« Hier encore, une jeune fille a été mise à la rue avec un simple papier de rendez-vous pour évaluer sa minorité. Lorsque j’ai demandé au département de débloquer une place d’hébergement en urgence, et d’éviter de passer par un référé devant le tribunal administratif, une référente de l’aide sociale à l’enfance m’a répondu de lancer une procédure, sans quoi le département ne l’hébergerait pas… »
Depuis quelques temps, Luc Viger, chargé du pôle mineurs non accompagnés d’Utopia 56, fait le même constat amer : l’association doit saisir le tribunal administratif pour que le département de Seine-Saint-Denis daigne mettre à l’abri les mineurs isolés. « Dès qu’on lance un référé, il trouve un hébergement sous 48 heures. »
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En Seine-Saint-Denis, la démarche d’évaluation de la minorité et de l’isolement des jeunes qui se présentent comme mineurs non accompagnés, préalable à la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance, est effectuée à Bobigny par la Croix-Rouge française. En vertu du code de l’action sociale et des familles, le département a l’obligation de mettre à l’abri ces mineurs le temps de l’évaluation.
Or, selon Utopia 56, en moins d’un mois, du 27 mai au 18 juin, quelque 416 mineurs rencontrés n’ont pas été hébergés. Plus de 300 référés ont été déposés. « La quasi-totalité des jeunes ont été hébergés avant qu'une audience ait lieu, explique Luc Viger. Le département contacte l'avocat en disant qu'une place a été trouvée, pour éviter d'avoir à payer une "amende" au tribunal. »
Et les délais d’attente entre la première présentation au pôle d’évaluation et le rendez-vous d’évaluation ne cessent de s’allonger. « Il est aujourd’hui de presque un mois et demi », observe l’association.
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Sollicité, le département de Seine-Saint-Denis défend une « évaluation de qualité et respectueuse du droit des personnes ». Mais reconnaît être « en difficulté face à sa mission de mise à l’abri des jeunes ».
« Cette démarche rigoureuse d’évaluation est mise à mal par le nombre croissant de jeunes arrivant sur notre territoire et la crise d’attractivité des métiers du travail social, entraînant une pénurie d’évaluateurs et d'évaluatrices », explique la collectivité. « Par conséquent, les délais d'évaluation en Seine-Saint-Denis dépassent les cinq jours prévus par la loi, provoquant une accumulation du retard dans les évaluations. »
Le département accompagne environ 9 000 enfants et jeunes majeurs au titre de la protection de l'enfance. Parmi ces enfants, près de 1 500 sont des mineurs non accompagnés (MNA).
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Le département déplore devoir « assumer une mission de solidarité nationale et que l'Etat ne soit pas garant d'une équité territoriale ». Pour les MNA comme pour les autres publics vulnérables, les places d’hébergement d’urgence sont saturées parce que les demandes se concentrent dans le département. « A titre d’exemple, explique-t-il, la Seine-Saint-Denis assume plus de 11 200 nuitées hôtelières lorsque les Hauts-de-Seine n’en assument que 3 000. »
Au contexte de crise de la protection de l’enfance et des métiers du travail social, s’ajoutent « des difficultés majeures pour le département à identifier du foncier pour ouvrir de nouvelles places en établissements d'accueil pour les enfants protégés, et ce alors qu'elles sont budgétées ».