« Je n’en finis pas de changer d’interlocuteur, on n’a vraiment pas le temps de s’attacher », lance tout de go Jean-René Lecerf, président du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), à propos des multiples remaniements gouvernementaux et en guise de préambule. « Au-delà de la boutade, c’est assez pénalisant. » Le contexte politique étant posé, il a profité de la première conférence de presse de l’année, ce 6 février, pour annoncer les principaux enjeux 2024 de la CNSA. Et par extension les grandes questions inhérentes à la dépendance, alors que la loi « grand âge » reste une Arlésienne.
Au premier rang de ses inquiétudes, « la tentation du séquençage de l’autonomie », dans une période où la « cinquième branche » est pourtant censée entrer dans une phase de consolidation. « On a encore trop souvent le réflexe de séparer les publics, reconnaît Jean-René Lecerf. Qu’il s’agisse de pénibilité, de répit, de mobilité ou de citoyenneté, les problèmes des personnes âgées sont pourtant communs à ceux des personnes en situation de handicap. L’autonomie recoupe l’un et l’autre, ainsi que l’éducation, la culture ou le sport adapté. » Chargée depuis 2021 de la gestion de cette nouvelle branche de la sécurité sociale, la CNSA a encore besoin d’affirmer sa philosophie. Et de repenser la manière dont on accompagne ces publics dans une société vieillissante, qui se désinstitutionnalise et ambitionne d’être plus inclusive.
Garantir l'universalité de l'aide
« Les Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], par exemple, s’apprêtent à affronter une nécessaire médicalisation avec des résidents de plus en plus âgés lorsqu’ils arrivent, estime-t-il. Si, demain, ses établissements ne doivent plus accueillir que des personnes en extrême fin de vie ou en situation de très grande dépendance, on peut se demander si la compétence pleine et entière de l’Etat ne serait pas nécessaire. » Poursuivant le fil de sa pensée, le président de la CNSA imagine que les départements pourraient de leur côté réaffirmer leurs prérogatives sur le domicile et sur l’habitat intermédiaire, du type habitat partagé.
Dans l’attente d’un texte de loi « ambitieux » et à mi-parcours de la convention d’objectifs et de gestion 2022-2026, la jeune branche autonomie sait que l’un de ses défis reste de garantir l’universalité de l’aide apportée aux personnes âgées et en situation de handicap, ainsi qu’à leurs aidants, quel que soit le territoire. « Pour mettre fin au parcours du combattant lorsqu’on avance en âge ou lorsque le handicap survient », précise la directrice de la CNSA, Virginie Magnant. Entre autres, en proposant de nouveaux outils numériques aux professionnels des MDPH (maisons départementales des personnes handicapées) et aux usagers. Même si la dématérialisation ne peut être généralisée à tous les publics.
Service public départemental de l'autonomie
Après la mise en place d’un « centre de ressources et de preuves dédié à la prévention de la perte d’autonomie » pour soutenir les acteurs territoriaux, la CNSA a dans sa ligne de mire la généralisation du service public départemental de l’autonomie. Il est d’ores et déjà en expérimentation dans 18 départements.
« Nous abordons 2024 avec une assise financière solide », se félicite Virginie Magnant en soulignant l’affectation d’une ressource dédiée, soit une quote-part de la CSG représentant 2,6 milliards de crédits complémentaires. Avec un montant de 40,64 milliards d’euros, les charges prévisionnelles du budget initial 2024 sont en augmentation de 5,3 % par rapport au budget initial 2023. « Ce budget excédentaire garantit une trajectoire dynamique en termes de développement de nouvelles solutions pour les personnes en situation de handicap et le développement de nouveaux services pour les personnes âgées, dont 25 000 places de Ssiad [services de soins infirmiers à domicile] ou le renforcement des taux d’encadrement en Ehpad. »
Soucieuse d’offrir une meilleure visibilité, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie voit également 2024 comme une année « verte » en travaillant notamment sur des scenarios de décarbonation de la branche autonomie. Cette dernière représente une empreinte carbone de 9 méga tonnes (équivalente à celle des hôpitaux, sans les médicaments). Quand la transition écologique se conjugue à la transition démographique.