Chaque année en France, 160 000 enfants sont agressés sexuellement, majoritairement au sein de leur famille. Et un enfant est tué tous les six jours chez lui. Face à ces chiffres, aussi connus qu’accablants, le système de la protection de l’enfance prend l’eau. Soucieux de contribuer à « une nécessaire prise de conscience », le Syndicat de la magistrature vient de publier un rapport intitulé « La justice protège-t-elle les enfants en danger ? Etat des lieux d’un système qui craque » à destination des professionnels de la protection de l’enfance, ainsi que des acteurs institutionnels chargés de cette politique publique.
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Ce travail d’une vingtaine de pages montre, statistiques et témoignages à l’appui[1], comment les carences en hommes et en budgets mènent au naufrage des droits des enfants. Un constat partagé par la députée socialiste (Val-de-Marne) Isabelle Santiago, initiatrice de la loi « visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales » promulguée en mars dernier. « L’étude du Syndicat de la magistrature montre de manière édifiante les défaillances systémiques de l’ASE : le manque de moyens criant, le défaut de gouvernance de la protection de l’enfance et le fonctionnement en silos des acteurs impliqués sont autant de raisons de se réveiller ! »
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Dans le détail, ce rapport insiste tout d’abord sur le manque de magistrats. En théorie, un juge des enfants devrait suivre environ 325 situations (1 enfant ou 1 fratrie) par an. En pratique, la moitié d’entre eux suivent 450 situations ou plus, ce qui représente au moins 800 enfants. Une inflation des dossiers – dans un contexte de sous-effectifs – entraînant des conséquences concrètes :
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77 % des juges des enfants auraient renoncé à prendre des décisions de placement d’enfants en danger dans leur famille, faute de place ou de structure adaptée ;
- 34 % des juges des enfants ne procèdent pas systématiquement à l’audition séparée des enfants capables de discernement. Ils sont même contraints de rendre des décisions sans tenir d’audience, c’est-à-dire sans même entendre ni les parents, ni les enfants, ni leurs avocats, ni les éducateurs ;
- Plus de 30 % des juges des enfants tiennent leurs audiences sans greffier.
Délais trop longs
La priorité fixée par la loi est de permettre aux mineurs suivis par le juge des enfants de rester en famille. Or, d’après le rapport du Syndicat de la magistrature, le manque de financement des mesures à domicile entraîne une embolisation du système. Les familles attendent parfois plus de six mois, voire un an, après avoir vu le juge, pour recevoir une aide éducative. Ces délais trop longs ont de lourdes conséquences sur les enfants – négligés, déscolarisés, privés de soins, victimes de violences – et sur les parents qui restent démunis. Dans l’intervalle, il arrive que la situation se dégrade et que le juge soit obligé de confier les mineurs à un tiers ou à l’aide sociale à l'enfance.
Placements inexécutés
Encore plus dramatique, certains enfants confiés à l’ASE – pour les protéger du milieu familial – sont maintenus chez eux faute de place d’accueil. Et aux placements non exécutés s’ajoutent les placements mal exécutés : des enfants sont ballotés d’un lieu d’accueil à l’autre, parfois hébergés dans des lieux non agréés par le département, voire dans des hôtels ou au camping. Ce qui est pourtant interdit par la loi.
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A l’issue de ce constat, le Syndicat de la magistrature formule un ensemble de propositions, dont :
- La nomination de davantage de juges des enfants. Au moins 235 de plus, juste pour l’assistance éducative.
- La publication mensuelle, par chaque département, du nombre de placements non exécutés, ainsi que celle d’un tableau de bord comportant le nombre de mesures d’assistance éducative en milieu ouvert et de places d’hébergement disponibles.
- L’augmentation des objectifs de places d’accueil fixés dans la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance (2020-2022). Actuellement, il n’y a que 600 places prévues pour des fratries sur l’ensemble du territoire.
Egalement rapporteure de la commission d’enquête sur « les manquements des politiques de protection de l’enfance », Isabelle Santiago annonce : « Nous auditionnerons les associations de magistrats et le Syndicat de la magistrature durant la commission d’enquête pour identifier les failles entre la justice et l’action publique. Je veux que nos travaux provoquent un électrochoc : la République ne peut pas rester un parent indigne impunément. »
[1] La plupart des données présentées sont issues d’un sondage réalisé auprès des juges des enfants exerçant en France.