« Educateurs sacrifiés, la société en danger », « Christian, le département veut s’en prendre à ma prév », « Christian, tu lis nos bilans »... A Lille (Nord), jeudi 6 février, de nombreuses pancartes interpellent Christian Poiret, président du département du Nord. Les professionnels de la prévention spécialisée – sous l’impulsion du collectif « Touche pas à ma prév » et des associations du secteur – se sont réunis place de la République à 14 h pour manifester contre une coupe de 25 % de leur budget en 2025, soit trois millions d’euros.
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« La mobilisation d’aujourd’hui n’est pas contre Monsieur Poiret, insiste Sabrina Casier, directrice de l’association Itinéraires. Nous comprenons ses difficultés pour boucler le budget, mais la prévention spécialisée n’est pas le bon endroit pour faire des économies, nous voulons faire comprendre au département le risque qu’il prend. Réduire le budget de la prévention c’est avoir un impact sur d’autres pans de la protection de l’enfance. Il faut investir dans la prévention plutôt que dans le curatif. » La baisse de budget implique, selon le collectif des associations de prévention spécialisée du Nord, le licenciement de 60 professionnels.
Obtenir un échange avec Christian Poiret
L’objectif de cette manifestation, qui se terminait devant le siège du département, était donc d’engager un dialogue avec Christian Poiret, assure Johnny Herbin, directeur de l’Association prévention spécialisée nationale (APSN). « Nous ne demandons rien d’excessif, mais que Monsieur Poiret revienne sur sa décision de couper trois millions d’euros et qu’il accepte de nous recevoir. » Selon lui, aucun échange n’est prévu pour l’heure. Le département n’a pas répondu aux sollicitations d’ASH.
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Les acteurs de la prévention ont en revanche rencontré la vice-présidente chargée de l’enfance, de la famille et de la jeunesse, Marie Tonnerre-Desmet, lundi 3 février, dont Johnny Herbin souligne « l’écoute » et la compréhension dont elle a fait preuve. Auditionné par la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance mercredi 5 février, Christian Poiret a assuré ne pas avoir supprimé ces trois millions d’euros : « J’ai simplement demandé aux maires s’ils voulaient participer à la prévention. » Les professionnels veulent un éclairage sur ce point.
Inquiétudes communes
Dans le cortège, c’est l’inquiétude qui prévaut. Sous une banderole « Educateurs sacrifiés, jeunesse menacée », Fatiha Ourazouk et Charly Ercolano manifestent pour la première fois. Educateurs depuis 17 et 16 ans, ils estiment que « la situation est dramatique ». « Nous sommes là pour la jeunesse, beaucoup de jeunes sont dans un mal-être, des familles sont démunies, nous travaillons en binôme depuis un an avec Charly et là il risque de partir, sauf que ce “dedans-dehors” des éducateurs n’est pas possible » pour mailler le territoire correctement mais aussi pour gagner la confiance des familles, explique Fatiha Ourazouk. Cette dernière craint de devoir se débrouiller seule à l’avenir. Dans le Valenciennois, où travaille le binôme, six postes sont menacés, indique le chef de service, Dominique Blin.
Juste devant, Dorian Nicodeme, un jeune de 20 ans accompagné à Valenciennes, marche aussi vers le département. « La jeunesse est en perte d’espoir et les éducateurs mettent de la lumière là où il n’y en a plus. » Mis à la rue par ses parents à plusieurs reprises, Dorian a obtenu un logement, dont il a reçu les clés la veille de la mobilisation. Il est venu soutenir les professionnels qui l’ont aidé. Et il n’est pas le seul. Les éducateurs de la prévention spécialisée du Nord ont été rejoints par des collègues de Mulhouse (Haut-Rhin), de Poitiers (Vienne), de Paris mais aussi par des partenaires comme les centres communaux, les missions locales, des élus, des professionnels de l'Education nationale ou encore du département. « Nous sommes très satisfaits de la dynamique qui s’est créée », se réjouit Johnny Herbin. Devant le département, l’ambiance est électrique, entre fumigènes, slogans scandés à l’attention de Christian Poiret et huées. Lors des prises de parole, les professionnels l’assurent, il ne s’agit que de « l’acte 1 » de la mobilisation.
Les éducateurs et associations refusent d’imaginer un scénario dans lequel ces coupes auraient bien lieu. L’heure est à la mobilisation. A l’issue de la manifestation, les professionnels ont décidé de solliciter à nouveau le président du département du Nord et ont convenu d’une nouvelle journée de manifestation le 12 mars à Lille. Les familles et les jeunes sont invités à participer tout comme les acteurs de la protection de l’enfance.