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Protection de l’enfance : « Nous sommes à la fin d’un dispositif à bout de souffle »

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Michèle Créoff, juriste, spécialiste de la protection de l'enfance, vice-présidente du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) de 2016 à 2019.

Crédit photo : DR
En Maine-et-Loire, un accompagnant, faisant fonction d’éducateur, a hébergé un ex-enfant placé mis à la rue après sa majorité. En se montrant solidaire du geste du professionnel, l’ancienne vice-présidente du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), Michèle Créoff, bat en brèche le dogme de la bonne distance et pointe les dysfonctionnements structurels de l’Aide sociale à l’enfance (ASE).

Alors qu’un jeune placé depuis ses deux ans et demi (familles d’accueil et foyers) s’est retrouvé à la rue peu après sa majorité, l’accompagnateur social qui le suivait a pris la décision de l’héberger, rapporte Ouest-France dans un récent article. Le contrat jeune majeur du jeune, souffrant de troubles du comportement, avait été résilié un mois après son anniversaire en raison de violences verbales à l’encontre du personnel de l’hôtel où il était placé. Le professionnel qui occupait sur le terrain des fonctions d’éducateur ne disposait pas d’expérience dans le travail social et a été embauché par une agence d’intérim.

ASH : Que révèle cette situation du fonctionnement actuel de l’ASE ?

Michèle Créoff : Elle pointe tout d’abord ce que j’appelle le dilemme de la protection de l’enfance, même si d’autres professions le vivent aussi. Je pense à tous ceux qui travaillent dans un contexte d’urgence, à tous les métiers du soin et de relation à la personne. Tous ces professionnels sont, un jour, confrontés à cette question : comment faire lorsque le dispositif que je sers est si défaillant que je ne plus remplir ma mission ? Je pense que si nous occultons cela, nous passons à côté d’une dimension fondamentale. Un nombre croissant de salariés du sanitaire, du médico-social et du social est aujourd’hui enfermé dans ce dilemme. C’est ce qui est arrivé à ce professionnel, faisant fonction. Il s’est senti obligé pour pouvoir rester fidèle à la relation de confiance qu’il avait construite avec ce jeune de casser la barrière entre vie privée et vie professionnelle en l’hébergeant chez lui.

Cela révèle ensuite la cruauté de la protection de l’enfance. Ce jeune a été placé très tôt. En ayant élevé un enfant et en voyant qu’à la fin de la prise en charge, il se retrouve avec des tels troubles du comportement, comment l’institution peut-elle donner la consigne de le laisser tomber ?

Ce type de situations est-il fréquent ?

Je suis très solidaire de ce jeune professionnel. J'en connais beaucoup d'autres qui comme lui ont, à des moments singuliers de leur carrière, franchis cette barrière. Qu’ils soient chevronnés ou non, diplômés ou non. J’ai moi-même vécu ce type de situations. Nous sommes déchirés dans de pareils cas et heureusement. C’est un mythe de penser que le professionnel est toujours à la bonne distance. Ceux qui ne sont pas prêts à se retrouver face à ce genre de dilemmes abandonnent le métier. En tant qu’encadrante et ayant dirigé des politiques de protection de l’enfance, cela me semble essentiel de reconnaitre cette facette du métier. Autrement, on reste dans la caricature et on évolue hors-sol.

Ce professionnel ne dispose pas d’expérience du travail social et a été embauché par une agence d’intérim. Qu’est-ce que cela traduit ?

Cela met en lumière l’effondrement de la protection de l’enfance. Nous manquons cruellement de professionnels. Notre outil de formation est cher, inadéquat et mal financé. J’accompagne des personnes voulant devenir éducateurs. S’ils ne sont pas chômeurs, au RSA, ou s’ils ne sortent pas de Parcoursup, les trois années de formation leur coûtent 18 000 euros. C’est exemple illustre la manière dont nous avons scié la branche sur laquelle nous étions assis au nom de la décentralisation. Nous ne sommes pas non plus attractifs en termes de rémunération. Il y a 25 ans, il était déjà question d’actualiser les conventions collectives pour obtenir des salaires décents pour le travail social.

Je rappelle aussi que 55 % des familles d’accueil partiront en retraite dans les 5 ans et ne seront pas remplacées. Nous sommes à la fin d’un dispositif à bout de souffle, qui n’arrive plus à prendre en charge les jeunes, à appliquer les lois, les mesures judiciaires, ni à former les professionnels.

Quels conseils donner aux travailleurs sociaux qui se retrouvent dans ces situations ?

Ce n’est pas à eux que je donnerais des conseils. Ce professionnel a fait ce qu’il fallait. Il a mis à l’abri le jeune en l’hébergeant dans des conditions difficiles et il a ensuite cherché des recours pour faire valoir ses droits. Il est surtout essentiel de réformer profondément la protection de l’enfance au regard des savoirs dont nous disposons aujourd’hui et des modalités d’action que nous connaissons. Nous avons assez de référentiels de bonnes pratiques, d’évaluations des capacités parentales…

Ces enfants sont très souvent contraints d’avoir une enfance institutionnelle, car il existe une sacralisation des liens d’origine. Si les parents ne sont pas capables d’exercer leur autorité parentale au bout de quelques temps, donnons à ces jeunes la chance d’une deuxième famille. Ensuite quand l’institution élève ces individus, elle le fait mal car elle n’applique pas les savoirs en sa possession. Comment cet enfant pris en charge a-t-il pu développer de tels troubles du comportement ? C’est parce que nous ne sommes pas en mesure d’éviter les ruptures d’attachement. Nous connaissons pourtant les conséquences d’un attachement insécure sur les troubles du développement de l’enfant et notamment sur les troubles du comportement. Mais nous continuons de créer des parcours de ruptures.

Que risque ce professionnel ?

Son diplôme ne pourra pas lui être retiré vu qu’il n’en a pas, si j’ai bien compris. En tant qu’intérimaire, il ne peut pas avoir de sanction disciplinaire. Et il n’existe pas non plus d’ordre ayant des compétences disciplinaires pour les éducateurs, comme c’est le cas pour les médecins. Je ne vois donc pas vraiment ce qu’il risque. En revanche, s’il avait laissé ce jeune à la rue en connaissant sa vulnérabilité et que celui-ci avait été poignardé par quelqu’un dans la gare où il essayait de dormir, à ce moment-là, la responsabilité pour non-assistance à personne en danger aurait pu être évoquée.

 

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