Une belle vache fend la neige épaisse. A l’approche de ses naseaux curieux, Micheline sourit et lui tend la main : « Mon odeur te plaît… », s’amuse la vieille dame. La bête tire un sursaut de surprise à Thérèse, assise en face d’elle dans son fauteuil. Elle ne l’avait pas vu venir, tout occupée qu’elle était à admirer les prés vosgiens immaculés autour d’elle. Sébastien Gradit, cofondateur de l’association Bulle 360 et entrepreneur en réalité virtuelle, emmène son petit groupe du jour en sortie hivernale depuis la salle d’activités de l’Ehpad La Miotte à Belfort. Cette structure de la Mutualité française expérimente depuis 2021, avec Bulle 360, la réalité virtuelle comme outil thérapeutique pour des personnes âgées en voie d’isolement.
En solo ou ensemble
Des vidéastes professionnels et amateurs, dont le noyau est basé dans le Haut-Rhin, ont créé l’association pendant la crise du Covid pour apporter des moments d’évasion aux publics empêchés. Fin 2020, l’Ehpad s’en saisit pour offrir une immersion à 360° au parc zoologique de Mulhouse à ses résidents confinés depuis des mois. « 98 % d’entre eux avaient accepté de mettre le casque », se souvient Pascal Poupon, directeur de l’établissement. Nous avons découvert les personnes sur un versant que nous ne connaissions pas. Cela apportait de la stimulation et permettait des interactions. » Depuis, l’établissement explore les bienfaits de la réalité virtuelle en partenariat avec la faculté de psychologie de Besançon, département de l’université Bourgogne-Franche-Comté.
Chaque semaine, Sébastien Gradit confie ses casques à une quinzaine de résidents, en petits groupes d’un maximum de cinq personnes ou individuellement en chambre pour les plus diminués. Une activité strictement accompagnée avec des explications introduisant les contenus, des paroles pour guider pendant les projections immersives, et surtout, après, un temps d’échange pour partager ses ressentis, en présence des psychologues. A la clé, des moments de grâce quand les aînés se replongent dans leurs plaisirs de jeunesse ou s’enthousiasment à la découverte d’horizons nouveaux, tels une première promenade les pieds dans l’eau sur une plage, aux côtés de deux chiens joueurs. « Ils aiment les situations ordinaires au milieu des autres et qui leur évoquent leur enfance ou leur vie de famille, explique Karine Tardivel, psychologue de l’établissement qui pilote les séances. La vidéo à 360° donne à la personne la liberté de regarder ce qu’elle veut à chaque instant. Elle libère la spontanéité et donc la personnalité. » Le catalogue de Bulle 360 compte déjà plus de 270 pastilles vidéo. Les scènes de contextes locaux sont privilégiées et les membres de l’association ont le réflexe de toujours emporter une caméra en vacances.
« La réalité virtuelle prend tout son sens parce que nous offrons un cadre autour, insiste Karine Tardivel. Elle est un support aux échanges. Je pense à une immersion dans un spectacle de french cancan qui nous a amenés à débattre des droits des femmes et, de là, de ceux des pensionnaires des Ehpad. Cette activité ramène vers le groupe. »
Le plaisir retrouvé
Ce qu’illustre Sébastin Gradit : « Nous pouvons passer toutes les semaines en chambre, puis nous négocions que le résident poursuive l’expérience à plusieurs et il revient en salle de repas. » Une approche non médicamenteuse qui, selon Nicolas Calderoni, psychologue-stagiaire, permet « aux personnes très angoissées ou dépressives de sortir de la plainte et de retrouver du plaisir ». L’occasion aussi pour les encadrants d’appréhender les personnes âgées autrement : « La réalité virtuelle nous aide à découvrir en elles des capacités que nous n’imaginions pas et à ne pas les enfermer dans leurs fonctionnements du quotidien », assure Karine Tardivel. Son équipe tente désormais de rebondir sur le virtuel pour rapprocher les résidents de l’extérieur. Après une immersion dans une école de danse de Belfort, l’Ehpad a invité ses danseurs de tango à venir les rencontrer. Une prochaine étape sera de conduire ceux qui le peuvent à une de leurs représentations publiques.
Cette expérimentation, d’un budget de 45 000 € sur trois ans, est financée jusqu’en juin 2024. Elle bénéficie du soutien de l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté, de la Conférence des financeurs pour la prévention de la perte d’autonomie du Territoire de Belfort et de la Mutualité française. Bulle 360 effectue, chaque année, des interventions mensuelles auprès d’une dizaine d’autres Ehpad en Alsace et cherche maintenant à s’implanter en Normandie.