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Justice des mineurs : "Nous faisons déjà du bon travail avec les outils juridiques actuels"

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Juge des enfants à Belfort, puis à Bobigny depuis 2006, Muriel Eglin a également été conseillère du Défenseur des enfants de 2004 à 2006.

Crédit photo Caroline MONTAGNÉ/DICOM/MJ
[ENTRETIEN] La présidente du tribunal pour enfants de Bobigny (Seine-Saint-Denis), Muriel Eglin, réagit à la loi visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants. Porté par Gabriel Attal, ce texte passe plutôt mal auprès des magistrats et des travailleurs sociaux exerçant auprès des enfants et des jeunes.

Le texte adopté le 13 février dernier par les députés risque d’être encore durci par de nouvelles propositions formulées par le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, lors de son examen devant le Sénat au mois de mars. Le point sur les conséquences de ce virage répressif avec Muriel Eglin, également vice-présidente de l’AFMJF (Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille).

 

ASH : Que pensez-vous de la création d’une procédure de comparution immédiate ?

Muriel Eglin : Depuis 2021, le code de la justice pénale des mineurs (CJPM), qui a complètement bouleversé notre manière de travailler en accélérant la procédure tout en privilégiant l’éducatif, nous permet déjà de rapprocher les dates d’audience et de recourir à un jugement en audience unique. Aujourd’hui, il est donc question de créer en plus la comparution immédiate, soit l’équivalent d’un jugement en audience unique, moins le délai actuel de 10 jours pour préparer sa défense. Le mineur pourrait donc être jugé le jour même de son défèrement devant le tribunal, par un juge qui ne le connaît pas. Faute de temps pour élaborer un projet, cela pourrait conduire à des incarcérations qui devraient être évitées. Pour des adolescents dont le cerveau n'est pas encore arrivé à maturité, cette procédure n’a pas de sens. Ils ont besoin d'être accompagnés par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pour comprendre les enjeux, la gravité des faits, les effets sur la victime ou leur propre trajectoire, pour pouvoir se montrer plus adaptés à l’expérience d’une audience. Après une garde à vue et une éventuelle attente au dépôt du tribunal, certains sont épuisés et incapables de comprendre le sens d’une sanction. Or notre objectif est de leur donner les outils pour devenir des adultes responsables.

La loi entend aussi « restaurer l’autorité ». Selon vous, la justice des mineurs est-elle trop laxiste ?

Elle n’est ni trop laxiste, ni trop lente. Entre 2023 et 2024, le nombre de jugements en audience unique, donc de faits plus graves, a augmenté de 8,5 % alors que les autres modes de poursuite n'ont augmenté que de 3,4 %. Cela montre non seulement une volonté de faire preuve de fermeté, mais aussi une accélération de la réponse judiciaire. Aujourd'hui, quand un jeune sort du commissariat, soit il a une date de convocation dans les trois mois devant le juge des enfants, soit il est déféré devant le procureur qui lui-même lui donne la convocation et le présente immédiatement devant le juge des enfants pour une mesure éducative ou de sûreté.

>>> A lire aussi : Ce que les associations reprochent à la loi Attal

En cas de crime, il est conduit devant le procureur à la sortie de la garde à vue et présenté au juge d'instruction sans délai. Le code actuel nous permet donc déjà de répondre rapidement. Le problème est plutôt de trouver des lieux d'accueil pour les jeunes qu'il faut sortir de leur famille ou de l'emprise d'une bande. Nous manquons aussi cruellement d'éducateurs de milieu ouvert. De trop nombreuses mesures restent en attente, parfois plusieurs mois.

Qu'en est-il des autres mesures coercitives annoncées ?

Le projet de texte prévoit que l'atténuation de peine pour minorité sera écartée par principe, et que le juge devra la rétablir s'il l'estime nécessaire. Actuellement, c’est l’inverse. Le principe s’applique, sauf si le juge l’écarte dans l’objectif de prononcer une peine d’emprisonnement supérieure à la moitié de celle prévue par la loi. Cela ne change donc rien aux pouvoirs du juge, mais le message du texte est clair : il est souhaité que les mineurs soient davantage sanctionnés, et notamment par la prison. Pourquoi rajouter des mesures coercitives, alors que nos outils juridiques nous permettent déjà de faire du bon travail ? Toutes ces propositions sont étonnantes car elles ne s’appuient pas sur la réalité des tribunaux. Concernant l’introduction de jurys populaires, depuis 1945, le juge des enfants est accompagné de deux assesseurs issus de la société civile pour les affaires les plus graves, soigneusement choisis et formés. Des jurés tirés au sort ne connaitraient rien à la justice des mineurs. Quel tribunal pour enfants aurait le temps de tirer au sort un jury populaire, qui n’aurait pas connaissance du dossier, et de tenir des audiences beaucoup plus longues à l’image des procès d’assises ?

Que préconisez-vous pour améliorer la situation ?

Le texte a été modifié en 2021 pour être plus réactif et plus présent auprès des jeunes. Il faut nous laisser le temps de l'appliquer. Un changement de loi ne résoudra pas le problème de la délinquance des mineurs, alors que la loi actuelle a du sens pour les mineurs et les familles, dès lors que les mesures ordonnées sont exécutées dans les délais. Plutôt que de refaire des lois, il serait judicieux d’investir pour prévenir la délinquance en arrêtant de limiter les moyens des services de prévention spécialisée qui jouent un rôle clé dans l’accompagnement des jeunes dans la rue, mais aussi en permettant l’exécution des milliers de mesures de milieu ouvert et de placements en protection de l’enfance actuellement en attente.

>>> Sur le même sujet : Justice des mineurs : ce que contient le texte voté par l’Assemblée nationale 

Protection de l'enfance

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