La responsabilité parentale est un sujet politique suscitant le débat dans la société que l’on retrouve en protection de l’enfance avec des parents à la fois disqualifiés, relégués et responsabilisés. Les travailleurs sociaux ont un rôle essentiel à jouer pour déconstruire ces clivages idéologiques pouvant accroitre les inégalités sociales.
En 2015, l’équipe de la maison d’enfants à caractère social (Mecs) où j’exerce, confrontée à des conflits internes, a engagé une réflexion pour travailler sur la condition parentale des enfants accueillis dans notre établissement. Peut-elle devenir un lieu de restauration des liens familiaux tout en conciliant protection de l’enfant et dynamique familiale ? Cette question, au cœur de notre démarche, a permis l’émergence de nouvelles pratiques que je voudrais partager ici.
Créer un lien authentique avec les parents
La première étape a consisté à observer et analyser les réalités du terrain. Les équipes ont relevé que les parents étaient souvent isolés, sans soutien familial ni réseau élargi, ce qui accentuait leur fragilité. De plus, un décalage important était observé entre l’évolution des enfants placés et celle de leurs parents, parfois figés dans des schémas anciens. L’aide sociale à l’enfance elle-même peinait à trouver des outils adaptés pour travailler efficacement avec les familles et leur problématique pourtant repéré. Enfin, les enfants subissaient des parcours de protection fragmentés, passant d’un lieu de placement à un autre sans continuité.
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Face à ces constats, l’équipe de la MECS a décidé d’associer davantage les parents à la mesure de protection de leur enfant. L’idée était de dépasser les actes administratifs pour créer un lien plus authentique avec eux, en les invitant à intégrer pleinement l’institution. Les "réunions parents" (RP) se sont rapidement imposées comme un outil essentiel, permettant de créer un espace de dialogue et de collaboration. Ces réunions, dès l’entretien d’admission, cherchent à accueillir les parents dans un cadre moins conventionnel et moins hiérarchique.
Soutenir la fonction parentale
Les RP sont organisées chaque trimestre et offrent aux parents un temps d’échange autour de thématiques définies collectivement. L’objectif est de permettre aux parents de s’exprimer librement sur leur quotidien, leurs difficultés et leurs attentes, tout en évitant de les enfermer dans les raisons du placement. Ce dispositif s’inspire des travaux de la sociologue, Catherine Sellenet, prônant un modèle collaboratif favorisant le "faire avec" les familles.
Cependant, cette dynamique n’est pas exempte de tensions. Une partie des éducateurs, identifiés aux enfants qu’ils accompagnent, peuvent être dans une certaine résistance à intégrer les parents, perçus comme responsables du placement. Par ailleurs, les parents eux-mêmes, souvent fragilisés, apparaissent déresponsabilisés de leur fonction parentale. Les RP visent à dépasser ce paradoxe en repositionnant les parents comme acteurs constructifs. Ce cadre souple, que le psychanalyste Alain Caillé qualifie d’"objet flottant", a permis d’adopter un cadre flexible permettant d’innover sans rigidité. Ces rencontres favorisent un dialogue réflexif et apaisé entre les parents, les éducateurs et les psychologues, en dépassant les tensions initiales du placement.
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La mise en place de ces réunions n’a pas toujours été évidente. Des résistances ont émergé en interne et parmi les partenaires institutionnels, comme l’ASE ou les juges, qui trouvaient que ce dispositif « ne respectait pas les limites du placement ». Les espaces et les territoires n’étaient pas respecté pour eux. L’ASE avait des réticences à donner « trop » de place aux parents sur le lieux de placement de l’enfant. Cette résistance, porté par la mission de protection première de ces acteurs et de la peur de transformer le paradigme sécurisant qui sépare le parent du lieu de placement de l’enfant. Cependant, des échanges réguliers ont permis de déconstruire certaines postures et représentations professionnelles et d’avancer vers une approche plus inclusive et participative de certain parents.
Transformer les pratiques professionnelles
Les RP représentent un outil puissant pour changer le regard sur les familles. Pendant ces réunions, une psychologue et deux éducateurs veillent au cadre et facilitent les discussions. Tous les parents, y compris ceux éloignés ou incarcérés, sont invités à participer. Les échanges portent sur des sujets pratiques tels que les repas ou les activités, mettant à distance les raisons du placement.
Ces rencontres ont également inspiré la création d’ateliers parentaux, issus des compétences des parents. Ces ateliers permettent de valoriser les savoir-faire parentaux, en renforçant la confiance en soi et en recréant un lien positif avec l’équipe et les enfants. Ces moments de collaboration favorisent une réflexion commune entre parents et professionnels, tout en posant un cadre sécurisant pour tous.
Effets sur les enfants, parents et professionnels
L’impact de ces dispositifs se fait sentir à plusieurs niveaux. Ils produisent un "discours nouveau", croisant l’expertise des familles et les savoirs pratiques des professionnels. Ce dialogue réflexif a des effets réparateurs pour tous les acteurs impliqués. Les enfants, bien qu’extérieurs aux RP, bénéficient indirectement de ces initiatives. En voyant leurs parents valorisés et écoutés, ils peuvent reconstruire une image positive d’eux et se sentir rassurés sur leur lieu de placement.
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Ces dispositifs permettent également de restaurer symboliquement la posture parentale. Les parents, présentés comme des ressources plutôt que comme des figures défaillantes, gagnent en crédibilité aux yeux de leurs enfants. Cette reconnaissance participe à la construction d’un modèle identificatoire sécurisant pour les enfants.
Vers une parentalité croisée
L’exercice de la parentalité ne peut se résumer à l’autorité parentale ou aux actes administratifs. En créant un espace sécurisant et bienveillant, ces dispositifs offrent aux parents l’opportunité de se réapproprier leur fonction parentale. Ils permettent également aux professionnels de mieux ajuster leur accompagnement aux réalités des familles, en renforçant la qualité de la protection apportée aux enfants.
Des initiatives similaires, comme l’Institut de la Parentalité, incarnent une philosophie axée sur le soin et la théorie de l’attachement. Cet institut propose d’accompagner les parents en mettant l’accent sur la sécurisation des liens familiaux, essentiels à l’épanouissement des enfants. Cette structure montre qu’il est possible de repenser les pratiques institutionnelles pour inclure davantage les familles en changeant le paradigme d’accompagnement.
Le pédopsychiatre, Guy Ausloos rappelait : "Les familles ont les compétences nécessaires pour effectuer les changements dont elles ont besoin, à condition qu’on leur laisse expérimenter leurs auto-solutions » (1995). Ce principe doit rester au cœur de l’accompagnement en protection de l’enfance.
Dans ce cadre, les RP se distinguent comme un dispositif à fort potentiel transformateur. Leur mise en place exige de la part des professionnels une posture ouverte et collaborative, soutenue par une réflexion institutionnelle permanente. Ces initiatives illustrent, au-delà des simples missions de protection, qu’il est possible de contribuer à la réhabilitation des parents dans leur rôle éducatif, tout en renforçant le lien entre parents, enfants et professionnels.
Enfin, en favorisant la parentalité croisée, l’équipe s’inscrit dans une démarche durable et inclusive. Il s’agit non seulement de protéger les enfants mais aussi de leur offrir des repères solides pour leur avenir. Pour cela, la capacité d’écoute, d’adaptation et de co-construction des professionnels est essentielle. Ces pratiques résonnent avec la loi Taquet (2022), qui encourage le renforcement des personnes ressources autour des familles et promeut une approche systémique intégrant pleinement les parents dans les dispositifs de protection de l’enfance.