Actualités sociales hebdomadaires : Pour quelles raisons avez-vous accepté d’intervenir à ces assises ?
Séverine Lemière : J’ai accepté sans hésitation d’y participer car je suis convaincue que les professionnels ont besoin de ce type d’événements pour se rassembler autour d’un même enjeu. Le temps d’une journée, on sort de nos associations, de nos lieux d’accueil ou de nos centres d’hébergement pour partager nos expériences et créer des liens. C’est très important, qui plus est quand on est engagé dans une lutte telle que celle des violences faites aux femmes, qui nécessite de mobiliser une grande diversité d’acteurs. Les problématiques auxquelles ces femmes font face sont excessivement différentes. Il s’agit de leur offrir un accompagnement global, qui exige énormément de compétences, et on n’a d’autres choix que de travailler collectivement pour pouvoir y répondre de façon adaptée. Les violences isolent. Pour les contrer efficacement, il faut créer de la sororité, et cela passe par ce type d'événement. De plus en plus de journées de formation et de partages d’expériences s’organisent, et je m’en réjouis.
Qu’attendez-vous de ce rendez-vous ?
Au-delà de rencontrer d’autres professionnels et de pouvoir repartir avec des idées de bonnes pratiques, j’y vois une belle opportunité de découvrir un territoire que je ne connais pas, qui a certainement d’autres préoccupations que celui où l’association que je préside est installée. Ce rendez-vous sera aussi l’occasion de présenter notre action, notamment le lieu d’accueil et d’orientation (LAO) que nous avons monté à Bagnolet, en Ile-de-France, et qui est unique en son genre. Dédié aux très jeunes femmes de 15 à 25 ans, il dispose de 109 places d’hébergement. L’association gère aussi deux autres centres d’hébergement car, quand elles n’ont pas d’enfant, elles ne sont pas prioritaires dans les dispositifs qui accompagnent les femmes. Dans cette tranche d’âge, ce sont pourtant les premières victimes des violences sexistes et sexuelles en France. Lorsqu’elles sollicitent les dispositifs de jeunesse, elles se heurtent à des professionnels qui ne sont pas suffisamment formés sur ces questions. Il y a vraiment besoin d’ouvrir des structures telles que les nôtres sur d’autres territoires, et ces assises pourront peut-être permettre d’essaimer.
Quel message souhaitez-vous faire passer pendant cette journée ?
Je suis là avant tout pour écouter ce que les autres ont à dire, mais j’aimerais aussi susciter l’envie de réfléchir à la façon dont on pourrait mobiliser d’autres acteurs, plus atypiques, sur cet enjeu des violences. Pour avoir entrepris ce travail notamment avec EDF, je me rends compte qu’il est possible de faire de belles choses avec les employeurs. La moitié des femmes qui appellent le 3919 exercent un métier. Le lieu de travail peut donc être un lieu de ressources, et les entreprises peuvent avoir un rôle à jouer pour faciliter la sortie des violences. Elles sont en capacité, par exemple, de changer les horaires de la victime pour éviter que l’auteur l’attende sur le chemin de son travail, de la transférer vers un autre site, de vérifier que le salaire tombe bien sur un compte individuel ou de lui apporter une aide financière. Pour les plus jeunes, un partenariat avec la mission locale permet d’adapter l’accompagnement aux difficultés spécifiques des jeunes victimes qu’on accueille. Faire reconnaître les violences subies comme un frein spécifique à l’emploi est essentiel, car la sortie des violences passe également par la formation et l’emploi.
La ville de Nantes envisage de devenir la première ville non sexiste de France d’ici 2030. L’engagement politique vous paraît-il important pour lutter efficacement contre les violences ?
La lutte contre les violences, et globalement la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, ne peut progresser que si on articule différents axes d’action. Elle repose sur quatre piliers : le travail de terrain mené par les associations expertes sur le sujet ; le militantisme, qui est utile pour élever le niveau de conscientisation de la société ; l’engagement politique, avec le financement de politiques publiques ; mais aussi la recherche, qui permet de consolider les savoirs sur ces questions. De même, il est important de mobiliser l’ensemble de la société. Il y a dix ans, nous faisions le même boulot, personne ne parlait du 25 novembre. Il n’y avait aucun documentaire à la télévision, le décompte des féminicides n’existait pas, le grand public ne connaissait pas la notion de « consentement ». Pas à pas, et grâce au travail des associations et des militantes, cela a changé. C’est source d’espoir, même s’il reste bien sûr des marges de progression.