Il existe tout un chantier des politiques de la jeunesse à ouvrir, estime la Cour des comptes dans son rapport public annuel thématique consacré, cette année, à la situation des 15-25 ans. Si les magistrats de la rue Cambon ont décidé de border leur intervention sur cette tranche d’âge, c’est « parce qu’il n’existe aucune définition précise de la jeunesse, mais aussi parce qu’elle est située entre l’âge de sortie du collège et celle de l’éligibilité au revenu de solidarité active », expliquait le premier président de la Cour, Pierre Moscovici, à l’occasion de la présentation du rapport à la presse.
40 ans de politiques jeunesse...
En revanche, le coût pour la collectivité publique des politiques de jeunesse est bien défini : 53,4 milliards d'euros, soit 12 % du budget de l’Etat et 2 % du produit intérieur brut (PIB). Un budget au sein duquel les politiques d’éducation se taillent la part du lion (40 milliards), suivies – de loin – par celles liées à l’apprentissage, notamment depuis son développement avec la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018 et par celles liées à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Des politiques coûteuses, donc, pour une tranche d’âge qui représente 9 millions d’individus, soit 13,2 % de la population française, mais pour laquelle il n’existe aucun chef d’orchestre à ce stade. « Depuis 1980, la jeunesse est placée au cœur des politiques publiques. Il n’y a pas un gouvernement ces 40 dernières années qui n’ait eu sa politique en faveur des jeunes », rappelait Pierre Moscovici. Problème : si ces politiques – longtemps axées autour de leur insertion dans l’emploi – n’ont pas manqué, leur coordination, elle, est loin d’être à la hauteur.
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Et les instances existantes ne sont aujourd’hui pas suffisamment capées pour prétendre le faire. Le comité interministériel de la jeunesse ? « Il s’est réuni trois fois en 42 ans », affirme le président de la Cour. La Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) ? « Une toute petite structure. » Les régions, censées piloter les politiques jeunesse à l’échelle des territoires ? « Leur rôle est insuffisamment défini. »
L’obligation de formation des 16-18 ans à réviser
Parmi les 16 thématiques en faveur de la jeunesse identifiées dans le rapport, celle sur l’obligation de formation des 16-18 ans, introduite par la loi du 26 juillet 2019 « pour une école de la confiance ». Censée prévenir le décrochage et les risques pour une fraction des jeunes de tomber dans la précarité, alors que 5,7 % d’entre eux étaient inactifs et 5,8 % au chômage en sortie d’étude, elle présente encore des lacunes à corriger, affirme la Cour.
Aujourd’hui, sur les 150 000 jeunes recensés par les missions locales comme susceptibles de relever du dispositif, seuls 42 % se sont effectivement vu proposer un projet en 2023 et surtout, 77 % ne connaissent pas, ou mal, le dispositif. La faute, à en croire le rapport, à une communication gouvernementale insuffisante, un système d’information interministériel « inopérant », ainsi qu'une obligation qui demeure essentiellement morale et dépourvue de toute sanction pour les administrations et collectivités défaillantes. Le document pointe également le rôle insuffisamment développé des départements comme têtes de réseau de l’opération dans les territoires et des dispositifs, relevant pour l’essentiel du droit commun, lesquels présentent des inégalités en matière d’accès selon les territoires. Particulièrement dans les zones rurales et les quartiers prioritaires.
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Des manquements que les magistrats proposent de rectifier par :
- le lancement d’une nouvelle campagne de communication en direction de ces jeunes,
- la mise en place d’indicateurs permettant d’identifier les parcours débouchant sur les mieux adaptés à l’inclusion,
- la généralisation des cartes régionales des solutions afin d’identifier les territoires où elles se déploient le moins, afin d’en étudier les causes et de corriger le tir.
Jeunes majeurs de l’ASE : un taux de prise en charge inégal
Autre dispositif à l’efficacité remise en question : la prise en charge des jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Sur les 397 000 jeunes faisant l’objet de mesures de protection, près de 31 900 ont dépassé les 18 ans. Or, si la Cour reconnaît une amélioration de leur suivi par les services départementaux - depuis la loi « Taquet » de 2022 qui a instauré un droit opposable à la prise en charge des jeunes majeurs - cette disposition est encore largement ignorée des départements pourtant au coeur de cette politique.
En conséquence de quoi, le nombre de places proposées reste très en deçà des besoins, poussant les collectivités à refuser du monde ou, à l’inverse, à proposer des solutions alternatives beaucoup plus coûteuses, creusant leur déficit de trésorerie. Résultat : « En fonction des départements, le taux de prise en charge varie entre 38 et 83 % », calcule Pierre Moscovici. Quant aux dispositifs d’insertion qui devraient permettre à ces jeunes d’être accompagnés durant leur parcours vers l’emploi ou le logement, ils sont tout aussi loin d’être au rendez-vous.
En vertu de ces constats, la Cour des comptes préconise, là encore, un toilettage de la politique relative aux jeunes majeurs. Avec, en premier lieu, la fixation d’objectifs en termes de capacité de prise en charge associée aux financements publics nécessaires pour les assumer. Elle recommande également d'instaurer des relations plus étroites entre collectivités départementales et missions locales afin d’assurer un meilleur accès aux dispositifs d’insertion sociale et professionnelle, ainsi qu’avec les agences régionales de santé (ARS) et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) pour leur suivi en matière sanitaire.
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Un pilote dans l'avion ?
Dans leur rapport de 357 pages, les magistrats ne manquent pas de pointer toutes les défaillances des politiques en faveur de la jeunesse. Ils recommandent:
- de meilleurs dispositifs de lutte contre les addictions à l’alcool ou aux drogues,
- de meilleurs dispositifs d’orientation scolaire et de prévention du décrochage,
- le développement des maisons de l’adolescent (structures qui accompagnent les jeunes en mal-être),
- de meilleures relations entre cette génération et la justice pénale.
En posant toutefois comme préalable la définition d’une stratégie nationale pour la jeunesse. Et à condition de désigner un pilote dans l’avion.
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