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A Calais, des squats pour loger les sans abri

Crédit photo Louis Witter
Depuis 2014, les tentatives d’ouverture de squats pour loger les personnes exilées à Calais et dans les alentours ont toutes échoué. Mais une maison vide du centre-ville, réquisitionnée par plusieurs militants début février, compte bien leur ouvrir ses portes prochainement.

Tout commence le 6 février, à l’occasion d’une manifestation internationale d’hommage aux morts aux frontières. A Calais, la marche se lance du parc Richelieu. Elle réunit 400 personnes, venues de plusieurs villes des Hauts-de-France.

Quelques jours auparavant, discrètement, des militants français et européens ont investi deux bâtiments vides de la ville. Le collectif « Calais logement pour tous.tes » communique dans la foulée : « Cette occupation est survenue dans le cadre de la commémoration, une journée de mobilisation internationale à l’initiative des familles et des proches des personnes décédées aux frontières pour dénoncer les politiques migratoires meurtrières du Royaume-Uni, de la France et de l’UE. »

Le premier lieu est le bâtiment J de la cité de Fort Nieulay, quartier populaire de Calais où de nombreuses barres d’immeubles sont vouées, dans les prochaines années, à la destruction. Quand les militants repèrent cette tour vide de neuf étages, ils y voient l’opportunité de réclamer haut et fort un logement décent pour tous, avec ou sans papiers.

Revendications placardées

Dès les premiers jours de l’occupation, les revendications du collectif sont placardées un peu partout dans le quartier : « L'arrêt des expulsions de campements toutes les 48h, la fin du harcèlement des personnes bloquées à la frontière par la police, la régularisation de tous les squats de la ville et enfin, la réquisition immédiate de tous les bâtiments vides à Calais et que des solutions concertées et durables soient proposées à tout.e.s les habitant.e.s, quel que soit leur statut administratif ou de vulnérabilité ».

Très vite, la mairie et la préfecture, qui craignent depuis de nombreuses années la résurgence des squats dans la ville, se mobilisent pour empêcher tout ravitaillement de la quarantaine de personnes présentes dans le bâtiment. Un cordon policier est déployé nuit et jour devant l’immeuble. La commissaire Potel l’assume face aux occupants : « Vous pouvez sortir, mais personne ne rentre. »

Les habitants, choqués, se montrent solidaires

C’est le début d’un siège et de la course contre la montre des autorités avec la justice pour procéder à l’expulsion du bâtiment. Dès les premiers jours, bon nombre d’habitants qui soutiennent cette réquisition sont choqués du dispositif déployé devant chez eux. Il faut dire que dans l’histoire du quartier, les expulsions locatives et les mobilisations pour les empêcher sont restées dans les mémoires collectives.

Alors que les policiers lancent des gaz lacrymogènes pour faire reculer les militants et les jeunes du quartier venus apporter leur soutien aux occupants, une habitante tonne à sa fenêtre. « Tout le monde a le droit à un toit, surtout en hiver, c’est pas normal de laisser des gens à la rue par ce froid », clame-t-elle. Et d’indiquer : « Il y a plein d’appartements vides. Regardez les deux étages à gauche de chez moi, vous êtes les bienvenus ! »


Crédit photo :

Plusieurs soirs de suite, le quartier va être le théâtre de légers affrontements avec la police. La veille de l’expulsion, une quinzaine de personnes sont arrêtées et quatre d’entre elles placées sous contrôle judiciaire avant leur procès qui se tiendra en mars.

Au petit matin du vendredi 11 février, le quartier est de nouveau bouclé par une compagnie de CRS et les policiers du commissariat central de Calais. La sous-préfète est présente et l’expulsion du bâtiment, propriété du bailleur social Terre d’Opale Habitat, n’est qu’une affaire de minutes.

En moins d’une heure, la fin de ce premier squat est signée par l’arrivée du Raid en hélicoptère. Plusieurs hommes armés sont posés sur le toit et ouvrent les accès de l’immeuble à l’explosif. Les occupants en profitent pour s’enfuir par l’entrée principale et l’opération se termine par la soudure de grandes plaques de métal sur les entrées.

La maison Sauvage

Là où les occupants se permettent d’espérer une ouverture plus sereine, c’est au manoir de la rue Frédéric Sauvage, près de la gare des Fontinettes. Cette vieille bâtisse, inhabitée depuis plus de sept ans, a été investie au même moment que l'immeuble de Fort Nieulay.

Depuis l’entrée des militants qui réclament un accueil digne des personnes exilées, la maison fait peau neuve. Travaux, réfection des portes et des fenêtres, rétablissement de l’eau courante... Chacun apporte sa pierre à l’édifice pour en faire un lieu de vie agréable. Olive, ciseaux à bois en main, couvre d’un regard la grande pièce du deuxième étage que deux personnes nettoient à grandes eaux. « Quand on voit les conditions déplorables dans lesquelles vivent les personnes exilées à Calais, sur des terrains vagues sans eau ni toilettes, on doit faire quelque chose », dit-il.

Et ce quelque chose, c’est ce squat, qui pour lui, est une bonne réponse au « harcèlement policier et aux expulsions toutes les 48 heures ». Il précise : « On ne veut pas répondre à la violence par la violence. Ce lieu permettra de sortir de cette spirale. »

Pour le militant, cette maison servira, en effet, « à lutter contre l’éloignement et la dispersion des gens et participera à la déconstruction des frontières, tant physiques que dans nos têtes ». Et de dénoncer la politique locale de précarisation des personnes sans domicile. « Il y a une maison vide sur dix à Calais. La préfecture pourrait parfaitement réquisitionner ces habitations pour loger les gens, mais elle ne le fera jamais », déplore-t-il.

Dans la pièce du bas, dans laquelle rentre un petit rayon de soleil, Loup s’affaire à trier couettes et oreillers. Des dons reçus à la maison pour commencer à aménager les lieux. « C’est génial, on a reçu vraiment plein de choses ces deniers jours !, s’exclame la Calaisienne qui se veut optimiste quant à la possibilité de tenir le lieu. Je pense que cette maison, on va la garder. On va tout faire pour. »

Pour le moment, seule l’électricité n’a pas été remise dans la maison, bien que les techniciens d’Enedis soient venus tenter de la rétablir. Face à la fronde des voisins, qui pour certains voient d’un mauvais œil l’arrivée de ces militants, ils n’ont pas pu aller au bout de leur intervention. « C’est pourtant illégal de ne pas nous rétablir l’électricité », souligne Olive.

Les premiers jours d'occupation, seuls les militants dormaient sur place. Pour ne pas faire prendre de risques inutiles aux personnes sans-papiers qui pourraient être arrêtées en cas d’expulsion. « On a commencé à en parler aux personnes que l’on connaît sur les lieux de vie. Ça prend du temps et on ne pourra certes pas loger 1 500 personnes. Mais déjà, commencer à en parler, c’est important », souligne Olive.

Loup, qui dort sur place depuis plusieurs jours ajoute : « A la mairie, ils ont la phobie des squats, mais au moins cette maison est digne. Plus digne que dehors. »

A cette heure, même si l’un des propriétaires de la maison a déposé plainte, la situation du squat de la rue Sauvage est bien moins tendue qu’elle ne l’était au bâtiment du Fort Nieulay. Seule la possibilité d’une expulsion matinale est dans les esprits, dans l’attente d’une décision de justice.

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