Une mobilisation sur l’esplanade des Invalides, à grand renfort de slogans, suivie d’une photo de famille devant les bureaux de l’Assemblée nationale puis d’une conférence de presse… Le Comité de vigilance des enfants placés a fait entendre sa voix en marge de la présentation du rapport de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance.
Les membres du collectif n’ont pas commenté à chaud le rapport – n’ayant pu, pour des raisons légales, en prendre connaissance avant sa publication. Mais ils ont su rappeler leurs exigences, demandant que « des actions concrètes » soient désormais mises en œuvre. Malgré la multitude de rapports déjà publiés sur le sujet – 13 depuis 2022, selon la Cnape –, celui-ci est cette fois le fait des députés. « Cela leur donne des obligations à notre encontre, souligne Jennifer Le Pioufle, l’une des membres du comité. On fera en sorte que ce rapport ne reste pas lettre morte. »
Joints au téléphone ultérieurement, Lyes Louffok et Diodio Metro, deux membres fondateurs du comité, ont pu détailler les éléments du rapport. « Il comporte au moins trois éléments de satisfaction, exprime le premier nommé. D’abord, pour la première fois, ce rapport reconnaît le caractère systémique des violences institutionnelles. Ensuite, il exige la création d’une commission nationale de réparation : on va se battre pour l’obtenir, faire en sorte que les souffrances subies soient établies par des équipes pluridisciplinaires et qu’un processus de réparation – prenant la forme par exemple d’excuses publiques de l’Etat ou d’un fonds d’indemnisation des victimes – soit proposé. Mais il faudra que cette commission soit dotée de moyens. »
Enfin, troisième élément de satisfaction, poursuit Lyes Louffok, ce rapport reprend de nombreuses revendications portées par les enfants placés : le recours obligatoire à un avocat pour défendre les enfants, la création d’une autorité de contrôle indépendante, le droit de visite inopiné des parlementaires, l’accompagnement jusqu’à 25 ans… « Cela démontre le sérieux de notre travail et la pertinence de nos analyses. »
Le militant se montre toutefois plus critique sur la non-remise en cause de la gouvernance actuelle. « C’est paradoxal : on affirme que le système dysfonctionne, mais on n’en tire pas les leçons. Puisque les départements, chefs de file de la protection de l’enfance, ont failli, cette compétence doit leur être retirée. »
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La revendication reste toutefois sujette à débat au sein même du comité de vigilance. « Je ne suis pas sûre que cela changerait quelque chose, estime Diodio Metro. En revanche, le rapport, s’il reconnaît les responsabilités de l’Etat, n’appuie pas suffisamment sur celles des départements. »
La présidente de l’Adepape 95, qui regrette l’absence de chiffrage financier, se félicite, dans l’ensemble, du contenu du rapport. « Je suis satisfaite, voire surprise. On ne s’attendait pas à y voir autant de choses, comme le recours à un avocat ou la création d’une commission nationale de réparation. »
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Pour appuyer son plaidoyer, le comité de vigilance a rédigé un « livre blanc des personnes concernées pour orienter la mise en œuvre des politiques publiques ». Il comporte cinq axes prioritaires aux yeux de ses membres :
- L’accès aux droits. Le comité veut permettre aux enfants de connaître leurs droits et les voies d’exercice qui s'y attachent, favoriser leur droit de choisir son avenir professionnel, et rendre obligatoire le recours à un avocat.
- La santé. Le comité demande une prise en charge à 100 %, et à vie, des soins psychiques, comme le préconise le rapport Santiago, mais aussi somatiques ; la création de centres de santé mobiles dans chaque département et la garantie du recours au secret médical.
- Les lieux de placements. Parmi les mesures défendues : la création d’une autorité indépendante de contrôle, l’établissement de taux et normes d’encadrement, la création de places et de structures adaptées et la prise en charge garantie jusqu’à 25 ans.
- Les professionnels. Le comité réclame une formation plus qualitative, et la revalorisation des métiers du social.
- Des mesures générales. Le collectif souhaite imposer l’application des lois déjà existantes, augmenter les moyens pour la justice des mineurs, rétablir un ministère de l’enfance de plein exercice, assurer l’indépendance financière des Adepape (associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance), et créer une commission de réparation.
Le livre blanc devrait être mis en ligne ces prochains jours avant d’être présenté à la haut-commissaire à l’enfance, Sarah El Haïry, « d’ici une à deux semaines ».
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Après un an d’existence, le collectif, qui s’est étoffé au fil du temps pour réunir quelque 300 membres, mesure le chemin parcouru. « Le comité a eu un rôle d’acculturer des élus et des citoyens éloignés du sujet, explique Jennifer Le Pioufle. C’est assez nouveau : la protection de l’enfance n’est plus un sujet cantonné à un entre-soi. » Madiba Guirassy, ancien mineur non accompagné, partage ce sentiment de satisfaction : « Nous nous sommes fixé un objectif, porter la parole des premiers concernés, que nous avons atteint. Nous poussons les politiques, qui savent tous ce qui se passe mais ferment les yeux, à agir. Et si ce n’est pas le cas, nous continuerons. »
Créé pour surveiller les travaux de la commission d’enquête, aujourd'hui clôturée, le comité devra désormais réfléchir à son avenir. Nul doute qu'il ne s'arrêtera pas à cette première étape.
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