La proposition de loi « bien vieillir » devrait être adoptée ce mercredi 27 mars au Sénat. Mais une de ces dispositions ne cesse de faire controverse : faut-il accepter que les résidents arrivent en Ehpad avec leur chien ; leur chat ou leur canari ? Alors que cette mesure a ses farouches partisans à l'image de Fabienne Houlbert, fondatrice de l'association TERPTA, pour le dirigeant d’Ehpad Rémy Busto la priorité est d'allouer des moyens aux établissements plutôt que de leur imposer des contraintes supplémentaires.
« Je suis pour la présence des animaux dans nos établissements que je soutiens depuis très longtemps. Néanmoins, cette loi, c’est de l’enfumage, une fausse bonne idée, de la démagogie. Ce n’est pas un sujet, ni la préoccupation du moment. On est en train de faire une loi sociétale en lieu et place d’opérer une réforme structurelle dont le secteur a besoin.
Directeur d’un pôle gérontologique, j’ai la direction au quotidien d’un Ehpad mais je chapote également trois autres Ehpad dans les Pyrénées Orientales, et dans l’Aude. J’ai été responsable de mon premier Ehpad en 2009. J’ai toujours connu et encouragé la présence d’animaux domestiques dans nos résidences. Mais là, on joue sur la corde sensible pour faire pleurer dans les chaumières.
« Les miaous et les wouafs-wouafs ne sont pas la préoccupation, ni du résident, ni de sa famille. «
La demande d’accueil de l’animal a dû se poser cinq ou six fois dans toute mon expérience. C’est une demande à la marge. Et on y accède sans réticence, sous réserve qu’il n’y ait pas de nuisances, que son maître puisse le nourrir, assurer son hygiène et ses soins vétérinaires.
Les personnes âgées nous arrivant sont déjà en perte d’autonomie, ils ne peuvent plus rester à domicile. Compte tenu de l’accroissement de la dépendance à l’arrivée en Ehpad, très peu ont encore leur animal de compagnie, car ils n’étaient déjà plus en mesure de s’en occuper à domicile. Si ce n’est pas encore le cas, les familles anticipent des dispositions autour du devenir du chat ou du chien. Par ailleurs, on <ne s’est pas posé la question de la voisine de palier qui n’apprécie peut-être pas autant les animaux, ni celle de la cohabitation entre les animaux.
En réalité, la personne âgée s’inquiétera surtout de sa vie dans l’établissement, de comment on prendra soin de lui, comment il sera traité, en lui garantissant la mise à disposition d’un personnel de qualité, et des moyens suffisants. Les cui-cui, les coins-coins, les miaous et les wouafs-wouafs ne sont pas la préoccupation, ni du résident, ni de sa famille.
En faire un cheval de bataille, une figure de proue, c’est faire de cette loi l’arbre qui cache la forêt. Les préoccupations des résidents et leurs familles sont surtout le prix du séjour à l’Ehpad, le taux d’encadrement, l’alimentation -nous privilégions les produits frais et locaux- et le rationnement des changes. Et pas de savoir si Médor va bien avoir un coin de panière à l’Ehpad.
« La perte d’autonomie peut conduire à une mise en danger de l’animal »
Sur la présence d’animaux dans nos Ehpad, on a des chats de maison : Lili, Leya, Ponpon, Grison, et Minette qui font le bonheur de nos résidents. Nous promouvons également depuis longtemps la médiation animale, avec des visiteurs animaliers qui viennent dans notre établissement avec des chiens, des animaux de ferme, des ânes. Certains de nos salariés viennent aussi avec leurs chiens. La médiation animale est régulièrement sollicitée. Là encore, nous n’avons pas eu besoin d’une loi pour l’organiser.
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Il faut considérer que la perte d’autonomie peut conduire à une mise en danger de l’animal. Nous avions eu le cas d’une résidente qui souffrait de troubles cognitifs, et donnait de la nourriture de son plateau repas non adaptée à son chat. Un évènement isolé, certes. D’autres personnes âgées peuvent séquestrer leur animal en chambre ou n’être plus en mesure d’assurer l’hygiène de leur animal. Notre personnel est bienveillant pour nettoyer mais il ne faut pas nier que nous souffrons d’un grand déficit de personnel et donc une surcharge de travail pour nos effectifs.
« Nous avions une personne souhaitant garder son cochon domestique »
Le recours à des équipes spécialisées, comme le font les associations -comme TERPTA-, peut être intéressant dans la région parisienne, les grandes villes. Mais c’est une idée qui est faite pour qui ? Sûrement pas pour les établissements de province, comme le mien.
Dans cette loi, on va limiter aux chats, chiens, canaries, mais quid des cochons dinde ? Ou autre animal : nous avions par exemple une personne souhaitant garder son cochon domestique. Il n’était pas question de le laisser dans la chambre de notre résidente. Nous l’avions accueilli dans notre ferme. Et si se présente un chien de 4ème catégorie, type American staff ?
« Les Ehpad ont besoin de moyens. »
Ce que je déplore, c’est qu’on nous parle des animaux sans nous parler des vraies difficultés des établissements : des sous-financements de la prime Ségur par exemple, de l’absence de prise en considération des hausses du SMIC, des valeurs de points, des différences de rémunération entre les salariés du secteur public et privés, nos difficultés face à l’inflation, des points GIR départemental malheureusement très bas, ni de nos difficultés RH pour recruter des aides-soignants, des infirmiers, et des médecins coordinateurs. En revanche, on nous parle de contrôle, d’évaluation, et maintenant d’animaux de compagnie en Ehpad !
Les Ehpad ont besoin de moyens. Les moyens, ce n’est pas nous infliger des contraintes supplémentaires. Le financement du secteur de la perte d’autonomie est insuffisant. Nous observons une tendance déficitaire sur l’ensemble des Ehpad de France. Nous serons en déficit entre 70 à 90% en 2023. On ne prend pas en considération nos problèmes budgétaires, comme l’augmentation du coût de l’électricité, de la nourriture qui a pris 9,5%, ou encore le coût des changes qui a augmenté de 30%.
Je comprends cet élan de cœur très généreux. C’est tout en l’honneur des associations. Je partage leur attachement aux animaux de compagnie. Mais si nos politiques se renseignaient sur les problèmes réels des Ehpad aujourd’hui, ils comprendraient que cette proposition de loi n’a aucun sens. D’autant que nous les accueillons déjà. En réalité, le modèle économique des Ehpad est à repenser. Surtout si nous nous dirigeons vers le renforcement des moyens pour favoriser le maintien à domicile. »
Rémy Busto, directeur d’Ehpad Léon Bourgeois, dans les Pyrénées Orientales,
>>> Sur le même sujet, l'avis opposé de Fabienne Houlbert, fondatrice de l'association TERPTA : « Retirer l’animal de compagnie à son maître est criminel »