La première partie de l'interview était consacrée aux clarifications sur la prime de 1 500 euros pour les jeunes majeurs issus de l'ASE. Dans cette seconde partie, Charlotte Caubel revient sur la politique gouvernementale en matière de protection de l'enfance à la suite des « 22 mesures pour protéger les mineurs » annoncées par la Première ministre Elisabeth Borne le 20 novembre 2023.
Le comité interministériel de l’enfance avait suscité beaucoup d’espoirs chez les professionnels. Que souhaitez-vous dire à ceux qui qualifient vos annonces d’hors-sol ?
Pour commencer, nous avons construit des mesures très structurées avec l’Education nationale. Nous avons, par exemple, annoncé la création du dispositif Scolarité protégée. C’est un dispositif qui n’est pas anodin puisqu’il s’agit de débloquer 15 millions d'euros, là où n’en étaient investis jusque-là que 400 000. Première mesure, l’accompagnement de l’orientation des enfants suivis par l’ASE par le biais de rendez-vous réguliers. Nous avons aussi mis au point avec le Cned un programme qui leur est dédié et la mise en place de formations diplômantes rapides, en cas de déscolarisation ou de placements avec des ruptures de parcours, afin de réduire au maximum les temps morts scolaires. Nous avons en outre annoncé la généralisation du dispositif Santé protégée.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux à considérer que les annonces n’ont pas été à la hauteur du plan Marshall demandé par plusieurs acteurs du secteur. Que leur répondez-vous ?
Il est pour moi fondamental de garder une approche transversale sur les sujets de l'enfance. Au sein du comité interministériel, nous avons tout de même réussi à rassembler la Première ministre, onze ministres et moi-même autour d’une table pour balayer de nombreuses problématiques sur les sujets d’enfance.
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Pour ne citer que les thèmes qui ont été approchés de manière approfondie, nous avons abordé les cinq axes principaux que nous nous étions fixés : la question des violences portée par la Première ministre, celle de la santé, de l’éducation, du numérique et de la participation citoyenne des enfants. Et, bien sûr, nous avons parlé des deux publics auxquels nous sommes particulièrement attentifs que sont les enfants en situation de handicap et les enfants de l'aide sociale à l’enfance. Mais, ce comité interministériel de l'enfance n'est évidemment pas la réponse à l’ensemble des enjeux de la protection de l'enfance.
Au final, le plan Marshall aura-t-il lieu ?
Les sommes consacrées par l'Etat et les collectivités locales en matière d'enfance s’élèvent à 158 milliards d'euros en France, dont bénéficient aussi les enfants protégés au même titre que les autres. En outre, 26 milliards sont spécifiquement dédiés aux enfants vulnérables dont presque 9 pour les enfants protégés : nous ne parlons donc pas de petits montants. Si on appelle plan Marshall le fait d'avoir une feuille de route construite à partir de travaux concrets, ce plan est certain. Si on appelle plan Marshall le fait de dire qu'’il s’agit d’ajouter tout de suite 9 milliards de plus, je ne suis pas d’accord. Je ne dis pas qu'il ne faut pas investir davantage d’argent en matière de protection de l’enfance, je pense que ce champ spécifique nécessitera des moyens supplémentaires. Mais il faut d’abord avoir une vision d'ensemble pour mettre en place une stratégie.
Quand et comment avez-vous prévu d’élaborer cette stratégie globale ?
J’ai proposé à la Première ministre de mettre autour d’une même table un collectif représentatif des départements, constitué par l’Association des départements de France, et l'ensemble des ministres interpellés par les départements dans l'exécution de leur mission pour les enfants de l'aide sociale à l’enfance. Il faut parvenir à surpasser les désaccords concernant ce qui incombe à chacun et les ressources dont chacun dispose financièrement parlant. La présence des ministres de l'Intérieur, du Budget, de l'Education nationale, de la Santé, de la Justice ou de leurs représentants me paraît indispensable. Ce temps politique fort aura lieu avant Noël.
Les associations chargées de la protection de l’enfance seront-elles conviées ?
Les associations ne seront pas présentes. C’est un temps politique. Elles nous ont elles-mêmes demandé de nous aligner entre nous, afin de nous mettre d’accord sur ce qui incombe à chacun de nous. Nous devons conjointement définir un certain nombre de priorités, puis établir les moyens et un calendrier pour y parvenir.
Nous comptons bien sûr sur les fédérations, qui rassemblent les associations opérationnelles en fonction de leurs objectifs, pour nous relayer les demandes et les regarder avec attention. Nous nous appuierons aussi fortement sur les « premiers concernés » et leurs représentants.
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Mais le temps de la grande concertation sur les objectifs de la protection de l’enfance, dont je continue à parler dans les réunions bilatérales, a eu lieu dans le quinquennat précédent et a conduit à la loi « Taquet » de 2022. Ce sur quoi j’écoute aujourd’hui avec attention les associations concerne le collapse que connaît le secteur. L’Uniopss m’a par exemple fait parvenir un travail extrêmement intéressant sur les normes d'encadrement, qui seront bien sûr au cœur de nos débats. Pourtant, la réalité est que ces associations sont sous mandat du département qui lui-même est fréquemment sous mandat de la justice. Il faut évidemment qu’il soit très en lien avec elles pour définir les priorités, construire les réponses. Mais les responsables, ce sont l'Etat, concernant les missions de justice, santé, éducation, et les départements, concernant la protection de l’enfance. Ce sont eux qui engagent les financements et assument la responsabilité juridique, suivant les mandats qui leur ont été confiés.
Quels sujets seront abordés en priorité ?
Au préalable, nous avons besoin de données, y compris celles traduisant l'efficacité des dispositifs existants, mais nous nous heurtons à des réticences. Nous avons tenté avec la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) d'avoir des éléments. De son côté, l’ONPE (Observatoire national de la protection de l’enfance) fournit quelques informations grâce à des sondages auprès des ODPE (observatoires départementaux de la protection de l’enfance), et des enquêtes statistiques nationales comme celle qui a mis en valeur le fait qu’un SDF sur quatre sortait de l’ASE. Mais la réalité est que l'on n’évalue quasiment rien. Tant que l’on n’arrivera pas à chiffrer au moins quelques données sur lesquelles tout le monde se met d'accord, il sera difficile d’avancer.
Concernant le fond, l'enjeu majeur, qui a démarré dès mon arrivée et qui s'est évidemment cristallisé avec la reprise des flux migratoires cet été, concerne les mineurs non accompagnés (MNA). Ce sujet, bien que nous ayons déjà lancé beaucoup d’actions et de dispositifs en collaboration avec les départements et les associations, a conduit un certain nombre de territoires au bord de l'explosion.
A ce contexte, s'ajoutent les enjeux des enfants touchés par des troubles psychiques ou en situation de handicap, et ceux de la très petite enfance. Pour ne prendre que cette dernière thématique, le fait qu’on ait formé l’ensemble des professionnels de l’enfance à l’importance des 1 000 premiers jours, des besoins fondamentaux de l’enfant et à la théorie de l’attachement, a permis un meilleur repérage, ce qui est bien sûr une très bonne nouvelle. Nous devons veiller collectivement, avec les professionnels et avec les magistrats, à ce qu’une vigilance accrue sur les risques de danger ne se traduise pas par plus de placements, mais plutôt par la recherche approfondie, dans l’environnement des enfants, des ressources permettant de mieux répondre à leurs besoins.