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Commission ASE : "Voter des lois sans les voir appliquées, ce n’est pas très gratifiant" (Adrien Taquet)

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L'ancien secrétaire d'Etat chargé de l'enfance et des familles, Adrien Taquet, était auditionné le 21 janvier dernier par la commission d'enquête sur la protection de l'enfance. 

Crédit photo Capture d'écran
Il est le dernier des anciens ministres et secrétaires d’Etat à l’enfance à être entendu par la commission d’enquête. Le dernier et le plus attendu. Auteur de la loi du 7 février 2022, Adrien Taquet, en fonction de 2019 à 2022, est aussi celui qui a exercé le plus longtemps ses fonctions.

Il a défendu la « cohérence » de son action. Une politique – la stratégie nationale 2020-2022 – centrée autour de trois piliers : la prévention, la lutte contre les violences faites aux enfants et l’amélioration du système institutionnel. Qui s’est soldée par le vote de la loi du 7 février 2022.

Il a voulu – sans « minorer » les difficultés – mettre en garde contre les discours « univoques » et « catastrophistes » qui contribuent au déficit d'attractivité. Il a exprimé des regrets, face aux dossiers – la formation des travailleurs sociaux, le soutien au milieu ouvert entre autres – qu’il « n’a pas pu » ou « pas su » mettre en œuvre.

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Auditionné le 21 janvier dernier par la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, Adrien Taquet est revenu longuement sur ses actions en tant que secrétaire d’Etat à l’enfance, fonction qu’il a exercé pendant trois ans et trois mois.

Un sujet en particulier aura retenu l’attention des députés : les décrets d’application de la loi du 7 février 2022, dont la plupart sont parus deux ans après, ou n’ont tout simplement pas vu le jour. Verbatim. 

La non-parution du décret sur les normes d’encadrement. « On a travaillé pendant près d’une année avec les conseils départementaux, les associations gestionnaires, et les associations d’anciens enfants protégés. Ce décret, comme la plupart des décrets de cette loi de février, était rédigé. Il était prêt quand j’ai quitté mon poste (en mai 2022, ndlr). On a souffert d’un embouteillage au Secrétariat général du gouvernement et au Conseil d’Etat parce que tous les ministres veulent faire passer leurs décrets. On en a souffert. Que s’est-il passé ensuite ? Je n’en sais rien. Je n’étais pas aux responsabilités. »

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La norme n’est-elle pas sortie pour des raisons budgétaires, comme l’interroge la rapporteure Isabelle Santiago ? Pour Adrien Taquet « tout le monde s’accordait » sur la mesure. « Les différents acteurs ne découvraient pas les implications budgétaires. L’Association des Départements de France n’a pas appelé en disant “no way”. Il n’y a pas eu de manœuvres dilatoires. » Tout au plus, à la faveur du changement de gouvernement, « une insincérité de l’Etat dans ses relations avec les collectivités ».

Les décrets sur les hôtels. « On a affirmé clairement le principe d’interdiction des enfants hébergés à l’hôtel, c’est dans la loi. J’assume d’avoir fait montre d’un pragmatisme : sortir 10 000 enfants du jour au lendemain comportait une part de risques qu’ils se retrouvent à la rue. D’où l’interdiction et la mise en place d’une période de transition, le temps de bâtir des dispositifs pour les héberger. »

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« Pendant ces deux ans, un premier décret n’est jamais sorti : le système transitoire qui renforçait l’obligation de présence éducative, pour ceux qui restaient dans le dispositif, n’a pas été mis en place. Je ne peux pas vous dire pourquoi. Vous croyez que je m’en satisfais ? Voter des lois sans qu’elles ne soient appliquées, ce n’est pas très gratifiant. »

La présence d’un avocat. La loi du 7 février 2022 a introduit la possibilité pour un mineur d’être accompagné d’un avocat. Un recours possible mais pas systématique. « Je m’y suis opposé. Et je continue à défendre cette position. Le juge Edouard Durand m’avait sensibilisé sur ce point : le juge des enfants n’est pas un magistrat comme les autres, confronté à un conflit entre deux parties. Il est dépositaire de l’intérêt de l’enfant. J’ai considéré qu’introduire un avocat entre l’enfant et ses parents apportait une dimension de conflictualité qu’un jeune enfant pouvait ne pas comprendre. »

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La mise en place d’organes de contrôle des établissements. « Combien y a-t-il de foyers en France ? 2 100. On peut envisager un organe de contrôle, avec une flopée de fonctionnaires. Je préférerais qu’ils s’occupent des enfants. La France compte 2 100 foyers et 25 000 familles d’accueil. Il n’y a aucune raison que les enfants en famille d’accueil soient moins bien traités que ceux en foyer. »

« Des acteurs – les départements, les ARS, etc. – sont responsables, ils doivent exercer leurs capacités de contrôle. »

Le contrat jeune majeur. « Un de mes regrets est de ne pas avoir tué le contrat jeune majeur, qui est une coquille vide, pour le remplacer par le projet pour l’autonomie, prolongeant le projet pour l’enfant. Quand les acteurs concernés portent une vision stratégique commune sur le territoire, ça se passe bien. C’est juste du bon sens. »

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« Toujours est-il que les enfants bénéficient désormais d’un dispositif pluriprofessionnel. Et les départements, qui pensaient disposer d’une marge de manœuvre, doivent appliquer la loi et les critères de ce contrat : avoir plus de 18 ans, être passé par l’ASE et ne pas avoir de soutien familial. »

Les professionnels. « La revalorisation des professionnels est financière. Je me suis battu pour la prime Ségur. Ce n’est pas suffisant, il y a une nécessité de revaloriser ces métiers du prendre soin. Et la revalorisation est symbolique aussi. »

« Quand j’ai vu Charlotte Caubel (son successeur, ndlr) pour la passation de pouvoir, j’ai insisté sur les professionnels, en disant que je n’avais pas fait assez. S’il y avait un truc sur lequel elle devait bosser, c’était les professionnels. »

Les doubles vulnérabilités. « J’ai des insatisfactions personnelles : on a voulu travailler la contractualisation, en essayant de mobiliser des associations gestionnaires pour faire remonter les initiatives offrant des solutions à des enfants [protégés et en situation de handicap]. Peut-être qu’on ne s’est pas assez investis, mais peu de choses sont remontées. »

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La formation. « Je vous rejoins sur la nécesité de spécialiser les formations initiale et continue, d’autant plus face aux difficultés plus grandes et complexes des enfants. Je n’ai pas su par quel bout prendre le sujet. La formation dépend de mon ministère et aussi de celui de l’enseignement supérieur. Or les régions forment. Et les besoins des collectivités employeuses ne sont pas en articulation avec les instituts régionaux. Une forme de renationalisation de la formation aurait le mérite d’être étudiée. »

Le milieu ouvert. « C’est un de mes autres regrets : ne pas avoir soutenu ce qui avait trait au milieu ouvert. Ces mesures font partie intégrante de la prévention. J’ai confié une démarche de consensus à Geneviève Gueydan (rapport remis le 20 janvier 2020, ndlr). Il y a eu le Covid juste après. Mais on ne l’a pas assez porté politiquement. »

 

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