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Arthur Vuattoux, sociologue : « La justice des mineurs amplifie les inégalités »

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Maître de conférences en sociologie à l’université Sorbonne Paris-Nord et membre de l’institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris), Arthur Vuattoux publie Adolescences sous contrôle (éd. Presses de Sciences Po, 2021).

Crédit photo Sibylla Peron
Symbole d’universalisme républicain, la justice des mineurs reste pourtant une justice de classe où tous les jeunes ne sont pas traités de la même manière. Et où le répressif l’emporte progressivement sur le préventif.

Actualités sociales hebdomadaires : Qui sont les adolescents concernés par la justice ?

Arthur Vuattoux : Environ 180 000 adolescents ont un dossier en assistance éducative ou au pénal. Ce chiffre date de 2018 mais a peu varié au cours des dernières années. Pourtant, alors qu’ils représentent autour de 2,5 % de la population de moins de 19 ans, ils focalisent l’attention des concepteurs des politiques publiques. En témoignent les nombreuses refontes de l’ordonnance de 1945, qui fixe les bases de la justice des mineurs. Leur profil est difficile à définir car le ministère de la Justice ne donne pas d’indications (par exemple, sur la profession des parents). Mais on sait qu’ils viennent massivement des classes populaires, qu’ils ne sont généralement plus scolarisés et que ce sont majoritairement des garçons. En 2018, les filles constituaient 24,1 % des prises en charge par la protection judiciaire de la jeunesse et 39,6 % des prises en charge par l’aide sociale à l’enfance. J’ai suivi plusieurs procès dans deux tribunaux pour enfants, analysé plus de 200 affaires, observé l’institution. Ce qui frappe, c’est le décalage entre un intérêt proclamé pour la prise en charge des jeunes, tour à tour qualifiés de « délinquants » et de « vulnérables », et l’état des moyens réellement mobilisés, sans commune mesure avec leurs besoins éducatifs et sociaux.

 

ASH : Pourquoi votre enquête part-elle d’un questionnement sur le genre ?

A. V. : L’institution judiciaire traite différemment les mineurs, et cela commence par le genre. Une constante historique tend à mettre les déviances des filles du côté de l’intime, du privé, de l’affect. On se dit que ce n’est pas naturel, que cela cache quelque chose d’autre. Il suffit de se pencher sur leurs procès-verbaux pour s’apercevoir que ceux-ci comportent une référence quasi systématique à la sexualité, y compris quand le délit n’engage pas cette dernière. C’est très rare chez les garçons. La psychiatrisation ou la psychologisation, c’est-à-dire le recours aux soins, sont également souvent évoquées pour les adolescentes, alors que, pour les garçons, les déviances sont perçues comme plus habituelles et influencées par des pairs. Comme si un lien existait entre masculinité et violence. Cette forte normativité à l’œuvre masque les situations de fragilité des adolescents dont les profils, les parcours, les actes ne collent pas avec ce qui est communément attendu d’eux. Derrière ces grilles de lecture genrée se dessine, en arrière-plan, un environnement idéologique qui structure et légitime les pratiques des acteurs institutionnels.

ASH : Quels autres facteurs interviennent dans ce contrôle social ?

A. V. : La race, la classe sociale constituent d’autres distinctions. La société a évolué globalement, mais les jeunes confrontés à la justice ne bénéficient clairement pas d’avancées ayant bénéficié à d’autres. On n’est pas toujours face à une institution qui va discriminer activement. Il ne s’agit pas de dire que les juges vont consciemment pénaliser des mineurs parce qu’ils sont issus de milieux défavorisés ou qu’ils sont arabes. Mais il y a une amplification des inégalités existantes. Un jeune qui n’a pas de soutien familial, ou faible, qui a déjà été discriminé face à la police, arrive devant l’institution judiciaire avec une situation défavorable. La justice ne veut pas contrebalancer les inégalités qu’il subit au quotidien, contrairement à ce que l’on pourrait peut-être attendre d’elle. A l’inverse, une jeune fille de cadres supérieurs qui se retrouve au tribunal pour une petite affaire de drogue va connaître une issue de procès plus favorable. Un mineur qui vient au tribunal pour un vol de téléphone portable, la plupart du temps, n’ira pas en prison. En revanche, le même acte chez un mineur non accompagné, qui n’a ni parents ni garanties à fournir, peut conduire à une surpénalisation.

ASH : Vous écrivez qu’il semble y avoir une gêne avec les jeunes handicapés…

A. V. : C’est un sujet peu traité et sur lequel on a peu d’éléments. Un certain nombre de mineurs ayant affaire à la justice sont, par ailleurs, reconnus par l’institution scolaire comme souffrant de difficultés, voire d’un handicap. Cette situation n’est pas prise en compte au tribunal. Les juges voient bien qu’il y a un problème de cet ordre-là, mais il y a une sorte de gêne institutionnelle. On ne convoque pas l’expertise qui, dans beaucoup de cas, pourrait repérer la vulnérabilité. C’est un véritable angle mort du traitement judiciaire des mineurs. Une autre question se pose avec les jeunes filles roumaines. Ce sont les rares cas de filles qui arrivent au tribunal pour des petits délits et écopent de peines d’emprisonnement. Cela m’a d’emblée interpellé, d’autant qu’il y a très peu d’éléments dans leur dossier. Le rapport que les éducateurs font avant qu’elles passent devant le juge est presque toujours vide. Les professionnels m’ont expliqué que l’on ne savait pas trop quoi faire d’elles, qu’il n’y avait pas de travail éducatif possible, ce qui est contraire à l’esprit de la justice des mineurs. En détention, elles sont très isolées, au milieu d’adolescentes qui sont là pour des homicides, des procédures de radicalisation… des infractions beaucoup plus lourdes que les leurs.

ASH : Quelles conclusions en tirez-vous sur la justice des mineurs ?

A. V. : En creux, celle-ci maintient les privilèges de ceux qui vont toujours échapper au contrôle dans ses formes les plus répressives, et sanctionne une petite tranche de la jeunesse qui est précarisée, racialisée. Cela interroge sur son rôle et sur sa volonté de ne pas voir les discriminations. Il n’y a quasiment pas de données chiffrées, il faut aller les chercher, les construire soi-même. Il existe un paravent d’universalisme mais, concrètement, la justice ne s’applique pas à tous de la même manière. Quand on n’objective pas un phénomène en comparant, par exemple, les peines infligées aux jeunes Roumaines par rapport à d’autres, on gomme les différences. Mon enquête questionne aussi sur l’abandon par l’Etat de la prévention spécialisée dans les quartiers et sur le basculement de tous les moyens vers la répression. On a progressivement laissé tomber l’assistance éducative au profit du pénal. Ces choix politiques aboutissent aujourd’hui à des parcours de déviance. Le ministère de la Justice a opté ces dernières années pour le développement de centres éducatifs fermés au détriment de structures plus légères pour des jeunes qui se situent entre l’assistance éducative et le pénal. C’est plus « vendeur », surtout à l’approche des élections présidentielles. Je n’ai pas de doute qu’avec les rixes actuelles (voir l’Editorial, page 3), on annonce bientôt de nouveaux dispositifs qui seront du côté du punitif plutôt que du préventif. Mais les rixes n’émergent pas sans contexte. Simplement, comment repérer suffisamment tôt les difficultés et protéger les mineurs sans moyens ?

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