« Que peut apporter un regard vers l’avenir alors que les souffrances et les difficultés sont sous nos yeux ? Celles des enfants quand ils sont en danger, celles des parents qui n’y arrivent pas ou plus, celles des équipes, des acteurs et des finances publiques qui s’épuisent et sont de plus en plus contraintes ? », interroge Baptiste Cohen, directeur de projet et coordinateur du pôle protection de l’enfance chez Apprentis d’Auteuil face à une salle comble. « Notre objectif n’est pas de régler la crise, ni de prendre parti pour telle ou telle position, mais d’ouvrir un champ de réflexion complètement inhabituel dans nos politiques sociales : celui de la prospective », détaille-t-il.
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Ce mercredi 22 novembre, dans la salle Victor Hugo de l’Assemblée nationale, à Paris, les professionnels sont venus en nombre pour assister aux conclusions du rapport « Protection de l’enfance : prospectives inter-associatives 2023 » porté par la Croix-Rouge, Apprentis d’Auteuil, La Vie au Grand Air, SOS Villages d’enfants, Chanteclair, avec le soutien de l’Uniopss. Ce travail, né pendant le premier confinement, se donne pour objectif de « prendre de la hauteur » par rapport à l’urgence de terrain et de réfléchir au devenir du secteur à l’horizon 2030-2035.
Des scénarios « archétypaux et clivés »
Après un discours de Charlotte Caubel, secrétaire d’Etat chargée de l’enfance, et d’Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles, les différentes parties prenantes ont ainsi dévoilé quatre grands scénarios élaborés au cours de leur démarche réflexive.
- Baptisé « Rien ne bouge », le premier scénario décrit la poursuite des tendances observées aujourd’hui dans le secteur. Il met en avant un manque de coordination et de stratégie nationale, ainsi que des disparités territoriales de plus en plus prégnantes et un recours accru à l’intérim.
- Le deuxième scénario dépeint la mise en place d’une « politique publique pilotée de manière collégiale joignant décideurs et opérateurs » afin de mieux coordonner les réponses. Dans cette éventualité, « la répartition équitable des compétences permet l’élaboration de référentiels et outils communs pour faciliter le travail partenarial ».
- Le troisième scénario, quant à lui, fait la part belle à la prévention. Il explore un futur où le soutien à la parentalité et à la désinstitutionnalisation seraient une priorité des pouvoirs publics. Cela impliquerait une « nouvelle répartition » des compétences entre l’Etat et les départements et conduirait à une baisse du nombre de personnes accompagnées.
- Enfin, la quatrième piste proposée porte sur la « sanitarisation » du champ de la protection de l’enfance. Ce scénario conduit a des changements dans les profils des publics, « dont les problématiques sont davantage observées sous le prisme de la santé » et des professionnels qui les accompagnent. Il aboutit également à de nouveaux partenariats entre le secteur social et le secteur médical.
Ces scénarios, « volontairement archétypaux et clivés », ne sont pas des boules de cristal, préviennent les organisations. « Nous voulons montrer que l’avenir suppose qu’on fasse des choix en fonction de priorités », souligne Baptiste Cohen.
« Si on réfléchit sur du temps long, ce n’est pas pour avoir raison dans quinze ans, c’est pour pouvoir éclairer les décisions qui sont prises aujourd’hui, complète François de Jouvenel, directeur général du think-tank Futuribles, qui développe des activités de réflexion sur l’avenir et qui a pris part à ces travaux pour apporter un cadre méthodologique. Lorsque l’on est plongé dans le quotidien, on a tendance à poursuivre les évolutions en cours. Or, dans beaucoup de domaines, comme c’est le cas en protection de l’enfance, prolonger les tendances en cours n’est pas concevable. Nous sommes obligés de penser des bifurcations, des ruptures. »
Une invitation à la prospective
Pour Katy Lemoigne, directrice générale de l’association Chanteclair, ces scénarios ne sont pas « étanches » et peuvent se superposer. « Peut-être qu'il y en aura un qui dominera et que les trois autres seront là en complément. Peut-être, finalement, que deux possibilités prévaudront et que les deux autres tomberont. Ces scripts ne sont pas ce que l'on veut, mais l'idée du chemin qui pourrait se prendre demain au regard de tous les éléments que l'on a analysé. »
Les associations louent les leviers d’action que représente le travail de prospective. Même si, pour le moment, le secteur social n’est pas familier avec cette approche, il gagnerait à y avoir davantage recours, assure Katy Lemoigne. « Cela pourrait permettre de maintenir une conduite sans être bouleversé par des changements de mandats politiques. C'est aussi l'occasion de dessiner un chemin à plus long terme et de construire, sans doute, quelque chose de plus sécure pour nos professionnels. »