Le passage à l’âge adulte pour les personnes en situation de handicap est une étape particulièrement délicate, marquée par la transition entre deux secteurs. Le jeune passe du médico-social enfant, dont l’accompagnement s’arrête lorsqu’il a 20 ans, au médico-social adulte. Et s’il relève de la protection de l’enfance, ce couperet tombe même à 18 ans.
La CNAPE (fédération nationale d’associations qui accompagnent et accueillent les enfants, adolescents et jeunes adultes en difficulté) a mené une réflexion sur ce moment de bascule où les vulnérabilités peuvent conduire à des ruptures par manque d’anticipation ou de réponses adaptées (dans le droit commun ou au sein du milieu spécialisé). Cette absence de perspectives accentue les fragilités vis-à-vis des démarches administratives et de l’accès au soin. Quand la sortie de l’adolescence rime avec non-recours aux droits et exclusion sociale.
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« Ces jeunes cumulent les fragilités en termes de qualifications scolaires ou de problèmes de santé, ce qui freine leur insertion dans tous les domaines de la société, estime Pauline de la Losa, responsable des pôles médico-social et vulnérabilités, prévention de la CNAPE. La temporalité de l’accompagnement, dans la protection de l’enfance comme dans le médico-social, ne répond pas aux besoins du jeune et à ses réalités. Le diagnostic d’un handicap psychique arrive souvent à l’approche de l’âge adulte et pourtant c’est à ce moment-là que l’accompagnement s’arrête. »
Etre assigné à une "vie programmatique"
Il s’agit d’inventer de nouveaux relais pour éviter de laisser ces jeunes sans étayage ou dans l’obligation de se conformer à des projets imaginés sans eux, décorrélés de leurs aspirations. Outre l’aménagement des dispositifs jeunesse ouverts à tous les publics et une plus grande inclusion en général en milieu ordinaire, la CNAPE souhaite que les professionnels du médico-social comme de la protection de l’enfance se rapprochent des acteurs de la prévention spécialisée.
« Les jeunes qui ont été institutionnalisés toute leur vie ont parfois envie, vers la majorité, de sortir de l’établissement et d’évoluer en toute autonomie, reprend Pauline de la Losa. Mais ils peuvent se sentir perdus, sans aucun acteur vers qui se tourner. Pour pallier cette difficulté, il est souhaitable que le médico-social travaille avec les services de l’aller vers, les éducateurs de rue notamment, qui seront en première ligne pour remobiliser ces jeunes en situation de handicap et peut-être les réorienter vers des dispositifs spécialisés. »
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Le principal enjeu des réflexions menées par la CNAPE est de trouver des parades à une forme d’assignation des jeunes adultes en situation de handicap à une « vie programmatique ». En d’autres termes, ils sont trop souvent contraints à suivre des projets qu’ils n’ont pas choisi. « Les professionnels, les familles et la société tout entière projettent sur eux des besoins, des aspirations et des capacités qui ne sont pas forcément les leurs. » La fédération a voulu mettre en avant une initiative s’inscrivant à rebours de ce type de déterminismes et qui, au contraire, construit pas à pas l’autodétermination de ceux qu’elle accompagne.
Une "petite pension de famille"
Le dispositif SAS-Equipe mobile porté depuis 2021 par la CMSEA (comité mosellan de sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes) a la particularité de s’adresser à des jeunes concernés par une double vulnérabilité - ils ont été confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance et présentent une situation de handicap, notifiée ou non – au moment de basculer vers l’âge adulte. Co-financé par l’ARS et par le département, il est composé d’un internat de dix places et d’une équipe mobile. Le premier s’adresse à un public venu de structures de la protection de l’enfance (centres départementaux de l’enfance, Mecs, assistants familiaux de l’Ase) âgés au moment de leur admission de 17 ans et demi jusqu’à la veille de leurs 21 ans. Le SAS étant considéré comme un ESMS, il a le droit d’accompagner des jeunes après l’âge fatidique des 21 ans grâce à l’amendement Creton[1]. Une vingtaine de professionnels sont présent dans cette structure qui fait penser à une « petite pension de famille », dont neuf personnels éducatifs, une psychologue, une infirmière du secteur psychiatrique et trois veilleurs de nuit.
Quant à l’équipe mobile, composée de trois éducateurs spécialisés, d’un psychologue et d’une infirmière (appartenant à l’internat), elle se rend dans l’ensemble des structures de protection de l’enfance de la Moselle pour apporter de l’appui aux professionnels dans le repérage des troubles, l’aménagement des lieux en fonction des handicaps ou pour décrypter les démarches administratives auprès de la MDPH. «Notre équipe mobile présente une certaine lourdeur administrative qui est totalement voulue, explique Laurent Drouillaud, chef de service du dispositif. Nous voulions être sûr de ne pas être considéré comme les « pompiers de service ». Il ne s’agit pas d’intervenir pour extraire des jeunes des structures de la protection de l’enfance qui poseraient des problèmes en raison de leur handicap. Notre mission, lorsque nous sommes saisis par l’Ase, c’est de donner des conseils et de la formation. »
Faire table rase
Toute la philosophie de ce SAS de dix places est de proposer une échappatoire aux jeunes qui doivent sortir du giron de l’Aide sociale à l’enfance à 18 ans. D’autant plus dans un contexte de saturation des structures. « L’idée est de faire table rase de tout ce qui s’est passé avant, poursuit Laurent Drouillaud. Nous allons reconstruire un projet individuel d’accompagnement en prenant notre temps. » Après deux semaines destinées à tisser du lien, « pour travailler la rupture avec la protection de l’enfance », l’équipe du SAS se met à l’écoute de chaque jeune pour faire émerger des envies. Il s’appuie sur l’IMPro voisin (institut médicoprofessionnel) pour bénéficier de leurs modules d’enseignement et de préprofessionnalisation.
« On laisse la possibilité aux bénéficiaires d’aller éprouver leurs désirs, conclut le chef de service du SAS. Je pense par exemple à un jeune qui voulait travailler dans la petite enfance. Nous lui avons trouvé en stage en périscolaire, sur les temps de midi, avec le soutien d’un éducateur. Au bout d’une journée avec une cinquantaine d’enfants qui crient, il s’est dit que c’était trop dur pour lui. Même si on se doutait qu’il n’y arriverait pas, c’était à lui de se faire sa propre expérience. C’est ça l’autodétermination, laisser le jeune au centre de son projet et l’accompagner même si on pense que ce n’est pas adapté. »
[1] « L’amendement Creton » à la loi du 13 janvier 1989 permet le maintien, dans l’attente d’une solution adaptée, de jeunes handicapés âgés de plus de vingt ans dans les établissements médico-sociaux pour enfants handicapés qui les accueillent.