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"Le déni collectif reste très puissant" (Ciivise)

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Thierry Baubet est membre du collège directeur de la Ciivise depuis avril 2024.

Crédit photo DR
Initialement prévue pour « basculer dans le droit commun » en septembre 2025, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) voit finalement son mandat prolongé jusqu’en octobre 2026. Certains arbitrages gouvernementaux suscitent toutefois des inquiétudes. Le point avec Thierry Baubet, l’un des trois membres du collège directeur.

Psychiatre, codirecteur scientifique du Centre national de ressources et de résilience (Cn2r), professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Université Paris 13 et Inserm), ainsi que chef de service à l’hôpital Avicenne (AP-HP), Thierry Baubet fait partie de la Ciivise depuis avril 2024.

ASH : Comment avez-vous accueilli l’annonce de la prolongation de la Ciivise ?

Thierry Baubet : Elle est d’autant bien accueillie que c’est une demande que nous avions explicitement formulée auprès du gouvernement. Dans la feuille de route sur laquelle nous avons commencé à travailler en avril 2024, l’une de nos missions est d’organiser notre bascule dans le droit commun. En parallèle, un autre objectif essentiel nous a été confié : retravailler l’ensemble des 82 préconisations du rapport de 2023 pour les instruire, y compris celles qui avaient été écartées lors d’une première lecture, afin de les rendre opérationnelles. Ces tâches sont ambitieuses et demandent du temps pour être menées à bien. Cependant, l’instabilité gouvernementale et des difficultés institutionnelles ont entraîné des retards significatifs dans nos travaux. C’est pourquoi, nous accueillons avec satisfaction cette année supplémentaire qui nous permettra d’avancer dans nos missions.

Est-ce le signe que le gouvernement a pris la mesure de la nécessité d’une telle commission ?

J’aimerais pouvoir dire oui avec certitude… On est dans un moment où les affaires de pédocriminalité surgissent régulièrement dans l’actualité. Ne rien faire aurait symboliquement été très mal perçu par l’opinion publique. Mais on sait aussi qu’en matière de violences sexuelles sur enfants et d’inceste, ces sujets peuvent retomber tout aussi vite dans l’oubli. Le déni collectif reste très puissant. Les émotions suscitées par ces affaires sont fortes mais éphémères, si elles ne s’accompagnent pas de changements structurels dans les institutions ou dans la loi. Si rien n’est mis en place pour intégrer durablement cette sollicitude envers les victimes dans le fonctionnement même de notre société, elle finit par s’éteindre… Et on oublie à nouveau à quel point les violences sexuelles sur enfants et l’inceste sont fréquents.

Quels ont été vos premiers résultats jusqu’ici ?

Début mars 2025, nous avons appelé le gouvernement à arbitrer sur 16 mesures d’urgence. Parmi elles, neuf ont été acceptées directement ou avec quelques réserves ; ce qui est encourageant. Nous nous réjouissons notamment que l’Etat ait acté la généralisation de dispositifs de remontées d’alertes dans toutes les administrations publiques, ainsi que l’extension du contrôle du fichier des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS) ou encore le déploiement des Uaped [unités d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger] sur l’ensemble du territoire. Notre mission consistera toutefois à veiller à ce qu’elles soient réellement mises en œuvre.

>>> Sur le même sujet : "Prolonger la Ciivise ? Pour y faire quoi ?", interpelle Nathalie Mathieu

En revanche, l’arbitrage défavorable du gouvernement sur des mesures essentielles telles que l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur enfant et l’ajout des cousins dans la définition des viols et agressions sexuelles, sachant qu’un agresseur sur cinq est un cousin, est totalement déconcertant. Ces blocages maintiennent des situations inacceptables. Aujourd’hui encore, un enfant qui révèle des violences sexuelles peut être contraint à maintenir des visites avec le parent accusé. Cela relève d’une absurdité totale et c’est surtout un frein majeur à la libération de la parole des victimes. Nous continuerons à nous battre pour voir aboutir l’ensemble de ces mesures, quitte à mobiliser des parlementaires ou à passer par d’autres moyens d’action publique.

Quelles sont vos prochaines échéances ?

Dans nos projets en cours figure notamment le travail avec le groupe Enfants. Jusqu’ici, seules les paroles des adultes victimes ou des mères protectrices avaient été recueillies. Il était indispensable d’écouter aussi directement les enfants eux-mêmes. Ce projet se décline en trois volets :

  • Un volet recherche : nous allons rencontrer des enfants ayant révélé des violences sexuelles et ayant eu au moins un début de parcours judiciaire. Ces entretiens qualitatifs visent à recueillir leur perception du processus qu’ils ont traversé. L’objectif n’est pas qu’ils racontent ce qu’ils ont vécu, mais qu’ils partagent leur ressenti face au système.
  • Des ateliers territoriaux : dans certaines écoles, avec des enfants non identifiés comme victimes, nous travaillons autour du programme Evars [Education à la vie affective, relationnelle et à la sexualité]. Ces ateliers associent enseignants et membres de la Ciivise pour évaluer ce qui fonctionne ou non dans ce programme et le faire évoluer s’il manque des aspects qui n’y figurent pas.
  • Un groupe « miroir » : il rassemble une quinzaine d’adolescents engagés dans la vie associative ou municipale qui réagissent à nos travaux et explorent leurs propres préoccupations sur ces sujets souvent peu abordés chez eux.

Une réunion ministérielle est prévue en juillet prochain, au cours de laquelle ce groupe remettra son rapport final. Ces initiatives ne sont peut-être pas spectaculaires prises isolément mais, mises bout à bout, elles peuvent profondément changer notre manière collective d’accompagner et protéger les victimes.

>>> A lire aussi : La Ciivise demande sa prolongation et fixe ses priorités

 

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