« Ce qui devrait être garanti aux départements ne l'est pas, malgré un cadre légal existant. Et l’état de la protection de l’enfance en dit long sur comment, en France, nous gérons les pauvretés. » Président de l'Association nationale des maisons d'enfants à caractère social (Anmecs), Alain Vinciarelli est catégorique : la protection de l'enfance est victime de « maltraitance gestionnaire ».
Une appréciation qui fait suite au communiqué publié le 9 février 2025, dans lequel l’Anmecs dénonce la gestion actuelle de la protection de l’enfance, souvent considérée dit-elle comme une « variable d’ajustement des budgets départementaux ».
Une crise « systémique » aggravée
Les constats dressés par la fédération font écho aux récentes mobilisations des travailleurs sociaux. Le 25 septembre dernier, plusieurs centaines de professionnels de la protection de l’enfance ont ainsi manifesté ensemble à Paris pour dénoncer un manque de moyens criant.
Un problème structurel à propos duquel l’Anmecs alerte une fois encore et qui provoque l’impossibilité de répondre aux besoins des 380 000 enfants suivis par l’aide sociale à l’enfance (ASE).
Parmi les causes de cette crise : une pénurie dramatique de professionnels, une explosion des dossiers confiés aux juges des enfants et des foyers en sous-effectif chronique. « Nous constatons une augmentation importante des accueils et l’embolisation de nos dispositifs », souligne l’association, rappelant les difficultés de recrutement de personnels qualifiés et la complexité des situations des enfants accompagnés.
Confrontés à un turn-over énorme, à un métier de moins en moins attractif et mal rémunéré avec un « Ségur de la loterie », les foyers censés accueillir les enfants en danger n’arrivent plus à recruter d’éducateurs. « Les associations habilitées pour exercer des missions de service public paient l’intégralité du Ségur, mais ne sont pas remboursées par les départements. Cette situation crée un déséquilibre pour les structures d'accueil et fragilise les professionnels qui s’essoufflent », déplore Alain Vinciarelli.
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Résultat, l’Anmecs met en garde contre les conséquences du « désinvestissement stratégique et financier » de la politique publique de protection de l’enfance. Selon l’association, les coupes budgétaires entraîneront « une augmentation des souffrances et, à terme, un coût humain et économique bien plus élevé pour la société ». Son président s’inquiète notamment de la transformation des places de placement à domicile en mesures d’assistance éducative en milieu ouvert renforcées avec hébergement, craignant que cette évolution ne soit motivée par des considérations budgétaires plutôt que par le bien-être des enfants. « On remplace ce qui fonctionne sans vraie réflexion. Nous demandons un véritable débat sur les différentes formes de prise en charge, en prenant le temps de réfléchir au lieu de supprimer des dispositifs comme le PEAD qui a fait ses preuves, en donnant toute sa place à la parentalité », réclame-t-il.
Qu'il s'agisse de jeunes majeurs comme de mineurs non accompagnés, Alain Vinciarelli rappelle que l'accompagnement jusqu'à 21 ans est une obligation légale. Mais que la totalité des départements ne l'assurent pas toujours, provocant des sorties sèches. Ainsi, certaines collectivités continuent à « laisser des jeunes à la rue à leur majorité, ce qui constitue une forme de maltraitance. Connaît-on beaucoup de jeunes autonomes dès leurs 18 ans ? Pourtant, cette performance d’autonomie, on la fait peser sur ces jeunes majeurs sans leur donner les moyens de l'atteindre », blâme Alain Vinciarelli.
Des demandes claires pour une réforme en profondeur
Face à l’urgence de la situation, l’Anmecs formule plusieurs revendications :
- La création d’un ministère de l’Enfance de plein exercice, afin d’assurer un pilotage national fort de la politique de protection de l’enfance.
- La publication du décret sur les normes et taux d’encadrement, pour garantir un accompagnement de qualité aux enfants placés.
- Un financement intégral du Segur pour tous les professionnels du secteur, afin de revaloriser les métiers du social et de résorber la crise du recrutement.
- La préservation du placement à domicile et sa clarification légale, qui doit rester une solution viable parmi l’éventail des dispositifs de protection.
- Le renforcement de l’accompagnement des jeunes majeurs et des mineurs isolés pour favoriser leur insertion.
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