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Inceste : « La Ciivise est la seule instance qui joint le recueil de la parole des victimes et les politiques publiques » (Edouard Durand)

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Edouard Durand, co-président de la Ciivise et ancien juge des enfants à Marseille.

Crédit photo Sébastien Soriano
La Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences faites aux enfants), qui a recueilli en deux ans 25 000 témoignages, est amenée à disparaître à la fin de l’année. Alors que des personnalités appellent à sa reconduction, le co-président de la commission, Edouard Durand détaille les conséquences dramatiques de cette disparition programmée.

Flavie Flament, Christine Angot, Camille Kouchner ou Emanuelle Béart... au total 60 personnalités, dont certaines ont révélé avoir été victimes d'inceste, ont signé une tribune dans Le Monde pour demander le maintien de la Ciivise au gouvernement qui a programmé sa disparition en décembre. Pour Edouard Durand, son co-président, l'instance répond au besoin de reconnaissance des victimes et permet de faire évoluer les politiques publiques « au plus proche » de la réalité.

ASH : Le mandat de la Civiise doit expirer fin décembre, y a-t-il encore des chances que cette commission soit maintenue ?

Edouard Durand : Je l’espère. Je le demande comme une évidence, car la poursuite de la mission de la Ciivise me parait absolument nécessaire. Cette commission a été instituée dans un moment d’extrême attention de la société sur les grands oubliés des politiques publiques : les enfants. Cette attention a été suscitée par la publication du livre de Camille Kouchner, La Familia grande (Ndlr, Editions Seuil, janvier 2021). La prise de conscience collective a été liée à la médiatisation de l’affaire. Celle-ci a permis de comprendre que les violences sexuelles faites aux enfants et l’inceste sont un problème spécifique, qui fait l’objet d’un déni spécifique et qui nécessite une politique publique spécifique.

Que permettrait l’extension de la durée de vie de la Ciivise ?

Il y a 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année. Pourtant, il s’agit d’un problème invisibilisé. Ces enfants, nous ne savons pas où ils sont. Nous les voyons tous les jours à l’école, à l’aide sociale à l’enfance, dans les services sociaux, les services de soins, les tribunaux pour enfants… Mais ils sont invisibilisés.

La prise de conscience ne résulte que d’une chose : le témoignage des adultes qui ont été victimes. Aujourd’hui Emmanuelle Béart, hier Camille Kouchner, avant elles Christine Angot ou Vanessa Springora. Et bien d’autres. C’est aussi simple que cela : sans le témoignage des adultes, il est impossible de penser l’enfant victime qui se trouve sous nos yeux. Or, la Ciivise est la seule instance qui joint indissociablement le recueil de la parole des victimes et les politiques publiques.

C'est-à-dire ?

La commission apporte à la fois un espace d’écoute et de reconnaissance pour les 5,5 millions d’adultes ayant subi des violences sexuelles dans leur enfance et produit des propositions de politique publiques aussi proches que possible de la réalité. Sauf erreur de ma part, aucune annonce politique sur le sujet n’est extérieure à la Ciivise.

La campagne de sensibilisation sur l’inceste découle de l’une de nos préconisations de mars 2022, la proposition de loi sur la protection de l’enfant victime d’inceste et l’autorité parentale de notre avis du 27 octobre 2021, la création d’une cellule de soutien aux professionnels résulte de l’une de nos recommandations de mars 2022, la formation des professionnels avec une doctrine claire de notre outil de formation datant de novembre 2022... La Ciivise est faite pour produire ces propositions. Nous les produisons, pourquoi se priver de cela ?

Où témoigneront les victimes si cette commission n’existe plus ?

Parmi les personnes qui témoignent à la Ciivise, certaines ont déjà déposé plainte, d’autres ont déjà reçu un jugement ou un arrêt de la Cour d’assises déclarant leur agresseur coupable, certaines bénéficient de soins depuis plusieurs années. Il existe par ailleurs déjà des associations offrant une écoute pour les victimes de violences sexuelles, à commencer par le Collectif féministe contre le viol et sa ligne Viols Femmes Informations. La Ciivise ne se substitue pas à ces acteurs. Elle répond à un besoin spécifique des victimes : la reconnaissance, qui ne remplace pas les besoins de justice, d’accompagnement social ou de soins.

A lire aussi : Violences sexuelles subies par les mineurs : le coût du déni

Des personnes nous disent qu’elles n’imaginaient pas que leur parole soit écoutée au nom de l’Etat et de la société tout entière. Si nous maintenons un espace de témoignages sans le relier à l’action de la Ciivise sur les politiques publiques, nous cessons de répondre à ce besoin. Le message envoyé est alors celui-ci : Votre parole relève du privé. Nous, nous nous occupons des politiques publiques. C’est ça le déni de l’inceste. C’est dire que c’est une affaire privée, alors qu’il s’agit d’un problème d’ordre public et de santé publique.

Qu’induit cette période de flou quant à l’avenir de la Ciivise ?

Comme l’a récemment dit Charlotte Caubel (Ndlr, secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance), la Ciivise accomplit parfaitement sa mission. Ce qui fonctionne, continuons-le. Il est inutile d’attendre novembre et de laisser les victimes dans l’incertitude. Pourquoi les inquiéter et les déstabiliser ? La sécurité est incompatible avec l’incertitude. Depuis trois ans, nous sommes en contact quotidien avec des personnes qui nous confient leur témoignage. Nous prenons justement toutes les précautions nécessaires pour ne pas générer de l’incertitude chez elles.

Quels sont vos travaux en cours ?

Nous préparons notre prochaine réunion publique qui se tiendra le 14 septembre à Grenoble, ainsi que l’état des lieux de deux années d’appels à témoignages (21 septembre 2021 – 21 septembre 2023) et la réunion publique du 21 septembre. Nous travaillons également sur un rapport que nous publierons le 20 novembre, date symbolique de la journée internationale des droits de l’enfant.

Comment le travail de la Ciivise est-il lié à celui des professionnels de la protection de l’enfance ?

Je suis juge des enfants, je connais la grande difficulté des métiers de l’enfance, de l’éducation, des professions d’assistante sociale, de puéricultrice… Nous sommes légitimes à attendre de ces professionnels qu’ils soient beaucoup plus investis dans le repérage des enfants victimes d’inceste et de violences sexuelles, mais nous devons les soutenir. C’est la contrepartie de l’attente à leur égard. C’est ce qu’a fait la Ciivise, en expliquant qu’il n’était pas normal que ces professionnels, confrontés à des situations si difficiles, ne puissent pas bénéficier d’une cellule de soutien technique permanente.

A lire aussi : un guide pour repérer et signaler l'inceste

Selon nous, la formation est une politique publique qui doit assumer un contenu, une doctrine et un rôle clair. C’est très insécurisant de dire à des personnes Vous devez faire beaucoup, mais sans leur expliquer quoi. Je ne souhaite pas seulement une diffusion de notre outil de formation à des milliers d’exemplaires, mais aussi qu’il soit intégré à la formation effective. La Ciivise est fidèle à la parole des victimes, ainsi qu’à l’engagement des professionnels.

 

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