Il y a le cas de W., accueilli depuis trois mois dans un service d’accueil d’urgence, qui décide un soir de mai de venir frapper M., 5 ans, endormi dans sa chambre. Depuis le 23 mai, l’adolescent de 12 ans ne cesse de se moquer des autres jeunes, de provoquer, de s’opposer, ou de menacer les éducateurs. Jusqu’au 11 juin, où W. finit par verser de l’eau brûlante sur M et le blesse.
Il y a le cas de L., 14 ans, présent depuis douze mois au foyer – neuf mois de plus que prévu par la charte d’urgence. Le 8 mai, il frappe et humilie un camarade en le contraignant à se mettre à genoux. Un mois plus tard, L. menace de mort plusieurs professionnels et s’en prend physiquement à l’un d’entre eux.
Ou encore le cas de K., 10 ans, placé depuis neuf mois dans un autre foyer – six mois de trop par rapport à la charte – qui détruit le mobilier de sa chambre puis celui d’un jeune avec qui il est en désaccord. Et aussi celui de M., 13 ans, qui tente de s’étrangler avec une rallonge électrique. Menaces, insultes, violences envers soi-même ou les autres, bris de meubles et de vitres, fugues, tentatives de suicide.
Une longue litanie d’incidents au sein des foyers d'urgence, recensés par dizaines dans une missive adressée le 21 juin par les cadres du Centre départemental de l'enfance et de la famille (CDEF) des Côtes-d’Armor au président du conseil départemental. Une lettre, la CGT en a aussi envoyée une deux jours plus tôt. « Nous sommes en sureffectif chronique depuis un an. Il n’y a de place nulle part, et pas une journée sans que n’arrive un nouvel épisode de violence, se désespère son auteur Stéphane Morel, secrétaire général CGT-CDEF du département. Même ceux qui n'avaient pas de troubles se mettent à en développer. Etre témoin du mal-être de ces enfants est insupportable. Nous alertons le département depuis décembre, mais nous ne sommes pas entendus. »
Debrayage
C’est pourquoi, en grève depuis le 22 juin, les professionnels du centre ont décidé de venir manifester, aujourd’hui 28 juin, devant les locaux du conseil départemental. Rejoint par d’autres agents de la protection de l’enfance, ils sont une centaine rassemblée devant le bâtiment.
Résorber et stopper le sureffectif pour garantir la sécurité, les besoins et les droits des enfants accueillis au CDEF et en famille d’accueil, en respectant la charte d’urgence et les projets de tous les services du centre, orienter les mineurs présents depuis plus de trois mois de manière urgente et adaptée, ou garantir des conditions de travail acceptables aux professionnels font partie des revendications des grévistes. En résumé, stabiliser durablement le dispositif départemental de protection de l’enfance.
Un débrayage que Cinderella Bernard, vice-présidente communiste du conseil départemental des Côtes-d’Armor, chargée notamment de la protection de l’enfance, « comprend » parfaitement. Elle aussi a décidé d’alerter « au sommet de l’Etat » de cette situation explosive.
Sureffectif et temps d'attente chroniques
Déjà, en 2019, les personnels du CDEF s’étaient mis en grève pour protester contre le sureffectif. L’ouverture d’un centre avait temporairement apaisé la situation. Mais depuis un an, les lieux d’accueil d’urgence sont de nouveau au bord de l’implosion.
En moyenne, huit mineurs sont confiés alors que les locaux doivent officiellement en héberger six. Les pouponnières, elles, reçoivent jusqu’à 19 enfants pour les 12 lits qu’elles comptent. Et les temps de prise en charge de ces structures sont tout aussi alarmants : 8 à 14 mois pour les mineurs, et jusqu’à 18 mois pour les 0-3 ans. Résultat, les arrêts de travail, mises en disponibilité et démissions se multiplient.
Une enquête sur les risques psycho-sociaux menée en mars dernier a révélé un indice de charge mentale extrêmement préoccupant. « Notre mission est d’accueillir inconditionnellement en urgence les jeunes en danger pendant trois mois, le temps de les observer et de décider d’une orientation adaptée, rappelle Thomas Gauvin, moniteur-éducateur, membre de la CGT. Certains restent trop peu de temps pour nous le permettre, d’autres sont en attente depuis des mois, sans que nous ne puissions rien mettre en place pour stabiliser leur quotidien, puisqu’ils sont là provisoirement. Nous ne sommes pas les seuls. Tous les services de protection de l'enfance sont en crise. Notre département est sous-doté, y compris par rapport aux autres départements de la région. »
Certes des recrutements ont été effectués. Mais ils peinent à compenser les nombreux départs. Et on est encore loin des 195 places de lieux de vie programmées pour désengorger les foyers départementaux d’urgence. Par exemple, parmi les 65 lits planifiés en maisons de fratries, seuls dix sont pour l’instant effectifs. Des retards qui rendent Stéphane Morel pessimiste : « Avec les vacances qui arrivent, et la fermeture d’un centre provisoire prévue début septembre, je ne sais pas comment nous allons passer l’été. »