Ils attendaient un plan Marshall et l’avaient rappelé lors d’une conférence le 16 novembre dernier. Les acteurs de l’enfance ont obtenu un plan de lutte contre les violences faites aux mineurs, et une série de mesures éparses en faveur des enfants protégés.
- Insuffisant pour la plupart d’entre eux. Et surtout, déconnecté, à leurs yeux, des enjeux et des réelles problématiques de la protection de l’enfance.
- Les plus prudents se montrent au mieux interrogatifs et attendent des précisions quant aux mesures annoncées lundi 20 novembre par la Première ministre.
- Un point cristallise les inquiétudes : le remplacement du « pécule » par une aide de 1 500 € à la majorité du jeune.
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Jérôme Voiturier, directeur général de l’Uniopss, se veut prudent : « C’est toujours compliqué de réagir à des mesures qui ne sont pas développées. » Mais il ne mâche pas ses mots sur les points qui concernent les enfants protégés : « Je suis sidéré. L’aide de 1 500 € à la majorité, la scolarité protégée, la santé, le repérage des jeunes en souffrance sont des mesures intéressantes en soi, mais elles ne répondent pas du tout au sujet. »
- Pas plus que la promesse d’organiser une cérémonie de majorité. « Il peut être bien aussi de faire une cérémonie pour que l’Etat et les collectivités tiennent leurs engagements », persifle Jérôme Voiturier. Le sujet, pour lui, est ailleurs : il s’agit, avant tout, de faire face au manque de moyens, à la pénurie de professionnels et à la saturation des dispositifs.
- Point positif, toutefois : « On a senti, à travers ce comité, l’interministérialité. Et nous avons une secrétaire d’Etat, Charlotte Caubel, engagée, volontaire et à l’écoute. Mais le social a un coût qu’on n’est pas prêts à payer pour le moment. »
Repairs 75, association de pairs qui aide les enfants protégés désormais adultes, exprime « sa profonde consternation face aux mesures déconnectées et délétères du plan 2023-2027 ».
- « On est soulagé, après des années de témoignages de mes pairs, que le sujet des violences au sein de la protection de l’enfance soit abordé. Mais on ne peut que regretter l’absence de mesures structurelles, pointe Anniela Lamnaouar, chargée des relations institutionnelles. Il faut des moyens pour assurer les placements et des accompagnements adaptés à la multiplicité des besoins. »
- L’association note l’augmentation des placements (+ 2,4 % en 2021 selon la Drees), alors que, comme le relève le dernier rapport de l’Uniopss, 20 % des établissements sont contraints de réduire la capacité d’accueil.
- Surtout, l’association Repairs 75 condamne « fermement » le remplacement du « pécule » par une aide de 1 500 €. Le pécule, c’est l’allocation de rentrée scolaire (ARS), environ 400 € par an. Depuis la loi de 2016, certains jeunes pouvaient disposer à leur majorité de cette somme déposée à la Caisse des dépôts et consignations. Somme qui pouvait atteindre entre 4 000 € et 4 500 € dans le meilleur des cas, et complexe à débloquer, selon de nombreux observateurs. « Le versement de cette aide de 1 500 € doit être cumulatif », selon l’association.
Un propos partagé par l’ancienne ministre de la Famille, Laurence Rossignol, sur le réseau social X : « Un enfant accueilli pendant dix ans à l’ASE a droit à (environ) 4 500 € à sa majorité dans le système actuel. Perte sèche pour lui : au moins 3 000 € ! Inacceptable. »
Lyes Louffok, éducateur spécialisé, militant des droits des enfants, fustige, lui aussi, le remplacement du pécule par cette aide de 1 500 €. La cérémonie que le gouvernement entend mettre en place à la majorité de l’enfant placé, atteint « un niveau de cynisme très élevé », ajoute-t-il.
- « Quand on voit le devenir toujours aussi brutal des enfants placés en France, mettre dans un plan national des mesures aussi ridicules traduit l’amateurisme, le manque de volonté politique et l’absence totale d’arbitrage financier pour améliorer réellement les conditions des enfants placés en France. »
Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et à l'origine d'une pétition pour "sauver la protection de l'enfance", dénonce des « mesurettes, en décalage avec les besoins, non adaptées à la situation de crise » que vit la protection de l’enfance. « Le comité interministériel a donné l’impression de répondre au problème ? Non ! »
- « Il y a des mesures, qu’on peut critiquer. Mais il y a plus inquiétant encore : le fait que le gouvernement soit dans l’incapacité d’entendre le conseil de personnes responsables (CNPE [Conseil national de la protection de l'enfance], CNA, COJ, Uniopss, Cnape, etc.) qui connaissent leur sujet. Pour des raisons complexes, il est incapable de faire un arrêt sur image, entre Etat, départements et associations, de tirer le bilan pour prendre des mesures en fonction des urgences et des projections à plus long terme. »
- « Que le gouvernement se contente de faire ce qu’il fait signifie, soit qu’il ne maîtrise pas le sujet, soit qu’il a peur d’ouvrir la boîte de Pandore, sur fond de conséquences financières. Mais le pire est de ne pas aborder la question avec ceux qui vous ont alerté. On aurait dû dire au CNPE, pour des raisons x ou y, “nous ne mettrons pas vos propositions en place”. »
- « C’est irresponsable, on appelle à libérer la parole des enfants en collectivité. Pour quel suivi derrière, des services judiciaires, éducatifs et administratifs ? Si téléphoner au 119, au procureur ou même à la ministre ne sert à rien, on discrédite la République. »
- « La France adore le sexe et la violence [références au rapport de la Civiise publié le 17 novembre et au nouveau plan contre les violences faites aux enfants du 20 novembre, ndlr], conclut Jean-Pierre Rosenczveig. On préfère le compassionnel à la rationalité. Mais c’est un écran de fumée face à la crise actuelle. »
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L’ancien président de l’Association des directeurs d’action sociale (Andass), Claude Roméo, pointe les absences de ce plan, exemples à l’appui.
- « Il avait été annoncé un plan particulier aux Assises de l’Association des départements de France. Je m’attendais à un plan particulier. Or, je ne vois rien dans ces propositions qui soit une avancée par rapport au plan Marshall demandé par le CNPE. »
- Le manque d’attractivité du secteur ? « Rien. Il faudrait un plan exceptionnel pour recruter 30 000 postes vacants, financés par l’Etat, les régions avec la mise en place d’une formation accélérée exceptionnelle, et les départements. »
- Absent du plan également : la prévention. « Je m’attendais à ce qu’on insiste sur sa nécessité. Seize ans après la loi de 2007, 75 % des mesures de protection de l’enfance sont judiciaires. On est en échec complet. »
- Rien non plus sur la question du handicap en protection de l’enfance et de l’accroissement des doubles prises en charge. « Les dispositifs Itep ou encore IMP sont saturés. Près d’un tiers des enfants confiés ont des troubles psychiques graves. Or la pédopsychiatrie, un secteur qui relève de l’Etat, n’est pas capable d’accueillir les enfants qui relèvent du soin. Et on les confie à l’ASE. »
« Ce mécontentement, qui jamais n’a été aussi important de la part des associations, finira par exploser. C’est inquiétant, souligne Claude Roméo. Et je pense aux travailleurs sociaux qui sont dans la panade la plus complète… »
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Le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) n’a pas souhaité réagir. Sa présidente, Anne Devreese, considère qu’à ce stade « beaucoup trop d’interrogations demeurent sur le contenu même de ce qui est proposé pour prendre position ».