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"C'est incroyable d'être incapable de créer une ordonnance de protection pour les enfants victimes"

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Pascal Cussigh est avocat au barreau de Paris et président de CDP-Enfance.

Crédit photo DR
Le 13 novembre dernier, le Sénat examinait une proposition de loi relative à la création d’une ordonnance de sûreté pour les mineurs subissant des violences. A l’issue des débats, le texte a été radicalement modifié par la chambre haute du Parlement. Pascal Cussigh, avocat et président de CDP-Enfance, alerte sur les conséquences de ce vote.

L’association CDP-Enfance (Comprendre, défendre et protéger l’enfance) lutte contre la maltraitance des enfants et vient en aide aux enfants victimes – ainsi qu'aux adultes victimes de maltraitance dans leur enfance – en leur proposant une aide juridique pour les accompagner dans les différentes procédures judiciaires. Pascal Cussigh en est le président.

 

ASH : L’ordonnance de sûreté a-t-elle réellement été supprimée par le Sénat ?

Pascal Cussigh : Cette ordonnance de sûreté, telle qu'elle était revendiquée par le collectif pour l'enfance et préconisée par la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), n’a pas été acceptée par le Sénat. Ce dernier a simplement décidé d’ajouter un point à l'ordonnance de protection qui existe actuellement pour les femmes victimes de violences. Cette disposition indique que si les enfants sont victimes eux-mêmes de violences, le parent protecteur peut quand même demander une ordonnance de protection, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il fallait que la mère elle-même soit victime de violences pour pouvoir la demander. Une position que nous dénoncions et donc, de ce point de vue, le Sénat a comblé cette lacune.

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En revanche, ce que la Civiise préconisait – et ce que nous avions demandé – c'est la création d'un dispositif qui soit vraiment réservé aux enfants. Avec une saisine automatique du juge aux affaires familiales, dès qu’il y a une plainte ou un signalement adressé au procureur de la République. Cela permettrait au juge de rendre une décision, dès le début de l’enquête pénale. Cela n’existe pas aujourd’hui : ce n’est pas parce qu'il y a une plainte pénale ou un signalement qu'il va y avoir automatiquement une décision pour, éventuellement, suspendre les droits du parent accusé.

La proposition de loi initiale était-elle satisfaisante à vos yeux ?

La proposition de loi initiale, faite par Maryse Carrère [sénatrice des Hautes-Pyrénées et membre de la commission des affaires sociales] n'était pas tout à fait complète. A titre d’exemple, le but de l'ordonnance de sûreté est de permettre de protéger l'enfant, dès le début de l’enquête et dès les premières révélations. Aujourd’hui, en France, on espère qu’il y aura un parent protecteur en mesure de saisir le juge aux affaires familiales. Mais, même si l’on a un parent protecteur qui réagit vite, il n'y aura jamais de décision avant deux ou trois mois. Pendant toute cette période, l'enfant qui a dénoncé des violences va être obligé de retourner chez le parent violent, le week-end, durant les vacances ou davantage en cas de résidence alternée.

L'idée est d'avoir un mécanisme de protection qui puisse intervenir immédiatement. Nous avons demandé que le juge aux affaires familiales soit saisit obligatoirement par le procureur de la République, dès qu'il reçoit une plainte ou un signalement concernant un enfant victime de violences. Cela ne figurait malheureusement pas dans la proposition de loi, alors que c'est pourtant le seul moyen d'avoir une décision rapide. On ne peut pas compter uniquement sur la présence hypothétique d'un parent protecteur.

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C’était le gros problème du texte initial et nous l'avons indiqué à la commission des lois du Sénat. Mais non seulement il n'a pas complété cette proposition de loi, mais en plus il a écarté la possibilité de créer une ordonnance de sûreté de l'enfant. Le Sénat a complété l'ordonnance actuelle pour les femmes victimes de violences d'un simple alinéa. C'est totalement minimaliste par rapport à ce qui était prévu initialement.

Il a notamment été reproché à ce dispositif sa ressemblance avec les ordonnances issues des lois Chandler et Santiago. C’est une ineptie au niveau juridique. La loi Chandler du 13 juin 2024 n’a apporté aucune protection supplémentaire pour les enfants. Elle a pour objectif de réduire les délais en permettant la délivrance d’une ordonnance de protection immédiate en 24 heures au lieu de six jours. C'est intéressant, mais cela ne s’applique pas aux enfants.

La loi Santiago, du 18 mars 2024, a quant à elle pour objectif de protéger l'enfant en suspendant les droits du parent accusé, à partir du moment où celui-ci est poursuivi devant un tribunal ou mis en examen. Mais le parent n'est mis en examen ou poursuivi devant un tribunal qu’à la fin de l'enquête. Si cette loi est intéressante, elle ne peut protéger l'enfant qu'en bout de chaîne pénale. L'ordonnance de sûreté de l'enfant permettrait de l’aider dès le début de l’enquête pénale.

Qu’en est-il désormais ?

Plusieurs députés se sont intéressés à cette question. notamment Philippe Fait (Ensemble pour la République) qui a préparé une proposition de loi reprenant les préconisations du collectif pour l'enfance. Ce texte doit être transpartisan. Nous espérons que les députés prendront cette problématique beaucoup plus au sérieux que le Sénat.

C’est invraisemblable d'imaginer qu’en 2010 nous avons été capables de créer une ordonnance de protection pour les femmes victimes de violence, et qu’aujourd'hui on ne serait pas capable de créer le même dispositif pour les enfants. Il n’y a aucune explication logique à cela.

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