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A la Maison des familles, « d’égal à égal » grâce à la crise

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A la Maison des familles de Grenoble, un temps d’activité encadré par les salariés et les bénévoles réunit enfants et parents.

Crédit photo Clémentine Méténier
Durant la crise sanitaire, la Maison des familles de Grenoble a dû s’adapter, réagir, inventer pour ne surtout pas perdre le lien avec les parents et les enfants qu’elle accompagne au jour le jour. Au point de bouleverser ses pratiques. Bilan, à l’heure d’un retour à la vie normale qui ne ressemble déjà plus à l’avant.

« Les enfants, les pa­rents, j’ai besoin de vous ! Je dois réaliser une grande affiche avec tous vos mots pour décrire la Maison des familles ! » Plus d’une vingtaine de paires d’yeux se tournent vers Sandra Longo, stylo en main devant un grand tableau, au milieu des fauteuils et canapés du grand salon. En stage dans le cadre de sa formation d’assistante sociale, la jeune femme profite du temps parents-enfants du mercredi après-midi. « Ensemble », « donner de l’amour », « s’entraider », « deuxième famille », « s’amuser », « confiance » … » Il n’y a pas meilleur exercice pour que s’expriment petits et grands, qui adorent le lieu. Le flot de paroles ininterrompu des enfants entourés de leurs mères est régulé par Thomas Colombel, éducateur de la structure, épaulé par Carole Angleys et Jean-Baptiste Giordanengo, deux bénévoles de longue date. « La chaleur ! Le soleil qui brille dans cette maison », ajoute Hadja in extremis. Comme elle, la plupart des femmes présentes sont des mères en situation d’exil. La Maison des familles s’est présentée à elles comme un lieu de rencontres, un refuge, qu’elles soient seules ou en famille, pour rompre l’isolement. Pas moins de 108 familles ont poussé la porte en 2020. « Je viens ici plusieurs fois par semaine depuis deux ans. J’arrive toujours avant l’ouverture ! », témoigne Mathilde. Qu’elles soient là depuis quelques mois ou plusieurs années, toutes l’attestent, dans leurs joyeux accents de tous horizons : « Ici, c’est notre deuxième maison ! »

Conçue comme un véritable habitat avec jardin, salon, cuisine et salle de jeu, la Maison des familles a été la première structure de ce type à voir le jour, il y a onze ans à Grenoble. Aujourd’hui, 20 maisons se répartissent dans l’Hexagone et en outre-mer. Ce sont des structures associatives, avec pour principaux partenaires la Fondation Apprentis d’Auteuil et le Secours catholique. Le cœur du projet ? L’inconditionnalité de l’accueil des familles en recherche d’aide et de réconfort dans un moment particulièrement difficile de leur parcours. Ainsi que la volonté, dès l’origine, de répondre aux questions liées à la parentalité, un sujet souvent occulté par l’urgence dans les structures sociales existantes. Ici, pour une heure ou une demi-journée, les mères – mais aussi les pères – peuvent échanger, respirer, partager leurs peines et leurs joies de façon informelle ou participer à des ateliers, des jeux, des sorties ou des moments festifs.

Limiter les dégâts

Quand la maison a dû fermer lors du premier confinement, en mars 2020, les pères, les mères et les enfants ont été totalement désorientés. « Tout le monde était en état de choc. On s’est très vite dit que l’équipe (une directrice, un éducateur spécialisé, une médiatrice familiale, une dizaine de bénévoles et les stagiaires) allait devoir être inventive et réactive pour réussir à garder le lien avec les 64 familles qui ont cette maison pour repère au quotidien. » Directrice de la Maison des familles. Babette Michel est à l’origine du lieu et du concept. La réactivité est le moteur de cette femme dynamique que rien n’arrête. Une énergie qu’explique peut-être sa longue expérience dans le médico-social, l’humanitaire et le travail social. « Instantanément, un groupe WhatsApp a été créé et proposé à toutes les familles. Cette mise en réseau a été vitale pour maintenir le lien, rompre l’isolement, expliquer et rassurer, évaluer les urgences, les besoins. Au point que nous nous sommes vite épuisés à répondre à 400 ou 500 messages par jour ! Mais nous nous sommes organisés, grâce à une grande équipe de bénévoles, pour rythmer le temps virtuellement. » A 8 heures, un « bonjour » collectif ; à 10 heures une chanson quotidienne, puis l’annonce du thème du jour, prétexte de jeux et d’animations ; à 18 h 30, une histoire lue en direct… Une conversation ininterrompue tout au long de la journée, ponctuée d’images et de rigolades virtuelles. Mathilde et Sonia sourient encore au souvenir « des défis de grimaces, de gâteaux, de cabanes à câlins » lancés quotidiennement. « J’étais en lien tous les jours via le groupe, on discutait, on riait, on mangeait même ensemble ! Traverser cette période seule avec ma petite fille aurait été très difficile », témoigne Sabiah, une jeune femme tunisienne.

De cette expérience collective unique naîtra un livre, Tu es formidable, le sais-tu ?, espèce d’abécédaire du corona. A la lettre M, on trouve par exemple le « Merci coloré » de Léonard, un père qui vient depuis de longues années à la maison : « Merci. Tu es un rayon de soleil dans mon refuge, dans mes quatre murs qui m’entourent. Tu es l’ange qui vient mettre du bonheur dans mon univers. La Maison des familles, c’est ma rampe. Longue vie. »

Le groupe WhatsApp n’a été que la partie immergée de l’iceberg du premier confinement. Distribution de produits d’hygiène et de nourriture, coups de pouce financiers pour l’achat de forfaits téléphoniques, prêt d’ordinateurs, visites en pied d’immeuble pour apporter coloriages, livres et crayons de couleur… « En temps normal, nous ne faisons pas de dons. Mais, pour la première fois, il nous a fallu gérer l’urgence : nous avons organisé des collectes et vidé la Maison des familles », détaille Babette Michel. Avec une attention particulière portée à la scolarité. « J’ai appris à lire et à écrire à une petite fille qui allait au CP depuis trois mois… par téléphone ! », raconte avec fierté Isabelle Gomes, bénévole depuis deux ans. « Cette crise nous a demandé de sacrées ressources pour garder l’équilibre, très inconfortable, de notre travail social. D’un côté, respecter impérativement les protocoles d’hygiène, très lourds, qui ont pu énormément affecter les personnes vulnérables. De l’autre, être intelligents, réflexifs et créatifs pour aller de l’avant », analyse la directrice. « Lassée et fatiguée », elle admet avec une pointe de fierté avoir réussi collectivement « à limiter les effets délétères du confinement ». Guillaume Soulie, président de la structure, salue « l’agilité des salariés et bénévoles, qui ont su du jour au lendemain sortir de leurs habitudes et diffuser des idées nouvelles ».

Le directeur du pôle « avenir emploi » des Apprentis d’Auteuil, à Villeurbanne (Rhône), qui propose des dispositifs de formation à destination des 18-30 ans éloignés de l’emploi, remarque plus globalement que « cette période a permis de prendre du recul et de mettre en place une forme de veille sociale pour se questionner sur le fond de notre action. Est-ce qu’on touche toujours les bonnes personnes ? Comment aller chercher d’autres familles ? Ce sont les questions que nous devons nous poser, à la Maison des familles. » Requestionner, mais aussi capitaliser ce qui peut l’être de cette expérience. « Avec WhatsApp, nous avons enfin trouvé comment informer et garder le fil avec les familles. Ça va changer nos vies ! », souligne la directrice. Et pour les mères qui, comme Blandine, ne possèdent pas l’application mobile, « les bénévoles passent plus souvent un coup de fil pour prendre des nouvelles ». En effet, désormais, chaque famille est suivie non plus par un seul mais par deux « veilleurs ». « Notre volonté absolue est de rester en lien », confirme la directrice. De fait, si tout l’édifice est fondé sur le collectif, l’accompagnement plus individualisé imposé par les contraintes sanitaires sera maintenu : « Nous avons, par exemple, initié les repas en petits comités ces derniers mois. Certains s’expriment plus facilement qu’en grande tablée », remarque Thomas Colombel. Il pense à cette mère qui n’avait jamais osé parler auparavant de son envie de travailler, aujourd’hui rassurée par le retour d’expérience d’autres convives.

Besoin essentiel

« Pour 120 personnes on va avoir besoin de grosses casseroles ! » Les dix coups de l’imposante église du quartier Saint-Bruno de Grenoble couvrent la voix d’Anne. Autour de la bénévole, cinq femmes s’affairent ; elles ont la matinée pour préparer une énorme soupe qui sera distribuée le lendemain aux bénéficiaires du Secours catholique. Senada, la « chef de cuisine », propose une recette d’Albanie, son pays d’origine. « Cuisiner est un très bon moyen pour apprendre le français ! », s’esclaffe-t-elle devant une montagne de carottes et de pommes de terre. En janvier dernier, Covid oblige, l’accès était toujours restreint à la Maison des familles. Plusieurs mères présentes, désœuvrées, ont exprimé leur envie de se rendre utiles. Comment contribuer à la solidarité locale ? En préparant une soupe, deux fois par mois. « L’idée est née d’une maman qui a proposé de préparer la cuisine pour les familles dans le besoin. Un roulement s’est vite mis en place et nous avons eu envie d’en faire profiter d’autres personnes en difficulté », se souvient Mathilde. Thomas Colombel, qui va et vient, des jouets plein les mains, pour occuper la petite fille de Souad pendant que celle-ci cuisine, confirme : « Au Secours catholique, cette soupe des pays du monde a tellement de succès qu’elle attire les foules ! »

Le jour de la soupe, la Maison des familles prend des allures de « vie d’avant ». Seulement en apparence. Car les pratiques des travailleurs sociaux ont été bouleversées, sur la forme comme sur le fond. Lorsque des mères font remonter à Babette Michel leur désir de se « rendre utiles, c’est pour elle une révélation : « Je le pressentais depuis longtemps, mais pas d’une façon aussi forte, concède-t-elle. Se rendre utile est effectivement un besoin criant pour ceux qui sont étiquetés perpétuellement comme recevant de l’aide. » La directrice va plus loin : « Pour moi, s’il y a un champ qu’il va falloir travailler dès maintenant, c’est ce “nous” qui a été mis en évidence pendant la crise qui nous a tous autant bouleversés les uns que les autres, où les corps et les esprits ont pu être meurtris. Comment ce “nous” va-t-il être un levier pour l’avenir de notre travail social ? »

L’utilité sociale, une quête partagée

De trente ans son cadet, Thomas Colombel, tout juste diplômé, est arrivé dans la structure il y a six mois : « A la Maison des familles, j’ai l’impression que l’on vit dans un autre monde du travail social car il y apparaît une proximité remarquable avec l’autre. Quand je suis arrivé, je pensais que l’éducateur était le détenteur du savoir. Or j’ai rapidement appris que, au contraire, mon travail ici consistait à créer les conditions pour que les parents expriment leurs propres compétences. » En toute humilité, il reconnaît que ce sont justement les parents qui lui apprennent son métier : « Ils sont très ouverts pour discuter des représentations qu’ils ont des travailleurs sociaux. Ils souhaitent les voir évoluer dans leurs postures, leurs pratiques. Ils disent, par exemple : « J’ai peur qu’on place mes enfants », « je ne sais pas comment parler », « je n’ose pas m’asseoir » … » Actuellement en formation, Emmie Alefsen est arrivée en stage il y a un an, en plein confinement. Elle estime être sortie grandie de cette expérience, « impressionnée dès le départ par cette posture de toujours prendre l’autre en considération »

A la lettre R de l’abécédaire du corona, Marc Vaubon, éducateur de la Maison resté en poste pendant dix ans, écrit : « Les retours des parents, ça donne la patate et ça aide aussi à avancer. Je suis hyper-impressionné par leur force et par l’attention qu’ils ont envers nous. On était encore plus d’égal à égal dans cette situation. »

 

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