Il dort sereinement dans son landau. Dans quelques heures, Mylann, âgé de 3 mois, se réveillera à Saint-Ouen-des-Alleux (Ille-et-Vilaine), à 40 kilomètres de Rennes. Une nouvelle maison pour une nouvelle vie. Dans celle qu’il laisse derrière lui, il s’appelait Gabriel. Ce bébé est né sous X à Vitré. En attendant de pouvoir être adopté, il a été accueilli à la pouponnière du centre de l’enfance Henri-Fréville de Rennes. La seule du département. Depuis cinq jours, ses nouveaux parents, Frédéric et Mélanie viennent le voir quotidiennement dans une salle de visite dédiée et entièrement aménagée dans l’unité « Filao » (un arbre tropical symbole de résilience). Atteinte du syndrome MRKH (Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser), la jeune femme a appris à l’âge de 15 ans qu’elle n’avait pas d’utérus. Voici cinq ans, elle a débuté avec son mari les démarches d’adoption. « On nous a appelés vendredi dernier, à 12 h 45, pour nous annoncer la bonne nouvelle, se réjouissent-ils. Nous avons pleuré de joie, on n’y croyait pas. Ensuite, tout s’est passé très vite. Nous l’avons vu pour la première fois le lundi suivant. »
Ces derniers jours ont permis à ce nouveau trio de s’apprivoiser. « Il est calme et aime bien les bras. Il est aussi très attentif aux paroles car, ici, ils lui ont beaucoup parlé », observe Mélanie. La pouponnière a accueilli beaucoup de bébés pupilles de l’Etat en 2020 : 11, contre 5 ou 6 habituellement dans le département. Pour l’équipe de professionnels, chaque départ est un moment chargé d’émotion. « On fête toujours ça avec un petit rituel : un pot et un petit cadeau », confie Emmanuelle Jouando, cheffe de service de la pouponnière.
Accueillir, évaluer, orienter
La structure offre 18 places réparties sur trois unités de six places chacune. Dans le cadre de sa mission d’accueil d’urgence et de protection, elle héberge en moyenne chaque année une soixantaine de très jeunes enfants, âgés de 3 jours à 3 ans. Les pupilles n’en représentent qu’une petite partie. La majorité sont des enfants placés sur décision judiciaire afin d’être protégés de situations comportant des risques ou en cas de maltraitance. D’autres arrivent ici sur décision administrative prise par l’aide sociale à l’enfance en accord avec les parents. Durée moyenne du séjour : entre une semaine et un an. Outre l’accueil, la pouponnière assure également une mission d’évaluation et d’orientation. « Nous avons beaucoup de demandes d’admission en ce moment. Peut-être à cause de la crise sanitaire, du confinement et des situations aggravées chez des familles précaires. Nous sommes à flux tendu », indique Emmanuelle Jouando. « Les liens familiaux explosent. Le contexte actuel ne facilite pas le bien-être des familles », ajoute Marie-Laure Leleu, la psychologue de la pouponnière. Une situation qui se traduit concrètement par un sureffectif de trois enfants. « A partir de 18 h, qu’on ait de la place ou pas, on doit accueillir, quitte à pousser les murs », souligne Nicolas Louin, directeur adjoint du centre de l’enfance.
L’équipe de professionnels a appris à s’en arranger. La pouponnière est et doit rester un lieu d’apaisement. Ils y ont d’ailleurs veillé en donnant leur avis au moment de la rénovation, en 2016. L’ergonomie a été entièrement repensée. Les locaux vétustes ont laissé place à trois unités modernes disposées en étoile. Objectif : améliorer le cadre de vie des enfants, mieux respecter leur intimité et celle des parents. « La restructuration de la pouponnière a été imaginée dans le sens d’un accompagnement à la parentalité, avec des endroits où les parents peuvent s’occuper eux-mêmes de leurs enfants, avec le soutien des professionnels », explique Muriel Condolf-Férec, présidente du centre et conseillère départementale déléguée à la petite enfance et à la protection maternelle et infantile. Chaque unité dispose donc de deux salles de visite aménagées de manière sobre, avec évier, tapis de change, fauteuils, table, micro-ondes, et même un jardinet dédié. Dans les couloirs de la pouponnière, les murs et les vitres sont recouverts de stickers colorés aux motifs enfantins. On y croise une myriade d’animaux et de fées. Les chambres, spacieuses, sont individuelles ou doubles. Dans la salle commune, des étoiles en origami sont suspendues au plafond. Les enfants bénéficient d’un espace de jeu douillet où l’on trouve des peluches, des hochets et, bien entendu, l’incontournable Sophie la girafe. Il y a aussi des livres pour les plus grands.
Dans la cuisine, les auxiliaires de puériculture donnent le biberon. La quiétude du moment est interrompue par l’arrivée d’Amir(1), 10 mois et demi. Baskets blanches aux pieds, le bambin se tient maladroitement debout sur ses jambes mais fonce à quatre pattes. Lucie Balé, son assistante familiale, lui retire ses chaussures, découvrant de petits pieds potelés. Amir ne le sait pas encore, mais c’est un grand jour pour lui. Lucie s’éclipse dans le bureau pour parler avec la psychologue des événements à venir. Charlotte, 7 mois, rejoint Amir. Le petit garçon glousse et fait le clown pour provoquer les rires de sa camarade de jeu, placée depuis sa naissance à la pouponnière. La petite fille n’est pas la seule sous le charme. Toutes les auxiliaires de puériculture sont ravies de revoir Amir et s’extasient sur ses progrès. Elles ne l’ont pas vu depuis un mois, date de sa dernière visite médiatisée. « Qu’est-ce qu’il a changé ! s’exclame Eléonore Martinelli, auxiliaire de puériculture depuis neuf ans à la pouponnière. Tu nous reconnais ? On s’est occupés de toi avant que tu sois hébergé chez Lucie. »
Voilà plusieurs mois qu’Amir vit chez cette quadragénaire, l’une des deux assistantes familiales rattachées à la pouponnière. Ces places dans un environnement familial ont été créées très récemment, avec l’objectif de diversifier les modalités d’accueil et de prise en charge, le collectif n’étant pas toujours adapté à certains enfants. Les effectifs d’auxiliaires de puériculture ont par ailleurs été renforcés en 2020, à hauteur d’un équivalent temps plein par unité. La pouponnière représente aujourd’hui 22 % du budget total du centre de l’enfance. Entièrement à la charge du département d’Ille-et-Vilaine, celui-ci a d’ailleurs sensiblement augmenté ces dernières années, passant de 9 millions d’euros en 2015 à 12 millions en 2020. « Concernant les questions de la petite enfance, nous sommes dans une politique volontariste », affirme Muriel Condolf-Férec, la conseillère départementale. Amir commence à chouiner. Il cherche du regard Lucie, dans le bureau. Pour le rassurer, celle-ci lui adresse des grimaces à travers la vitre de la porte. Le petit s’esclaffe. Quant à Charlotte, elle baille, les yeux dans le vague. C’est l’heure de la sieste matinale. Un temps que les auxiliaires de puériculture mettent à profit pour remplir les cahiers de vie quotidienne où sont renseignés l’heure des biberons, des selles, les événements intervenus durant la nuit, etc.
Après s’être entretenue avec Lucie, Marie-Laure Leleu va maintenant apprendre la bonne nouvelle à Amir : l’aide sociale à l’enfance lui a trouvé une famille d’accueil. « Il va la rencontrer lundi. On y va progressivement, et on prête attention à bien préparer tous les acteurs en amont, pointe-t-elle. Nous avons aussi appelé la maman d’Amir. C’est elle qui avait demandé que son fils soit placé. C’est assez rare que ce soit dans ce sens. » Amir a été conçu hors mariage. Sa mère, de culture marocaine, s’est rendue compte tardivement de sa grossesse. « Elle ne peut pas l’élever mais veut garder un lien. Elle demande d’ailleurs régulièrement des nouvelles. Elle lui souhaite d’être reçu dans une famille qui va le choyer », précise la professionnelle. Son rôle consiste notamment à accompagner cette mère dans son cheminement. « Il y a des enjeux familiaux qu’on ne connaît pas, note-t-elle. Elle veut rester à sa place de mère, mais elle a des points de fragilité. » Cette professionnelle apprécie particulièrement de travailler en équipe pluridisciplinaire.
Auxiliaire de puériculture, puéricultrice, éducateur spécialisé ou de jeunes enfants, maîtresse de maison, chacun et chacune accompagnent les enfants à leur manière. « On observe des choses différentes car on n’a pas les mêmes rapports ni les mêmes missions auprès de lui. » Pour Marie-Laure Leleu, la pouponnière est un « lieu de soins intensifs et de réanimation affective et psychique ». Un endroit sécurisé, avec un rythme, des temps adaptés à l’âge et aux besoins des enfants placés. « Certains, par exemple, ne savent pas ce que signifie se mettre à table en famille. » Manque de stimulation, d’affection, maltraitance…Quand ils arrivent, les tout-petits peuvent être très carencés. Les professionnels déploient alors tous les moyens possibles pour leur apporter de l’apaisement. « Ils ont souvent besoin de deux à trois semaines pour se sentir sécurisés. A partir de là, ils vont pouvoir exprimer haut et fort, à leur manière, toutes leurs émotions. » Se remettre à pleurer par exemple alors qu’ils ont pris l’habitude de s’abstenir. « L’enfant a toujours quelque chose à dire et on en accuse réception, ajoute Marie-Laure. Nous agissons afin qu’il s’estime et se légitime. Même bébé, il comprend les intentions quand on lui parle. Ce sont des individus uniques, des sujets acteurs de leurs parcours de vie, qui ont déjà tout un vécu. »
Problématiques de santé en augmentation
La vie à la pouponnière est loin d’être un long fleuve tranquille pour l’équipe. Les groupes peuvent en effet changer d’une semaine à l’autre. « Le défi est de s’adapter à chaque enfant quand il arrive et de l’accompagner avec ses problématiques. On n’a parfois pas son historique. Alors, on s’en passe et cela peut être bien car on n’a pas d’ a priori », souligne Véronique Sicart, 46 ans, auxiliaire de puériculture. Il est 16 h. Jules, 4 mois et demi, prend son goûter. Ses parents viennent d’arriver et patientent dans la salle de visite. Depuis la décision de placement, ils ont le droit de voir leur fils deux fois par semaine. Toutes les visites des parents sont médiatisées. « On vérifie s’ils sont à l’heure, s’ils s’investissent pour leur enfant. Nous sommes présents pour observer ou éventuellement corriger des gestes inadaptés », remarque Véronique. Même si l’implication des professionnels auprès de ces tout-petits n’est que temporaire, elle n’en reste pas moins intense. « Un attachement se crée forcément, et il ne faut pas se l’interdire, notamment pour les enfants. Les départs peuvent être compliqués mais, en général, nous savons que c’est pour du mieux », confie Véronique. L’évolution de la structuration de l’offre institutionnelle départementale en matière de prise en charge sanitaire des tout-petits a conduit progressivement à ce que la pouponnière du centre devienne l’unique interlocuteur proposant de l’hébergement permanent à de très jeunes enfants, y compris à ceux présentant des problématiques de santé parfois lourdes. « Nous accueillons de plus en plus d’enfants en situation de handicap ou atteints de troubles psychologiques ou autistiques, remarque Marie-Laure Leleu. Actuellement, par exemple, ils représentent la moitié des cas dans l’une de nos unités. »
Muriel Condolf-Férec ajoute : « On a pu mesurer que le profil sanitaire des enfants confiés est de plus en plus complexe car il se produit une saturation de l’hôpital public et de la pédopsychiatrie. Sans compter la fermeture, il y a deux ou trois ans, de la pouponnière sanitaire qui dépendait de l’agence régionale de santé. » Cela peut provoquer un impact sur la sécurité et sur les besoins d’encadrement d’enfants vulnérables et dépendants pour tous les actes de la vie quotidienne. Les professionnels sont de plus en plus sollicités pour se rendre aux nombreuses visites médicales, séances de kiné, d’orthophoniste, de psychomotricien, etc. L’augmentation de ces problématiques de santé a aussi des effets sur la durée d’accompagnement. « Nous avons eu le cas il y a quelques mois d’un petit garçon atteint d’un handicap important. Il est resté chez nous dix-huit mois au lieu de cinq ou six habituellement car nous avons eu du mal à trouver une assistante familiale qui accepte de l’accueillir », indique Delphine Le Port, directrice du centre de l’enfance. Afin de pouvoir assumer cette évolution, la pouponnière s’est inscrite à l’expérimentation nationale « Pegase » visant à renforcer le suivi de santé des très jeunes enfants placés, dans le cadre d’un dispositif spécifiquement dédié. Des crédits supplémentaires devraient lui être alloués.
33 pouponnières en France
Selon une enquête de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) parue en mai 2020, il existe 33 pouponnières en France. La moitié d’entre elles sont gérées par des collectivités, l’autre par des associations. La capacité moyenne d’accueil est de 25 places. Celle-ci a légèrement baissé depuis 2012, tandis que le nombre d’enfants hébergés a augmenté de 10 %. Le taux d’occupation s’élève à 95 % et le prix d’une journée à 238 €. Parmi les placements d’enfants qui y sont effectués, 78 % le sont à la suite d’une décision judiciaire.
(1) Certains prénoms ont été modifiés.