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Placés, mais pas séparés : l'expérience des « maisons des fratries »

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HL -FRANCE - PLESTAN - L ENVOL

Une sœur aînée joue avec ses deux frères à la maison des fratries de Plestan.

Crédit photo Jean-Michel Delage
Dans les Côtes-d’Armor, l’association L’Envol a créé, il y a quelques mois, deux « maisons des fratries » pour que frères et sœurs puissent rester ensemble. Reportage dans l’une d’elles, à Plestan.
 
 

C’est une belle maison en pierre qui surplombe un jardin verdoyant. Une bâtisse comme une autre, dans ce lotissement. Dans l’entrée, une dizaine de paires de chaussures d’enfants et un porte-manteau familial bien garni. Au milieu de la cuisine baignée de lumière, une grande table bleue et, juste derrière, un bahut où sont posées plusieurs corbeilles débordant de fruits. Ce mercredi matin, Martine Pichon est déjà à pied d’œuvre depuis 7 heures. Maîtresse de maison, cette quinquagénaire est chargée de l’entretien, des courses, des repas, du linge et des trajets scolaires à la maison des fratries de Plestan (Côtes-d’Armor).

Samantha (1), 14 ans, papillonne d’une pièce à l’autre, sans jamais se poser. L’adolescente en short en jean multiplie les allers-retours dans la cuisine, cherchant visiblement à capter l’attention de Martine. « Pourquoi la compote est sortie ? On va faire un gâteau ? », s’enquiert-elle. « Non, tu sais bien qu’on n’a pas encore de four », lui répond la maîtresse de maison. En effet, cela ne fait qu’un petit mois que Samantha, Eléonore, Baptiste, Titouan, Anna et Ilyes ont emménagé dans cette Mecs (maison d’enfants à caractère social).

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Ces six jeunes de 7 à 15 ans appartenant à deux fratries différentes sont accueillis ici en internat, pris en charge par l’association bretonne L’Envol. Il s’agit de l’un des deux établissements de ce type dans le département. Le second, à Saint-Brieuc, est également habilité à accompagner six enfants accueillis au titre de la protection de l’enfance dans le cadre de mesures judiciaires (placement provisoire), administratives (accueil provisoire) ou en urgence dans le cadre d’une ordonnance de placement provisoire. Le but est d’éviter la double rupture dans le cadre d’un placement. Accueillis ensemble dans un même foyer, les frères et sœurs vivent moins durement la séparation d’avec leurs parents. Le lien familial, élément de stabilité, est maintenu à travers la cohésion de la fratrie et renforce, pour les plus petits, le sentiment d’être protégé. En créant ces structures dédiées aux fratries, le département répond ainsi aux obligations de la loi « Taquet » du 7 février 2022, dont l’une des dispositions interdit la séparation des fratries sauf quand cela est contraire à l’intérêt de l’enfant.

Au deuxième étage de cette immense maison de 250 m2, des cris de joie résonnent. Samantha et ses frères Baptiste, 12 ans, et Titouan, 8 ans, sont en train de jouer au baby-foot dans une grande salle de jeux, qui demande encore à être aménagée. « Deux points, les doigts dans le nez ! », s’exclame Baptiste, triomphant, après avoir marqué un but. « C’est une chance pour eux de ne pas être séparés, de continuer à grandir ensemble », explique Nolwen Gebka, 24 ans, l’une des trois éducatrices spécialisées qui se relaient durant la journée. Les quatre frères et sœurs sont placés depuis le mois de mai 2022 à la suite de signalements, notamment de soignants de l’hôpital. Samantha faisait régulièrement des crises pour lesquelles elle était hospitalisée. L’enquête a révélé que les enfants souffraient de carences éducatives, affectives et alimentaires dans un contexte d’alcoolisation des parents. Faute de nourriture disponible chez eux, ils allaient manger chez les voisins. « Samantha a été particulièrement amochée par ce qu’elle a vécu. Ses souffrances s’expriment psychologiquement et physiquement », souligne Sébastien Martin, responsable du pôle des fratries à L’Envol. Cet éducateur spécialisé âgé de 37 ans est titulaire d’un master en management des organisations sociales.

 

Apprendre à prendre soin de soi

Dans la chambre de Titouan, la moquette est parsemée de Lego, la passion du benjamin de la fratrie. Ce matin, son frère Baptiste et lui se sont fixé l’objectif de bâtir un village abandonné. « J’aime construire et déconstruire », explique Titouan. « Surtout déconstruire », le taquine son frère. Pour laisser libre cours à leur imagination et leur créativité, les enfants ne manquent pas de place. Chacun dispose de sa propre chambre, qu’il peut arranger à sa guise. Avant de s’installer dans cette maison de Plestan, les deux fratries étaient accueillies dans un gîte de 90 m2 moins propice au respect de l’intimité. « Que ce soit l’équipe ou les enfants, nous étions tous un peu à l’étroit », reconnaît Martine. La première fratrie était auparavant accompagnée par l’association Domino Assist’M ASE, créée par l’agence d’intérim Domino Assist’M. « Le département a fait le choix courageux de ne plus faire appel à eux », indique Yves Abernot, directeur de L’Envol. Et Cinderella Bernard, vice-présidente déléguée au secteur « enfance-famille », de confirmer : « Avec la nouvelle mandature, nous avons tout mis en œuvre pour mettre fin au partenariat avec Domino. Pour nous, il est hors de question de financer un acteur privé qui ne partage pas nos valeurs. »

Le sous-sol de la maison a été aménagé en buanderie. Martine vient de mettre en route une machine à laver. Avec six enfants dans la maisonnée, il y a beaucoup de vêtements à entretenir et à plier. Chacun est néanmoins chargé d’apporter ses habits sales dans un bac à son nom et de ranger le linge propre. « C’est important de ne pas tout faire à leur place. Comme on est aussi dans une démarche éducative, on les aide à s’autonomiser. Le quotidien est aussi structurant pour eux », remarque Martine. « On travaille beaucoup sur le “prendre soin” de soi, des autres et de son environnement, complète Nolwen, l’éducatrice. Ce sont parfois des choses très simples. Certains enfants ne savent pas prendre une douche, par exemple, ni même ranger leur chambre. » Apprendre à respecter des règles de vie est aussi une condition pour cohabiter harmonieusement. Le mercredi, Martine prend le temps de cuisiner avec les enfants ou de jouer. En tant que maîtresse de maison, elle est pour eux un repère très important. « C’est beaucoup d’interactions, de lien, mais aussi de vigilance. On doit rapidement jauger leur état d’esprit car, parfois, une simple brouille peut prendre des proportions très importantes. Il y a souvent des frictions. »

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En collectivité, les enfants doivent apprendre à accepter l’autre et ses différences, ce qui n’est pas toujours simple. A cet égard, l’accueil de la seconde fratrie par la première a nécessité beaucoup de pédagogie. Ilyes, 7 ans, et sa sœur Anna, 8 ans, ont été placés en urgence au mois de novembre dernier dans un contexte de violences et d’alcoolisation des parents. « Les enfants de la première fratrie sont rentrés un soir de l’école et ont découvert les nouveaux venus. Ces derniers ont alors été perçus comme des intrus dans leur maison, qu’il fallait chasser au plus vite », raconte Nolwen. Ils sont devenus l’objet de toutes les récriminations. « Avec ce changement, c’est comme si les enfants de la première fratrie avaient pris conscience qu’eux-mêmes étaient placés », ajoute Laurence Henri, cheffe de service. Les relations se sont heureusement apaisées depuis, notamment grâce à l’emménagement dans la nouvelle maison de Plestan. Ce fut l’occasion de repartir à zéro.

L’équipe doit également prendre en compte les conflits à l’intérieur même de la première fratrie. Si les enfants ont pris l’habitude de préserver les apparences, « quand on creuse, des fragilités apparaissent rapidement », remarque Nolwen. Particulièrement extravertie, Samantha manifeste un constant besoin d’attention qui cache une grande détresse. Ses hospitalisations ayant été à l’origine du signalement, ses frères et sœurs la tiennent pour responsable de leur placement. Génératrice de conflits dans sa fratrie, elle l’est aussi au collège. Samantha bénéficie donc d’une prise en charge particulière par la psychologue de L’Envol. A l’inverse, sa grande sœur, Eleonore, s’épanouit bien socialement. En internat à la maison familiale rurale pendant la semaine, elle retrouve sa fratrie le week-end. L’emménagement à Plestan lui a permis de bénéficier d’une chambre un peu à l’écart des autres. L’adolescente de 15 ans dispose de son propre espace de douche, et fait aussi ses machines elle-même. Pendant longtemps, Eleonore a dû pallier les manquements de ses parents. « Elle agissait parfois comme une mère pour Titouan. On a fait en sorte de lui expliquer que ce n’est plus son rôle. On veut l’autoriser à vivre pour elle-même, lui enlever ce poids », observe Sébastien Martin.

 

Redonner sa place à chaque enfant

Pour les professionnels, il est important de redonner à chacun sa place. Et d’essayer de personnaliser la prise en charge en fonction de l’âge. Chaque enfant bénéficie de temps individuels, notamment avec son référent. Si ce dernier est particulièrement au fait de la situation des jeunes qu’il suit, l’ensemble de l’équipe se tient au courant grâce aux transmissions par le biais d’un logiciel partagé, de réunions et de supervisions. Bien que la préservation de la fratrie soit souvent précieuse dans un contexte de placement, elle ne doit pas non plus, selon les professionnels, se faire à tout prix. Or la question se pose aujourd’hui dans le cas de Samantha. « Le jour où sa présence dans la fratrie deviendra trop douloureuse, il faudra envisager de la quitter tout en gardant un lien », explique Sébastien Martin.

Le maintien des relations avec la famille et l’entourage est aussi au cœur des préoccupations, tout en prenant en compte, bien entendu, le respect de la mesure administrative ou judiciaire en cours. Dès l’admission, les représentants légaux sont invités à échanger avec l’équipe pour leur permettre d’élaborer le projet personnalisé de l’enfant. « On essaie vraiment d’impliquer les parents dans la vie des jeunes quand c’est possible », indique Sébastien Martin. L’équipe fait le point avec eux tous les trois à six mois. Il est 15 h. Samantha, Baptiste et Titouan se préparent à quitter la maison pour se rendre à leur visite médiatisée hebdomadaire. Une heure avec leurs parents. Baptiste enfile ses baskets et se confie. « Ça m’a rassuré d’être placé avec mes frères et sœurs. Au début, quand je suis arrivé au foyer géré par Domino, j’étais vraiment en colère. Je ne parlais pas, mais peu à peu je m’y suis fait », dit-il en laçant ses chaussures. Et de conclure : « Je sais qu’un jour le placement prendra fin. »

 


L’organisation d'une maison de fratries

  • 1 responsable de service à mi-temps.
  • 3 éducateurs spécialisés à plein temps.
  • 3 moniteurs-éducateurs à plein temps.
  • 2,3 ETP veilleurs de nuit.
  • 0,3 ETP psychologue.
  • 0,20 ETP personnel d’entretien.
  • 0,80 ETP maîtresse de maison (1 ETP espéré dans les années à venir).
  • 0,20 ETP secrétariat.

 


Le budget : un investissement répercuté sur le prix de journée

La maison des fratries de Plestan est financée par le conseil départemental des Côtes-d’Armor au titre de la protection de l’enfance, avec une habilitation de quinze ans. Ses coûts de fonctionnement s’élèvent à 580 000 € par an. « Un budget assez élevé », comme le reconnaît Yves Abernot, directeur de l’association L’Envol, mais qui se justifie aussi par le nombre limité d’enfants accueillis (6) et par le taux d’encadrement. La maison de Plestan a été acquise par L’Envol pour un montant de 240 000 €, auquel il faudra ajouter environ 50 000 € de travaux. « Cela représente un investissement important pour nous, souligne le directeur. Mais il est répercuté dans le prix de journée. » Lequel s’élève à 336 € par jour.

 


Les 3 conseils d’Yves Abernot

Pour le directeur de L’Envol, Yves Abernot, les maisons des fratries pourraient avoir des petites sœurs partout en France. A condition de respecter quelques fondamentaux.

  1. Trouver un lieu adapté. A L’Envol, toutes les structures d’accueil sont pensées selon un modèle familial. C’est une maison comme une autre. Elle doit idéalement être bien inscrite dans la cité et ne doit pas être repérée comme un foyer.
  2. Jouer la proximité. C’est encore mieux si les enfants peuvent aller à pied à l’école et voir leurs amis. La maison est un lieu dans lequel ils ont leur mot à dire et où ils bénéficient d’un espace dédié qu’ils peuvent aménager.
  3. Avoir une réflexion de fond sur la notion de « fratrie ». Cela ne doit pas être un choix à tout prix. Si, dans un premier temps, cela a souvent du sens, pour certains, vivre en fratrie peut aussi se révéler compliqué. Il faut rester attentif aux situations individuelles propres à chaque enfant.

 

Notes

(1) Tous les prénoms des enfants ont été modifiés.

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