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A la commission ASE, la prostitution des mineurs au cœur des débats

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L'association Nos Ados oubliés exhorte l'ensemble de la chaine de protection de l'enfance à mieux prévenir et accompagner les conduites prostitutionnelles (de gauche à droite, Sarah Benmrah, vice-présidente, et Jennifer Pailhé, présidente de l'association).  

Crédit photo Capture d'écran du site de l'Assemblée nationale
La commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance auditionnait, le 15 janvier 2025, l’association Nos ados oubliés. Un témoin privilégié des difficultés des institutions à agir face à cette problématique.

C’est un parcours personnel qui a donné naissance, en 2021, à l’association toulousaine Nos ados oubliés (NAO). Celui d’une mère, Jennifer Pailhé, et de sa fille – appelons-là Caroline – victime pendant deux ans de l’emprise d’un « lover boy », alors qu’elle relevait de l’aide sociale à l’enfance (ASE). « Au moment des faits, témoigne la maman, je n’ai pas trouvé de ressources, ni auprès du département, ni auprès des autres institutions. »

Si la commission d’enquête a voulu l’entendre, c’est parce que son parcours éclaire la manière dont les acteurs de l’enfance parviennent ou non à protéger les mineurs de ces phénomènes de prostitution. Un terme dans lequel les victimes elles-mêmes ne se reconnaissent pas toujours, préférant y voir des phénomènes d’escorting ou de michetonnage.

>>> A lire aussi : Comment repérer les situations de prostitution chez les mineurs (1/2)

C’est le cas de Caroline, qu’il a fallu convaincre d’être une victime. Elle l’est pourtant à double titre. D'abord parce qu'elle a vécu les violences d’un grand-père paternel incestueux, à l’origine de ses carences affectives et d’un syndrome abandonnique – à ce titre, elle a bénéficié d’une mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO). Puis parce qu'elle a subi celles d’un garçon, rencontré en colonie de vacances, qui allait devenir son petit ami et son proxénète.

L’inertie pour seule réponse

« Pendant deux ans, je n’ai eu de cesse que d’alerter les services de l’ASE, explique Jennifer Pailhé, devenue présidente de l’association qu’elle a cofondée. Je m’appuyais sur cette AEMO pour faire constater l’inceste et ses conséquences : elle dormait en jean, ne se lavait plus. Mais la référente ASE ne la croyait pas. “Si elle se scarifiait, si elle était capable de se faire du mal, c’est qu’elle était capable de mentir”, me disait-on. Moi, j’étais une jeune maman, seule. J’avais très peu de ressources. »

>>> Sur le même sujet : Comment réagir face aux conduites prostitutionnelles de mineurs (2/2)

Au commissariat, lorsqu’elle déclare la fugue de sa fille, on lui répond : « Elle n’est pas partie parce qu’elle est en danger mais parce qu’elle le veut bien. » Puis, après plusieurs fugues : « On vous l’a rendue, il fallait la garder. » Et lorsqu’elle déclare une disparition inquiétante, sa demande reste classée comme une déclaration de fugue: « J’écris au juge des enfants, aux services de l’ASE et à sa référente. Et je n’ai pour seule réponse que de l’inertie. »

Le travail d’enquête, Jennifer Pailhé le mène elle-même. En surfant sur les sites d’escorting, elle finit par retrouver sa fille, la ramène à la maison. « En tant que maman, représentante légale, j’ai beau présenter des captures d’écran [aux autorités], rien ne se passe. » Ce n’est qu’après avoir vu une dizaine d’enquêteurs différents, après que le dossier a passé de brigade en brigade, de territoire en territoire au gré de l’errance de la jeune fille, qu’il aboutira, in fine, à l’ouverture d’un procès et à la condamnation de l’auteur.

Les foyers, « viviers à prostitution »

« Même si, aujourd’hui, on peut s’appuyer sur les intervenantes sociales de France victimes en commissariat, même si des enquêteurs sont mieux formés, toutes les familles que j’accompagne vivent cette [difficulté à être entendues] », explique la présidente de Nos ados oubliés.

Son association, qui peine à obtenir des financements publics, intervient à Toulouse et Marseille pour apporter un soutien psychologique, juridique et socio-professionnel aux victimes et surtout à leurs parents. « On essaie d’orienter les familles vers des enquêteurs plus spécialisés pour que les mamans ne se sentent pas stigmatisées, qu’elles bénéficient d’une écoute par des enquêteurs formés. »

La grande majorité des mineurs en situation de prostitution ont connu des violences sexuelles. Comme Caroline, beaucoup relève aussi de l’aide sociale à l’enfance. « Les parents, souvent, ont eu le réflexe de demander un soutien », précise Jennifer Pailhé. Sauf que les foyers, poursuit-elle, loin de pouvoir pallier les difficultés des parents, sont aussi « des viviers à prostitution ».

>>> A lire aussi : Prostitution des mineurs : un compte Snapchat pour maintenir le contact (1/4)

Jennifer Pailhé ne blâme pas les éducateurs : « Tous ont cette envie d’accompagner les jeunes, mais ils manquent de moyens et de solutions. Ils n’ont pas la possibilité de retenir un ado qui fugue. » D’autant plus que, dans certains foyers, ce sont des veilleurs de nuit et non des éducateurs qui assurent une présence nocturne. Et que le délai avant que la police ou la gendarmerie intervienne est trop long, poursuit-elle.

Former l’ensemble de la chaîne

Soulignant les inégalités territoriales, la vice-présidente de l’association Sarah Benmrah estime que la protection de l’enfance ne devrait plus relever de la compétence départementale. En 2021, le plan national de lutte contre la prostitution des mineurs préconisait des mesures d’éloignement géographique des jeunes filles. « On a essayé de mettre en place ce type de mesures dans le Tarn, mais comme personne ne veut financer le département voisin, cela n’a pas abouti », explique la responsable.

>>> A lire aussi : Prostitution des mineurs : la force du réseau marseillais (4/4)

Pour elle, tout reste à faire. « Le travail sur les violences intrafamiliales commence à porter ses fruits dans les commissariats. Le même travail devrait être fait sur la question de la prostitution des mineurs. Il faut sensibiliser de manière plus large sur les phénomènes d’emprise. Replacer dans leur contexte les situations de ces enfants qui passent 20 fois au commissariat sans se considérer victimes, arrivent à la barre du tribunal en se disant consentantes », poursuit Sarah Benmrah.

Plus que les services de l’aide sociale à l’enfance, c’est toute la chaîne de la protection de l’enfance qui doit s’emparer de cette problématique, estime l’association Nos Ados oubliés : « Il faut former les jeunes à se protéger, les policiers et les magistrats à accompagner correctement et à entendre les victimes, même dans ce qu’elles ne disent pas. »

Protection de l'enfance

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