Recevoir la newsletter

Jean-Luc Gleyze : « L’Etat n’est pas à la hauteur »

Article réservé aux abonnés

Crédit photo DR
Le président du conseil départemental de Gironde lance un cri d’alerte sur la situation de la protection de l’enfance. Il met l’Etat face à ses responsabilités, quelques jours après le décès accidentel d’un petit garçon à son domicile, dans la Sarthe, alors qu’il aurait dû être placé.

Quelle est la situation de la protection de l’enfance en Gironde ?

Jean-Luc Gleyze : Nous tirons la sonnette d’alarme, mais nous ne sommes pas les seuls, de nombreux autres départements sont également en difficulté. Ce sujet est de plus en plus préoccupant. La crise du Covid 19 a produit des effets délétères, notamment en raison de situations intrafamiliales et de la manière dont le confinement a été vécu dans certaines familles en situation de précarité. Néanmoins, l’accroissement du nombre d’enfants placés sous mesure de protection est une réalité depuis déjà un certain nombre d’années. En 2015, dans le département, 3 500 enfants étaient sous placement en maisons d’enfants à caractère social (Mecs) ou en familles d’accueil. Nous en sommes à 5 800 enfants aujourd’hui.

Nous assistons par ailleurs à une telle complexification de la psychologie des enfants que 68 % des préadolescents sont également bénéficiaires de prescriptions au titre de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées). Leur état de santé justifiant une qualification de handicap – dégradation psychique, psychologique, voire psychiatrique –, ils nécessitent une prise en charge qui devrait relever de la pédopsychiatrie. Or, cette dernière est extrêmement carentielle. Faute d’une prise en charge dans des établissements spécialisés, le juge envoie ces enfants vers la protection de l’enfance.

Quelles en sont les conséquences concrètes ?

La dégradation psychologique ou psychiatrique de ces enfants s’accentue puisqu’ils n’ont pas la réponse adaptée à leur situation. La deuxième conséquence pèse sur les professionnels de la protection de l’enfance, qu’il s’agisse de ceux intégrés au secteur associatif travaillant dans des Mecs ou des professionnels du département comme les familles d’accueil ou les agents du CDEF (centre départemental enfance et famille). Tous sont dépourvus face à des comportements d’enfants qu’ils ne savent pas gérer. Nous mettons ces personnels en souffrance. Dans une période où l’attractivité des métiers du social est une véritable question, certains partent ailleurs, estimant ne pas être à la hauteur. La troisième conséquence concerne la prise en charge financière, réalisée par les départements en lieu et place de l’Etat. Il ne nous transfère pas officiellement des enfants au titre de la pédopsychiatrie mais nous oblige de facto à les prendre en charge, sans que nous en ayons les moyens financiers, humains ou en termes de savoir-faire métiers. Ce sont des transferts déguisés qui perturbent tout un environnement, les établissements et les autres enfants placés. Tout cela fragilise et déséquilibre le système. Ce n’est plus acceptable. On ne peut plus faire porter aux départements cette charge-là. Il faut impérativement que l’Etat prenne la mesure de la complexité de ces situations.

En janvier dernier, vous aviez déjà cosigné avec une vingtaine de départements une tribune à ce sujet dans le journal Le Monde. Avez-vous reçu une réponse du gouvernement ?

Non. Il n’y a pas de dialogue, pas de mesures prises et aucun échange. Je ne comprends pas qu’une secrétaire d’Etat chargée de la protection de l’enfance ne se déplace pas dans un département comme le mien ou dans les Côtes-d’Armor pour discuter avec nous et voir la réalité de nos difficultés. Il y a deux jours, j’étais avec le préfet de la région Nouvelle Aquitaine, qui est aussi préfet de la Gironde : j’ai mis ce sujet sur la table et je lui ai proposé de venir visiter le CDEF pour aborder le problème de la croissance du nombre d’enfants placés sous protection. Notre pouponnière est prévue pour 35 bébés et nous en avons 45, ce qui nous oblige à installer des lits dans les couloirs. Ce n’est pas normal, nous avons quand même un devoir de solidarité nationale à l’égard de ces enfants. Je voudrais que ce représentant de l’Etat rencontre du personnel de Mecs et des familles d’accueil pour qu’il ait pleine conscience des difficultés. J’ai aussi rencontré le directeur de l’ARS de Nouvelle Aquitaine afin qu’il intervienne sur les amendements « Creton », c’est-à-dire des enfants qui ont plus de 18 ans et qui ne devraient plus relever de la protection de l’enfance, sinon d’une prise en charge de l’Etat au titre des foyers d’accueil médicalisé ou des maisons d’accueil spécialisées. Cela permettrait d’oxygéner la protection de l’enfance girondine en libérant des places.

A lire aussi : Charlotte Caubel donne suite à la lettre ouverte des présidents de départements

Combien d’enfants pâtissent de ce manque de places ?

Le budget de la protection de l’enfance a explosé entre 2015 et 2022, avec une hausse de 65 %. Il représente le poste de dépenses en politique publique le plus élevé du département, soit 310 millions d’euros. Et pourtant, il y a 200 décisions judiciaires non exécutées parce que nous n’avons pas les places, ce qui signifie que 200 enfants en Gironde restent dans leur famille, alors que nous devrions les accueillir dans des structures ou des familles d’accueil. En dépit de nos contraintes budgétaires très fortes, entre autres à cause de la baisse phénoménale des droits de mutation, nous venons de rajouter 7 millions d’euros pour la protection de l’enfance. C’est une crise systémique : la santé n’est pas à la hauteur, l’Education nationale n’est pas à la hauteur, la protection judiciaire de la jeunesse n’est pas à la hauteur et les départements ne sont pas non plus à la hauteur. Et tout cela parce que l’Etat lui-même n’est pas à la hauteur.

Existe-t-il un consensus politique à ce sujet ?

Il n’y a eu aucune bataille sur le fond du sujet au conseil départemental. Tout le monde était d’accord pour voter cette enveloppe de crise de 7 millions d’euros, tous partis confondus. Si l’opposition s’est abstenue sur le budget supplémentaire, cela reste un acte politiquement fort, car elle a plutôt l’habitude de voter contre. Nous avons par ailleurs des contacts entre départements, dans un premier temps pour faire le point entre collectivités de gauche, comme les Côtes-d’Armor, la Loire-Atlantique ou l’Ille-et-Vilaine, qui sont aussi dans des situations difficiles. A terme, nous souhaitons réfléchir de manière transpartisane, afin qu’une parole collective puisse être portée au gouvernement.

A lire aussi : ASE : « Des mineurs jugés en danger sont laissés à domicile pendant plusieurs mois »

Avez-vous peur qu’un drame comme celui de Sablé-sur-Sarthe puisse arriver chez vous ?

C’est quelque chose qui me hante. La responsabilité la plus lourde, la plus forte pour un président de département, c’est la protection de l’enfance. Quand vous avez des enfants à protéger, parce qu’ils sont en danger dans leur famille, la préoccupation est majeure. Je ne peux pas dormir tranquille, à partir du moment où tout le système s’effondre. Nous avons beau faire le maximum, y compris en rajoutant des budgets et en ouvrant des places supplémentaires… Nous n’avons plus d’autonomie fiscale – on nous a enlevé tous les impôts locaux – et nous ne bénéficions aujourd’hui que des dotations de l’Etat qui sont figées. La seule recette un peu dynamique reste les droits de mutation, par essence volatiles, et ils sont en train de se casser la figure. J’arrive à un moment où je ne sais plus comment faire. Je me dois d’alerter le gouvernement et de lui demander d’agir. Le jour où il y aura un problème, nous serons les dégâts collatéraux d’une faillite systémique de la solidarité nationale.

Protection de l'enfance

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur