Le 22 mars, un lieu de vie et d’accueil (LVA) de l’entreprise Anvie, à Saint-Maurice-la-Souterraine (Creuse), a été fermé pour des soupçons de maltraitance et de travail forcé sur les mineurs que lui avait confiés l’aide sociale à l’enfance. Conduit aux urgences après avoir perdu connaissance à la suite d’une marche forcée, l’un d’entre eux, appuyé par plusieurs salariés, a révélé les coups, brimades, insultes, ainsi que des marches punitives et des exploitations que tous subissaient depuis des mois. L’établissement subventionné par plusieurs départements employait en outre du personnel non qualifié. Ce qui ne l’avait pas empêché de voir son accréditation renouvelée par les pouvoirs publics en 2021.
ASH : Quelle a été votre réaction en découvrant les conditions d’accueil du LVA de Saint-Maurice-la-Souterraine ?
Lyes Louffok : Evidemment, j’ai été choqué, mais malheureusement pas du tout étonné, car ce n’est pas nouveau. On ne compte plus les témoignages d’anciens de l’ASE qui ont été victimes de travail forcé, et les expériences se ressemblent de façon effarante. A 15 ans, j’ai moi-même connu ce type de structure dans le Calvados, lors d’un séjour de rupture. Cela consiste à travailler dur et à la fermer. Dans le cas présent, le responsable des lieux trouve encore le moyen de se répandre en banalisant ce type de pratiques inacceptables, qu’il qualifie fièrement de pédagogiques. A quelle époque est-on ? La manière avec laquelle on traite les enfants institutionnalisés est un scandale, qui n’a rien à voir avec de la pédagogie. Les enfants placés constituent une main-d’œuvre bon marché.
Vous dénoncez également le montant accordé par les départements sans vérification conséquente…
On nous répète à longueur d’année que l’état actuel des finances publiques en matière de protection de l’enfance est catastrophique. Si la structure était dotée par exemple d’éducateurs spécialisés expérimentés, de thérapeutes, et d’un projet ambitieux, accorder une subvention de 550 € par enfant et par jour, bien qu’élevée, pourrait s’entendre. Mais que les départements acceptent de débourser de tels montants pour une structure sans aucun personnel qualifié, avec un enfant supplémentaire sans autorisation pour maximiser ses profits, et sans aucune garantie de conformité avec les objectifs de la protection de l’enfance est inconcevable. Comment se fait-il que personne n’ait vérifié les diplômes des professionnels recrutés, les taux d’encadrement, les conditions d’accueil ou de sécurité ? En termes éthique, déontologique, ou simplement de dignité, c’est inadmissible. Je me mets aussi à la place du citoyen lambda qui paie ses impôts et découvre ce qu’on en fait. Mais, malgré tout, c’est très banal. Ce n’est pas pour rien que je hurle depuis six ans à propos de la question du contrôle, qu’on n’effectue pas, ou mal dans le meilleur des cas.
Ce drame ne vous incite-t-il pas à renforcer votre volonté de recentraliser la protection de l’enfance ?
Je suis de ceux qui considèrent qu’une grande partie des présidents des départements de France se conduit de façon irresponsable. Il n’y a même plus besoin d’argumenter pour la centralisation, ils se tirent une balle dans le pied. Les départements ne cessent de dire qu’ils veulent conserver leurs prérogatives en matière de protection de l’enfance, mais ils sont les premiers à ne pas prendre leurs responsabilités. Entendre des réactions comme celle du président du Puy-de-Dôme qui, après le suicide de Lili, prétendait que le système de protection, sorte de grande famille, n’avait pas dysfonctionné, me met hors de moi : accepterait-il que sa fille vive à l’hôtel ? Leur réaction face à ces scandales, où ils font la démonstration qu’ils ne sont pas capables, ou n’ont pas envie de gérer ce sujet, plaide en faveur du transfert de compétences vers l’Etat.
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