Le secrétaire d'Etat à l'enfance et aux familles, Adrien Taquet, s'en félicite dans un communiqué : le projet de loi relatif à la protection des enfants, qui devrait être entériné entre le 20 et le 24 janvier par le Sénat et l'Assemblée nationale, est une « loi ambitieuse » qui « permettra aux enfants protégés par l’aide sociale à l’enfance [ASE] de préparer leur avenir, d’envisager sereinement leur autonomie et de lutter contre les inégalités de destin ».
De leur côté, les acteurs du secteur s’accordent à penser que le texte comporte des avancées intéressantes, mais regrettent qu’il ne propose pas une évolution de la vision globale de la protection de l’enfance : « Le projet modifie des éléments par-ci par-là, mais n’est pas porté par une réflexion de fond sur ce qu’est l’assistance éducative aujourd’hui », regrette Sophie Legrand, juge des enfants et secrétaire générale du Syndicat de la magistrature.
Les principales avancées
Pour Jean-Pierre Rosenczveig, ancien juge des enfants au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), la loi « s’attache à humaniser la prise en charge des enfants et des jeunes suivis par l’ASE ». A commencer par les jeunes majeurs, auxquels l’aide sociale à l’enfance devra proposer obligatoirement un accompagnement à leur sortie des dispositifs à l’âge de 18 ans – et ce jusqu’à leurs 21 ans – ainsi qu’un bilan au bout de six mois. Ceux qui auront refusé cet accompagnement pourront revenir sur cette décision et prétendre à ce soutien pendant les trois ans suivant leur majorité. De plus, l’article 3 bis I leur accorde une priorité dans l’attribution des logements sociaux.
Une évolution très importante pour éviter les dramatiques « sorties sèches », abonde Fabienne Quiriau, directrice générale de la Cnape, qui note également « une vigilance renforcée à juste titre – via des contrôles – concernant les personnes qui s'occupent des enfants, et l'accentuation de l'attention portée à la santé des enfants protégés, à renforcer cependant envers les tiers dignes de confiance et les membres de la famille ».
Ainsi, l’article 3 bis E déclare que le bilan de santé à l’entrée du dispositif de protection de l’enfance « doit formaliser une coordination de parcours de soins, notamment pour les enfants en situation de handicap », et l’article 3 bis F précise que « le rapport de situation remis au juge des enfants comprend notamment un bilan pédiatrique, psychique et social de l’enfant ».
Ecouter la voix des enfants
La parole des enfants est également mieux prise en compte. Sophie Legrand relève l’audition systématique des enfants seuls par le juge des enfants, dans le cadre des audiences d’assistance éducative, « une pratique auparavant informelle des magistrats, malheureusement souvent contrariée par le manque de temps, alors qu’elle est essentielle ». De plus, le juge pourra désigner un avocat à l’enfant même si ce dernier n’en fait pas la demande.
Par ailleurs, le projet de loi instaure un examen plus systématique du recours à la famille élargie, aux tiers dignes de confiance, en cas de placement, qui devront être accompagnés par les services de l’ASE tout au long de leur mission et soutenus par une allocation financière quel que soit leur département de résidence. Aujourd’hui en France, seuls 7 % des enfants confiés vivent chez un membre de leur famille ou de leur entourage.
Pour les mineurs non accompagnés, l’article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles (CASF) déclare que le conseil départemental devra mettre en place un accueil provisoire d’urgence, quelle que soit son identité réelle. Une mise à l’abri qui sera confirmée ou non par l’enquête sur sa minorité alléguée.
Enfin, les assistants familiaux, qui accueillent aujourd’hui 76 000 enfants placés, bénéficieront d’une rémunération minimale garantie dès le premier enfant accueilli, et seront mieux intégrés dans l’équipe sociale qui les emploie.
Des réserves et enjeux variables
L’hébergement des enfants de l’ASE à l’hôtel, si souvent décrié, est définitivement interdit. Pendant une période transitoire de deux ans, aucun enfant ne pourra être hébergé plus de deux mois dans une structure hôtelière, et devra l’être dans des conditions de sécurité physique et éducatives renforcées. Pour Jean-Pierre Rosenczveig « ce n’est pas le recours ponctuel dans des cas bien spécifiques à l’hébergement hôtelier qui est problématique, mais le manque de suivi éducatif réel et garanti. Une disposition qui n’apparaît pas dans la nouvelle loi. »
En ce qui concerne le nouveau mode de gouvernance de l’ASE, la déception est grande, car « on est loin, soupire l'ancien juge pour enfants, de la modifier comme annoncé ». Fabienne Quiriau regrette : « L’évolution de la gouvernance est encore tellement abstraite qu’il est difficile d’y comprendre quelque chose. Quels effets, le regroupement de certaines instances, par exemple, aura-t-il sur l’amélioration du dispositif, tant au niveau national que local ? Le texte en l’état ne permet pas de le savoir. »
Aucune lisibilité sur les moyens nécessaires
Enfin, les craintes les plus vives concernent la mise en œuvre de ce texte, au regard des moyens qu’il nécessite et dont nul ne sait s’ils seront alloués : « C’est une loi qui ajoute de l'exigence à juste titre dans l'intérêt des enfants, explique Fabienne Quiriau, mais qui risque d'accentuer le sentiment d'impuissance ressenti par les professionnels face à des situations qui nécessitent du temps ; et sans doute des tensions avec les gestionnaires associatifs, dont les budgets apparaîtront encore plus contraints. »
Sophie Legrand de conclure que la nouvelle loi va dans le bon sens sur de nombreux points, « mais, comme toujours, ce seront les moyens débloqués pour sa mise en œuvre qui seront déterminants. Combien de décisions sont mal exécutées aujourd’hui, faute de moyens ? »