Les effets de la loi du 11 février 2005 pour « l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », qui a eu pour objectif de sortir de la logique du milieu adapté afin de permettre l’intégration en milieu ordinaire des personnes porteuses d’un handicap, restent faibles sur l’intégration dans le monde professionnel. « La loi de 2005 nous avait donné beaucoup d’espoir sur les enjeux d’accessibilité et de scolarisation. Les associations avaient fêté sa promulgation, indique Patrick Maincent, vice-président de l’Unapei. Mais dans cette loi, l’emploi n’était pas central. »
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En 2023, le taux d’emploi direct des personnes handicapées est de 3,6 %, selon une étude de la Dares publiée en novembre 2024. Ce chiffre, stable depuis plusieurs années, reste loin de l’objectif de 6 % de salariés reconnus handicapés dans les entreprises de 20 salariés ou plus, prévu par la loi. « Les textes sont là pour favoriser le recrutement en entreprise, mais il ne suffit pas d’avoir des lois pour que cela fonctionne. Encore faut-il que ce soit appliqué », souligne Patrick Maincent.
D’autant que le handicap reste en 2023 la première cause de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination, avec le travail comme première sphère concernée. « En matière de discriminations, le corpus juridique est conséquent en France, estime Carole Saleres, conseillère nationale emploi, travail, formation et ressources à APF France handicap. Nous avons tout ce qu’il faut au niveau légal, et pourtant nous voyons que les discriminations sont massives. Lors de testings sur des procédures de recrutement, quand on mentionne qu’on a un fauteuil, le taux de réponse est divisé par deux. » Selon l'enquête Emploi, chômage, revenus du travail, édition 2023 de l'Insee (Travail, santé et handicap), le taux de chômage des personnes actives reconnues handicapées reste plus élevé que pour l’ensemble de la population, en s'établissant à 12 %, contre 7 %.
Rendre les obligations effectives
Depuis la loi de 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, les employeurs d’entreprise de plus de 300 salariés ont pourtant l’obligation de former leur personnel chargé du recrutement sur les questions de handicap tous les cinq ans. « Mais cette obligation n’entraîne pas de sanction lorsqu’elle n’est pas remplie », regrette Carole Saleres.
Les discriminations sont aussi très présentes en cours d’emploi, avec « des phénomènes d’éviction insidieux, des discriminations indirectes que les personnes ont du mal à faire reconnaître, souligne-t-elle. On voit qu’il y a un sujet du côté des employeurs sur la manière dont ils aménagent effectivement les postes de travail quand des besoins s’expriment du côté des salariés. » Pour la conseillère, l’urgence n’est pas aujourd’hui de faire évoluer la loi, mais plutôt de rendre ses obligations effectives dans les pratiques.
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Car si l'accessibilité des lieux de travail est bien prévue par la loi de 2005, ses décrets d’application ne sont toujours pas parus. « A chaque comité interministériel du handicap, on nous dit que ce décret va bientôt sortir, indique Arnaud de Broca, président du Collectif handicaps. Et il faut avoir en tête qu’il ne concerne que le neuf, or la loi parle aussi du bâti existant. »
Un autre frein à l’emploi réside dans l’inaccessibilité d’Internet, alors que seuls 3 % des 250 démarches essentielles sur le web sont pensés avec une approche inclusive. La loi de 2005 visait pourtant à une accessibilité numérique « à 100 % ». Cela concerne également les intranets, comme les logiciels sur lesquels un employé peut être amené à travailler.
Maintien dans l'emploi
Et alors que la plupart des handicaps surviennent au cours de la vie, qu’ils soient liés à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, rien n’est prévu dans la loi pour le maintien dans l’emploi, selon Arnaud de Broca. « On est facilement licencié pour inaptitude. On sait que certains licenciements sont justifiés quand ce sont de petites entreprises et que les reclassements sont impossibles, mais un certain nombre arrive trop vite, sans avoir fait l’objet d’un accompagnement nécessaire. C’est pourquoi nous pensons à davantage de sanctions pour les employeurs. »
Du côté des établissements spécialisés comme les Esat (établissements et services d'accompagnement par le travail), d’importantes difficultés sont relevées sur leurs résultats économiques, alors que 35 à 40 % d’entre eux sont déficitaires, estime Patrick Maincent. Des difficultés d’autant plus prégnantes dans les petites structures associatives. Pour faciliter le recrutement de travailleurs protégés en entreprise ordinaire, l’Unapei espère obtenir des pouvoirs publics et des agences régionales de santé des emplois de chargés d’insertion professionnelle (CIP). « Ces derniers sont très importants pour accompagner les travailleurs d’Esat en entreprise sur plusieurs années. »