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Plaidoyers pour les droits des mineurs isolés de la région de Calais, dont celui de vivre en famille

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Alors que l'Etat tarde à remplir ses obligations de protection des mineurs isolés présents dans les campements de Calais et des territoires voisins, les associations, inspirées par une récente décision de justice britannique, soutiennent une série d'actions en justice.

La décision a ouvert une brèche juridique pour améliorer le sort de mineurs isolés des campements de réfugiés du Nord-Pas-de-Calais, où survivent aujourd'hui quelque 10 000 personnes, selon les estimations des associations. Le 21 janvier, le président du tribunal de l'immigration et de l'asile de Londres a enjoint au ministère de l'Intérieur britannique de laisser quatre jeunes migrants syriens vulnérables entrer au Royaume-Uni, en attendant que la France se saisisse de leur demande d'asile. Soutenus par un réseau associatif anglais, les requérants, trois mineurs victimes de troubles psychologiques post-traumatiques et un jeune adulte atteint de troubles mentaux, ont fait valoir la présence de parents sur le sol britannique et leur souhait d'obtenir le statut de réfugié. Cette décision, qui équivaut à un référé libertés en France, est importante pour plusieurs raisons. Longue de 26 pages, elle montre que la justice britannique se fonde sur l'extrême vulnérabilité des personnes concernées, mais aussi sur leurs conditions de vie dans la jungle de Calais. Avec des termes peu amènes pour la situation française : des conditions déplorables, "inimaginables pour les citoyens d'un pays développé", peut-on lire dans le texte.

Décision importante

Le jugement fait également référence à l'ordonnance rendue par le tribunal administratif de Lille – confirmée par une décision du Conseil d'Etat après que l'Etat a fait appel du premier jugement – enjoignant aux pouvoirs publics de mettre en oeuvre des mesures sanitaires d'urgence pour améliorer les conditions de vie des migrants à Calais, mais éga­lement "procéder, dans un délai de 48 heures, au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se ­rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement". Au coeur de la motivation juridique aussi : les difficultés de mise en oeuvre du droit d'asile et de l'application du règlement "Dublin" en France, en particulier pour les mineurs non accompagnés. Selon le droit européen, le premier Etat membre où le migrant s'est présenté doit prendre en charge sa demande d'asile. Mais le principe d'unité familiale doit prévaloir, en particulier pour les mineurs isolés. Compte tenu de plusieurs obstacles, dont l'absence d'accompagnement dans la démarche, "la procédure d'enregistrement de demande d'asile d'un enfant prend au moins trois mois. Elle est suivie par une décision sur l'application du règlement 'Dublin'. La réponse de 'prise en charge' par un autre Etat membre a peu de chance de se concrétiser avant que presqu'un an ne se soit écoulé depuis le début de la procédure", explique le jugement anglais. Ce qui est de toute ­évidence inadapté pour répondre à un besoin urgent de protection.
Au final, le tribunal londonien a cherché à articuler le règlement "Dublin" et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) sur le droit à une vie privée et familiale. Par un subtil compromis, il ordonne que les quatre migrants devront adresser aux autorités françaises une demande d'asile et être autorisés à entrer en Grande-­Bretagne, en attendant que soit déterminé le pays responsable de leur demande d'asile, la France ou plus vraisemblablement l'Angleterre. La justice anglaise a "souhaité garder un équilibre général entre le règlement 'Dublin' et l'article 8 la CEDH", commente Lucile Abassade, avocate spécialiste des droits des étrangers, qui enseigne le droit anglais à l'université du Havre. Le jugement ne va pas à l'encontre du droit européen, "mais prouve qu'il ne s'applique pas, car peu de mineurs déposent une demande d'asile en France, puisqu'ils sont tolérés jusqu'à leur majorité", ajoute-t-elle, regrettant néanmoins que soit passé sous silence le rôle de l'aide sociale à l'enfance. En revanche, "la décision conclut que laisser les requérants en France contreviendrait à l'article 8 de la CEDH". Pour l'avocate, cette décision est cependant "un pied de nez au règlement 'Dublin', qui en outre a une approche plus limitative de la notion de famille". Elle pourrait "amener les Anglais à rencontrer plus de dossiers de ce type, sauf si le gouvernement fait appel, et montre que la responsabilité de laisser entrer ou pas en Angleterre n'est pas celle de la France, qui en réalité n'a aucun fondement légal pour empêcher les migrants de partir".

Recours en justice

Le jugement inspire les soutiens associatifs aux migrants. "Les avocats anglais ont passé beaucoup de temps dans la jungle, et le fait qu'ils dressent un état des lieux de la situation a suscité beaucoup d'espoir", rapporte Camille Six, juriste pour la Plateforme de service aux migrants, un réseau d'associations intervenant auprès des exilés dans le Nord-Pas-de-Calais, à Cherbourg et à Paris. Parmi les associations, Médecins du monde et le Secours catholique ont d'ores et déjà annoncé s'en remettre à la justice. "Afin de contraindre l'Etat à prendre ses responsabilités, nos associations ont décidé d'intervenir volontairement en soutien à plusieurs référés-libertés déposés par des mineurs isolés étrangers au tribunal administratif de Lille, afin que des mesures de protection soient appliquées et les droits de ces mineurs protégés. Il s'agit en particulier d'obtenir des pouvoirs publics qu'ils se décident à mettre en oeuvre les procédures permettant à ces jeunes de rejoindre légalement le Royaume-Uni et y retrouver leurs proches", ont fait savoir les associations dans un communiqué du 2 février. Elles rappellent que, dans les camps de Calais et de Grande-Synthe, plusieurs centaines de mineurs isolés vivent dans une très grande précarité, particulièrement vulnérables, exposés à de nombreuses violences. "Aucune campagne d'information sur leurs droits au rapprochement familial ou au titre de l'asile n'a été proposée", font-elles valoir. Dans ce contexte, elles déclarent intervenir auprès du juge des référés pour qu'il contraigne l'Etat, d'une part à "déclencher, par la saisine du procureur, la nomination d'administrateurs ad hoc aptes à représenter les mineurs et à garantir l'effectivité de leurs droits", et, d'autre part, à "mettre en oeuvre les procédures prévues pour que les mineurs ayant des proches au Royaume-Uni puissent les rejoindre légalement, par l'appli­cation des accords européens, et per­mettre ainsi le rapprochement familial en toute sécurité".
En rappelant l'Etat à ses obligations, les associations vont immanquablement "surfer sur la décision anglaise", indi­que Jean-François Corty, directeur des missions France de Médecins du monde, précisant que des recours ont été déposés le 1er février pour cinq mineurs. Les audiences au tribunal devaient avoir lieu vendredi 5 février. "Nous souhaitons faire valoir le droit des mineurs isolés qui ont de la famille en Angleterre à la rejoindre, et faire appliquer le règlement 'Dublin', selon lequel la présence de la famille prévaut sur le lieu d'enre­gistrement des empreintes", souligne ­Vincent de Coninck, chargé de mission à la délégation Pas-de-Calais du Secours catholique. "Car il n'est jamais appliqué, sauf quand cela arrange l'Etat !".

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