Pour le moment, dans la protection de l’enfance, la continuité pédagogique n’est pas identifiée comme une priorité. Les acteurs du secteur restent focalisés sur les urgences que sont l’absence de protection sanitaire et, surtout, le manque de personnels. Mais la poursuite de la scolarité constitue néanmoins l’une de leurs préoccupations. Comme le rappelle Marie-Laure de Guardia, présidente du Groupement national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso) : « L’enjeu pour un enfant de la protection de l’enfance est toujours la scolarité car c’est ce qui le tient dans un milieu ordinaire et dans une logique positive de projet. C’est encore plus vrai aujourd’hui. » Dans certains foyers, cela se passe bien. Comme en Savoie, où le Foyer de l’enfance de Chambéry a pu réaffecter le personnel des services qui ont fermé pour aider à assurer cette continuité scolaire. Laquelle fait d’ailleurs partie du projet de l'établissement – ce qui n’est pas le cas sur l’ensemble du territoire.
Fracture numérique
Du côté des structures collectives telles que les maisons d’enfants à caractère social (Mecs), deux problématiques compliquent sa mise en place. La première est le taux d’absentéisme du personnel : en moyenne de 20 %, voire davantage dans de nombreux établissements. Un tel taux s’explique, d’une part, par des arrêts pour garde d’enfant. En effet, malgré que les lieux de garde dédiés aux soignants sont, sur le papier, accessibles depuis le 23 mars au personnel de la protection de l’enfance, cette ouverture n’est pas effective sur tout le territoire. D’autre part, des salariés jugés vulnérables sont dans l’obligation d’interrompre leur activité. Vient s’ajouter la question du matériel, en particulier le nombre insuffisant d’ordinateurs et de clés 4G, toutes les structures ne possédant pas la wi-fi. C’est le cas pour de nombreux logements en autonomie ou semi-autonomie. Chef de service de l’Institut départemental pour la protection de l’enfance et l’accompagnement des familles de la Vienne (Idef86), Stéphane Tessereau le constate : « Nous avons des difficultés pour les jeunes en formation professionnelle, car ils sont dans leur appartement sans ordinateur pour travailler. Les cours par correspondance sans matériel informatique, c’est compliqué. De plus, ces appartements ne sont pas équipés de connexions Internet. »
Cette problématique matérielle n'affecte pas uniquement les structures collectives. Les enfants suivis en protection de l’enfance à domicile ne sont pas mieux équipés. Pour la plupart des familles en accompagnement éducatif en milieu ouvert (AEMO), généralement en situation de précarité, la possession d'un ordinateur à domicile n'est pas la norme. Et encore moins celle d'un équipement pour chaque enfant. « Que ce soit dans les établissements ou à domicile, il y a une fracture numérique qui rend problématique la continuité scolaire pour de nombreux enfants. Ceux-ci, de plus, n’ayant pas forcément des accompagnants qui maîtrisent les outils informatiques », commente Marie Lambert-Muyard, conseillère technique « enfance, familles, jeunesse » de l’Uniopss.
Débordements et inégalités
Pour pallier ce manque, Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, et son homologue chargé du numérique, Cédric O, ont lancé le 27 mars dernier une plateforme de dons de matériels informatiques pour l’aide sociale à l’enfance (ASE) à destination des entreprises et des particuliers. Un premier pas. Mais qui ne suffira pas pour résoudre les difficultés de la continuité pédagogique. Le personnel des établissements, en nombre nettement insuffisant, n’a pas forcément l’expertise pour remplir une telle mission. « Dans un de mes services, une jeune fille prépare son bac scientifique, explique Stéphane Tessereau, de l’Idef86. Aucun des éducateurs n'est en capacité de fournir une aide en mathématiques de ce niveau. Nous avons trouvé une personne de bonne volonté, professeur à la fac de Poitiers, qui lui dispense un accompagnement individualisé via Skype ou Discord. C’est précieux, car il nous manque des compétences sur les différents domaines d’apprentissage des jeunes que nous suivons. » Parallèlement, il existe également une réticence de certains enfants à se mettre au travail scolaire, qui peut entraîner certains débordements. Cette situation apparaît également chez les assistants familiaux, pour qui l'exigence de continuité scolaire est une responsabilité supplémentaire : « Quand on accueille des gamins qui sont en permanence sur la corde raide au niveau scolaire, leur imposer trois heures de travail à la maison alors qu’ils n’en ont pas envie peut vite nuire à la sérénité de la famille », commente Marie-Noëlle Petitgas, présidente de l’Association nationale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux (Anamaaf).
Malgré les difficultés, les acteurs de la protection de l’enfance s’efforcent de fournir l’accompagnement nécessaire avec les moyens du bord, car tous sont conscients de l’importance de la continuité pédagogique. « Les enfants suivis par nos services ont, globalement, un niveau scolaire en dessous de celui de la population générale. Si le confinement perdure et que nous n’arrivons pas à maintenir un niveau d’enseignement suffisant pendant cette période, le risque est que les inégalités se creusent encore plus », appréhende Claude Fasula, directrice de I’Idef86. Une crainte partagée par de nombreux professionnels de l’ASE. Aux côtés de la majorité des organisations et associations du secteur, ceux-ci réclament la mise en place d'un partenariat avec l’Education nationale afin que les enfants protégés bénéficient d’un accompagnement en présentiel de professeurs. Cette solution se rencontre parfois localement. Toutefois, un tel partenariat permettrait que l’engagement de professeurs auprès des enfants protégés ne dépende plus seulement d'initiatives individuelles, mais qu'il soit encadré et favorisé par le ministère de l’Education nationale.