C’est un constat qui n’a rien de nouveau. La pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de l’aide à la personne va en s’aggravant. En 2023, la Fédésap, l’une des principales fédérations d’employeurs de la branche de l’aide à domicile, estimait à 25 000 le nombre de postes qui ne trouvaient pas preneurs. L’année précédente, c’était Europ Assistance qui tirait la sonnette d’alarme sur le manque de candidats, qualifiant le secteur de « club de plus en plus fermé ». Dans une société sous pression démographique – un tiers des Français aura plus de 60 ans à l’horizon 2030 et, si les projections statistiques se confirment, le pays comptera 4 millions de personnes en situation de dépendance en 2050 –, il y a urgence à combler les trous de la raquette, l’observatoire de la Fédération des particuliers employeurs de France (Fepem) allant même jusqu’à prédire la nécessité de 800 000 emplois à pourvoir dans les six ans.
Des bénéficiaires de plus en plus dépendants
« La situation est d’autant plus tendue que le métier a considérablement évolué depuis une quinzaine d’années », rappelle Sarah Etieve, directrice de la fédération des Familles rurales de l’Indre. Cette fédération, qui chapeaute aujourd’hui une centaine d’associations, emploie 530 salariés et accompagne près de 3 000 personnes. Celle « qui fut précurseure sur le métier d’aide-ménagère dès les années 1970 », a vu la profession évoluer au rythme du vieillissement des populations aidées. « Les besoins sanitaires sont plus importants qu’avant. Nos bénéficiaires sont de plus en plus en situation de dépendance. On intervient de façon plus lourde et plus longtemps », témoigne Sarah Etieve.
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Mais surtout, l’aide à domicile vieillit elle aussi. Et le secteur peine à renouveler ses effectifs, faute de candidats pour ces emplois mal rémunérés, mal considérés et souvent difficiles. Un dernier levier qu’a décidé, en 2023, d’actionner la fédération nationale des Familles rurales (17 000 salariés), afin de susciter les vocations en lançant une expérimentation portant sur l'amélioration des conditions de travail de ses professionnels. A la manœuvre, la Grande Bobine, une agence de design social nîmoise fondée en 2021 qui compte déjà à son actif plusieurs missions d’accompagnement dans le champ de l’amélioration de la qualité de vie au travail des structures d’insertion, notamment dans le Gard.
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« Cela fait des années que le secteur de l’aide à domicile est soumis à de fortes tensions en matière de recrutement et de fidélisation. La crise sanitaire a remis l’aspect essentiel de ces métiers sur le devant de la scène, mais les conditions de travail, elles, n’ont pas bougé », explique Anicée Maury, designer social au sein de l’agence. C’est précisément autour de cette thématique que la fédération des Familles rurales a choisi de lancer, en mai 2023, une expérimentation impliquant deux de ses sections départementales, dans l’Indre et dans le Loiret. Deux territoires plutôt ruraux et touchés par le vieillissement des effectifs sélectionnés afin de déterminer des scénarios susceptibles d’améliorer la vie professionnelle des aides à domicile de leurs réseaux. Et cela grâce à un co-financement de la CNSA.
Les projets d'amélioration retenus
Pour ce faire, l’agence a choisi de partir du vécu des aides à domicile. D’abord en s’immergeant sur le terrain à leurs côtés, puis en organisant des rencontres, audits et interviews avec les intéressés afin de déterminer les principales thématiques d’amélioration des conditions de travail sur lesquelles avancer. A la suite de cette première séquence, qui s’est étalée sur toute la seconde moitié de l’année 2023, ce travail partenarial a permis d’identifier six orientations stratégiques déclinées en cinq projets, allant de l’amélioration de la fourniture du matériel aux salariés à une meilleure gestion des situations d’urgence, en passant par le travail en binôme sur les cas lourds et complexes (lorsque l’intervention a lieu chez des personnes en fin de vie ou atteintes de démence, par exemple), le tutorat avec d'« anciens » salariés afin de mieux intégrer les nouveaux et, ainsi, réduire le turn-over.
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Timing resserré oblige, l’expérimentation, qui débute ce mois de mars, ne porte que sur un seul projet par territoire, sélectionné à l'issue d'un vote des 180 aides à domicile impliquées dans l’opération. Côté Loiret, c’est l’intégration des nouveaux salariés qui a été retenue. Un scénario pour lequel la fédération locale des Familles rurales a choisi de former deux salariées – peut-être trois – afin qu’elles puissent servir de tutrices et de référentes aux nouvelles venues. « On est plutôt bons sur l’intégration elle-même, mais moins sur l’accompagnement des salariés et sur l’information sur leurs droits. Ce seront nos grands axes de développement », souligne Soline Chandon, conseillère technique en amélioration continue au sein de la fédération.
Dans l’Indre, on a préféré opter pour une série de tests sur le travail en binôme, avec encore quelques tâtonnements sur la façon d’assumer financièrement ce changement. « Il pourra s’agir de faire intervenir deux personnes au domicile une demi-heure au lieu d’une personne pendant une heure, mais certaines familles nous ont assuré être prêtes à supporter le surcoût », détaille Sarah Etieve. Les conclusions de l’expérimentation sont attendues à la fin de l’année.