dégénératifs. Si j’ai accumulé des compétences, je n’ai pas forcément envie de les utiliser demain pour devenir auxiliaire de vie ou responsable d’un service à domicile. Où veut-on emmener les gens ? Vers les métiers en tension, vers les métiers du soin ? Qui me dit qu’un aidant ayant soigné son père serait capable de reproduire ses compétences en direction de personnes dépendantes ou malades avec lesquelles il n’a pas de liens de parenté ? La plupart des aidants me disent : " Je viens de passer dix ans à soigner mon fils, aujourd’hui décédé, et je n’ai qu’une envie, retourner dans le monde professionnel classique. " Est-ce qu’on peut donner ce choix aux gens en fait ?
Vous êtes experte en soutien aux salariés aidants. Qu’attendez-vous du monde de l’entreprise ?
Les entreprises ne peuvent plus assigner les salariés aidants à un régime d’exceptionnalité. Avec 11 millions d’aidants en France et 7 millions qui sont en emploi, toutes les entreprises sont concernées. Elles vont devoir développer des souplesses organisationnelles, proposer d’autres postes en accord avec les salariés concernés ou un plan de carrière permettant d’envisager cette partie de sa vie, pleine de vulnérabilités, comme quelque chose de normal. Lorsqu’on a un enfant, on prend son congé de maternité. C’est la même chose. Nous sommes de plus en plus des multi-aidants, parce que nous sommes la génération sandwich, celle qui doit gérer un proche malade et un parent en perte d’autonomie. Il ne faut surtout pas désinsérer les proches aidants professionnellement.
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L’aidance coûte en gros 3000 euros par mois à quelqu’un, que ce soit à domicile ou en institution. Comment faire si vous n’avez plus d’emploi ? Il y a des aides, d’accord, mais c’est une jungle. Elles dépendent du département et tous les conseils départementaux ne financent pas de la même façon. Et avant de toucher une aide, il faut faire une avance de trésorerie. Ce système a créé une sorte de bombe à retardement sociale. Les aidants sont les nouveaux pauvres.
Vous avez recueilli des témoignages concrets ?
C. E. : J’ai une amie institutrice à Villiers-le-Bel (95) qui m’a parlé d’un de ses élèves qui n’arrête pas de frapper tout le monde dans la classe. Sa mère vit dans un studio avec son fils, sa fille et son père en perte d’autonomie, souffrant de troubles neuro-dégénératifs. Elle n’a pas assez d’argent pour le placer en institution et ne maîtrise ni assez bien le français, ni l’outil informatique pour solliciter une aide à domicile. Elle garde son père chez elle et comme ce monsieur n’est pas du tout suivi médicalement, ses troubles se transforment en agressivité qu’il décharge sur le petit garçon. C’est ça la réalité. Si vous avez de l’argent, si vous un capital relationnel et social, vous savez comment réagir. Mais cette dame n’a pas le temps - elle travaille comme femme de ménage – et est obligée de laisser son fils dans ce climat violent. Les plus mal lotis sont les gens qui n’ont pas les ressources.
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