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Edouard Durand : « Pourquoi revient-on sur ce que la Ciivise a réussi ? »

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Pour le juge Edouard Durand : ."Je crois que les démissionnaires ont montré que lutter contre des violences sexuelles impliquait des principes fondamentaux, comme notamment celui de dire les choses clairement"

Crédit photo Capture écran France Culture
Après la démission, jeudi 14 décembre, de onze membres de la Ciivise, Edouard Durand, son ancien co-président, livre ses doutes sur le changement de composition de la commission et sur ses nouvelles missions.

 

"On se lève et on se casse" a tweeté Arnaud Gallais le Cofondateur du collectif Prévenir et Protéger et de Mouv’Enfants. Edouard Durand écarté, comme lui 11 membres de la Ciivise ont démissionné le jeudi 14 décembre dont la psychiatre Muriel Salmona présidente de l'association Mémoire Traumatique et victimologie, ou encore Laurent Boyet, le fondateur de l’association « Les papillons ».  « Nous déplorons que les deux coprésidents n’aient pas été préalablement informés ni du maintien de la Ciivise ni de la nomination de Sébastien Boueilh, et donc de l’éviction d’Edouard Durand », ont-ils affirmé dans un communiqué.

Entre autres griefs, ils ne croient pas à l’indépendance revendiquée par Caroline Rey-Salmon, la nouvelle vice-présidente de la commission dans les ASH. Et Edouard Durand non plus…

ASH : Onze membres de la Ciivise ont annoncé leur démission, notamment pour protester contre le non-renouvellement de votre mandat. Qu'en pensez-vous ?

Edouard Durand : La Ciivise (Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) est un collectif et un collectif engagé. Comme la réaction de mes collègues le prouve, c’est un collectif qui pendant trois ans a été soudé pour remplir sa mission le mieux possible. Je crois que les démissionnaires ont montré que lutter contre des violences sexuelles impliquait des principes fondamentaux, comme notamment celui de dire les choses clairement. Quand des déclarations ont, par exemple, sous-entendu que les membres de la Ciivise avaient été rencontrés et qu’ils avaient indiqué qu’ils ne voulaient pas rester, ces personnes ont voulu clarifier les choses et ne pas se laisser embarquer dans des propos confus.

Estimez-vous, comme le dit le communiqué, que l’indépendance de la commission soit menacée ?

L’indépendance est fonction de plusieurs paramètres : de l’état d’esprit des personnes nommées qui sont censées être indépendantes, de l’organisation qui confère une indépendance à une instance, et enfin de la mission de cette instance. Si cet organisme créé pour remplacer la Ciivise, qui n’est pas la Ciivise, est un comité de suivi des préconisations formulées par elle, en quoi consiste l’indépendance ?

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En ce qui me concerne, j’étais présent à plein temps pour recueillir des témoignages, auditionner des experts, organiser des réunions publiques, rencontrer des institutions, piloter des formations. Alors quand la secrétaire d’Etat chargée de l’enfance a expliqué au Sénat, il y a peu, qu’elle n’avait pas besoin de budget parce qu’il y avait un emploi permanent qui était déjà financé, ce qui lui paraissait largement suffisant, cela signifie-t-il que la Ciivise ne sera constituée que d’une personne ? Les autres se réuniront-elles seulement de temps en temps ? Moi, j’étais là tous les jours. C’est en assumant une mission chaque jour que l’indépendance se construit. Grâce à un engagement réel, concret dans le temps.

Les deux personnes nommées à la présidence ont admis être en désaccord avec certaines des préconisations de votre rapport. Cela vous inquiète-t-il ?

Dans leur très grande multitude, les personnes victimes de violences sexuelles et les personnes investies dans la protection des enfants ont toujours dit avoir besoin d’une parole claire. Or on peut reconnaître une chose à la Ciivise : sa clarté. Dans notre commission, il n’y a pas eu d’ambiguïté, pas d’équivoque. Ceux qui n’étaient pas d’accord ont toujours pu le dire. Là, ce qui ne me paraît pas clair, c’est la raison pour laquelle on ne dit pas un mot de l’appel à témoignage. C’est aussi qu’on sépare le témoignage des adultes anciennement victimes et les enfants actuellement victimes. Pourquoi revient-on sur ce que la Ciivise a réussi, à savoir penser la protection des enfants par le témoignage dont les adultes ont été victimes dans leur enfance ? Pourquoi, avant même le démarrage de cette nouvelle instance, opposer bien injustement les adultes et les enfants ?

Le changement de présidence implique-t-il un désaveu de la doctrine de la Ciivise ?

J’ose espérer que ce ne sont pas des questions de personnes mais de doctrine qui ont conduit à congédier les personnes engagées à la Ciivise. Donc, évidemment que la nouvelle composition de l’équipe implique des changements sur le fond. S’il s’agissait notamment de remettre en cause la doctrine « je te crois, je te protège », cela m’inquièterait beaucoup. Seuls 8 % des enfants qui révèlent des violences obtiennent un soutien social positif. Cela signifie que 92 % des enfants qui les dévoilent n’obtiennent pas ce soutien. Quand l’enfant se confie à un professionnel, dans 60 % des cas ce dernier ne fait rien. Notamment parce qu’il répond au mineur : « il faut que j’analyse ta parole ».

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Comment voulez-vous qu’un enfant à qui l’agresseur impose le silence se confie à un adulte si ce dernier lui dit : « je vais devoir analyser ta parole » ? Dès l’introduction du rapport, je l’ai déclarer, il faut se méfier des gens qui prétendent occuper une position de neutralité à partir de laquelle se définissent et se mesurent toutes les autres positions. Nul n’a le droit de se revendiquer neutre. Il y a toujours une prise de position. Celle-ci peut être exprimée clairement et loyalement, ou ne pas l’être. Mais si on souhaite analyser la parole de l’enfant, cela revient à dire qu’on ne le croit pas.

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