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“Je ne savais pas que tu m’aimais autant”

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Vero Cratzborn, réalisatrice

Crédit photo DR
A l’adolescence, la vie de Vero Cratzborn a chaviré quand son père a commencé à souffrir de troubles psychiques. Actuellement sur les écrans, son film s’inspire de cette histoire pour sensibiliser à une réalité sociale méconnue, celle des enfants confrontés à la maladie mentale dans leur famille.

Vero Cratzborn a horreur des étiquettes. Elle ne veut surtout pas être enfermée dans un rôle, ni que quiconque le soit. Alors, pour parler de son film La forêt de mon père, en salle depuis le 8 juillet, elle marche un peu sur des œufs. « Ce n’est pas un documentaire, ni un copier-coller de mon histoire, c’est une fiction », insiste-t-elle. Une fiction pour le grand public inspirée de son parcours, dans laquelle l’héroïne, la jeune Gina, veut sauver son père, Jimmy, atteint de psychose. La maladie – la schizophrénie – n’est jamais nommée. Vero Cratzborn non plus n’utilise jamais ce terme. « A un moment, mon père a perdu contact avec la réalité », dit-elle.

La bascule s’est produite quand elle avait 13 ans. Aînée d’une fratrie de cinq enfants, elle a grandi dans une cité « horizontale » au milieu des champs, en Belgique. Ce logement en accès à la propriété a permis au ménage d’avoir une salle de bains. « Je viens de là », précise-t-elle comme pour camper un décor. Tout allait bien dans cette famille aimante, dont le papa était « déclarant en douane » et plutôt fantasque, parfois étrange et imprévisible. Jusqu’au jour où la maladie psychique a pris le dessus et rompu l’équilibre familial. Femme au foyer, la mère de Vero Cratzborn a dû aller travailler, et l’adolescente s’occuper de ses quatre frères, faire à manger en rentrant de l’école… Elle voit son père, qu’elle adore, souffrir et sa mère faire tout son possible pour protéger ses enfants. « Bien qu’accidentée, ma vie a été très belle, précise la réalisatrice, qui constate cependant que « l’amour ne peut pas tout ». Cette situation va la plonger dans une grande incompréhension durant des années. Elle se sent différente des autres, mais aucun mot n’est mis sur sa douleur, sa culpabilité, son vécu… sur la frontière entre le normal et le pathologique.

Dans le film, à propos de sa famille, Gina est interpellée par ses camarades : « Vous êtes tous tarés ou c’est juste votre père ? » Vero Cratzborn se souvient, elle, qu’aucun élève ne voulait s’asseoir à côté d’elle à l’école : « Ils ne savaient pas de quoi souffrait mon père mais ils avaient peur d’attraper sa maladie. » Dans une commune rurale où tout se sait, et plus généralement dans la société, la stigmatisation est très forte à l’égard de la maladie mentale. L’adolescente qui serrait les dents et enrageait confie pudiquement aujourd’hui : « C’est très dur d’assister à une tentative de suicide ou de devoir l’empêcher. » Pour autant, la femme solaire qu’elle est devenue ne s’est jamais sentie être une aidante, comme on dit désormais. La réalité est plus complexe et singulière, selon elle : « D’accord, on aide, mais il n’y a pas que ça dans la relation. Mon père m’a transmis énormément de choses, beaucoup de force et d’énergie. La personne aidée apporte des ressources. Tout n’est pas noir ou blanc. » C’est d’ailleurs parce que son père lui contait des histoires que, après avoir été auxiliaire de soins pour « sauver le monde » puis étudiante à Liège en administration des affaires, elle se lance dans le cinéma. Une aventure qui commence en 1993, lorsqu’elle gagne un concours de critiques de films jeunesse au festival de Cannes. S’ensuit, en 1997, Frictions, son premier court métrage sur la peur de l’autre, après les attentats terroristes de 1995 à Paris. En 2000, un autre court, Lavomatic, sur un sèche-linge qui avale ses clients est très remarqué, tout comme, plus tard, son documentaire La vie par petits bouts, relatant la tournée de Lydie, une infirmière à domicile, ou encore ses films sur les prisons. « Je croyais que je ne m’en sortirais jamais, le cinéma a été une libération », lâche la réalisatrice.

 

La maladie à hauteur d’enfants

La forêt de mon père est son premier long métrage. Un film poétique et lumineux, qui montre la maladie mentale à hauteur d’enfants sans l’exhiber ni l’édulcorer. Plus qu’un témoignage, Vero Cratzborn a préféré s’intéresser au ressenti, à ce que la souffrance d’un membre d’une famille provoque de perturbations au quotidien sur l’entourage. Elle n’a pas l’envie de servir d’exemple ou de porte-drapeau, ni la prétention de faire bouger les choses, juste provoquer un débat sur les enfants et adolescents « oubliés ». Dans cette optique, un dossier rédigé par des professionnels et très bien fait accompagne le film. Nul ne sait combien sont ces jeunes tant ils sont silencieux. « Les enfants dont les parents souffrent psychiquement ne prennent pas la parole, et ce qu’ils vivent est largement méconnu. Ils ne sont pas que des problèmes qui doivent être suivis par des professionnels ou des gens à signaler à la protection de l’enfance. C’est sur ça que je voudrais attirer l’attention. Il y a peut-être un soutien à apporter aussi aux parents qui s’inquiètent pour nous », souligne celle dont le film est soutenu par l’Œuvre Falret, spécialisée dans l’accompagnement des personnes en souffrance psychique(1).

Elle sait qu’il n’y a pas de solution toute faite, mais regrette avoir dû attendre l’âge de 40 ans pour découvrir le texte « Docteur, je voudrais savoir quelle maladie a ma mère » de la psychiatre belge Frédérique van Leuven(2). « Je me suis dit : “Enfin on parle de nous, on existe !” Je me sentais seule. Je pensais être un monstre. J’ai cru que j’avais survécu à toutes ses épreuves dans ma famille parce que je n’étais pas humaine », signale Vero Cratzborn, qui est membre d’un groupe de paroles à l’Unafam. Et d’ajouter : « On oscille entre la banalisation et la dramatisation. » Si les enfants fragilisés ne parlent pas, c’est aussi qu’ils redoutent d’être retirés à leurs parents : « J’avais peur que les services sociaux débarquent chez moi et embarquent tout le monde. » Des services sociaux à qui elle a dû raconter son histoire à maintes reprises, mais qui ne lui ont pas donné les clés pour comprendre ce qui se passait. « Il y avait des personnes formidables et d’autres qui me disaient : “Vous êtes une miraculée”, mais cela ne m’aidait pas de me dire ça », pointe-t-elle.

Pour les besoins de son film, elle a travaillé avec le collectif « Quelle hospitalité pour la folie ? » et tourné dans plusieurs services psychiatriques d’Ile-de-France. L’hôpital, elle l’a bien connu quand elle allait rendre visite à son père. D’ailleurs, l’ex-fille de patient, qui se réjouit de ne pouvoir être mise dans aucune case, ne se prive pas d’égratigner un peu l’institution au passage. Quand il a vu son film sur cette autre manière d’être au monde, son père lui a dit : « Je ne savais pas que tu m’aimais autant. »

Mais, au fait, pourquoi la forêt ? « On vivait à côté d’une forêt. Et puis c’est symbolique, la forêt, on y trouve refuge, on peut s’y perdre aussi. Aucun chemin n’est droit. »


 

Notes

(1) Initiée par Hélène Davtian et son équipe des Funambules-Falret, une plateforme est en cours d’élaboration pour venir en aide aux enfants et adolescents vivant avec un frère, une sœur, un parent touché par la maladie mentale.

(2) Dans la revue Enfances & Psy 2007/4 (n° 37).

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