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« Le dysfonctionnement d’une Mecs est comparable à celui d’une famille en difficulté »

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Maximilien Bachelart est le fondateur de l'institut du Comment, docteur en psychologie, chercheur et superviseur d'équipes dans le secteur de la protection de l'enfance

Crédit photo DR
Selon le psychothérapeute Maximilien Bachelart, les défaillances des équipes éducatives de la protection de l’enfance reproduisent celles des familles suivies. Grâce aux supervisions systémiques qu’il organise, l’expert replace l’enfant au cœur du dispositif.

Actualités sociales hebdomadaires - Au sein de vos supervisions, vous prônez une démarche pratique plutôt que théorique. Pour quelle raison ?

Maximilien Bachelart : Donner un cours théorique à grands renforts de PowerPoint me paraît inadapté au secteur social en général et à la protection de l’enfance en particulier. Mon approche n’est pas une analyse objective de pratiques, car on n’est jamais objectif, on raconte et voit les histoires en fonction de nos dispositions. Mon objectif est de travailler sur des situations concrètes. Pendant longtemps, on a enseigné aux travailleurs sociaux qu’il fallait savoir garder la « juste distance » en mettant de côté leurs émotions pour rester « neutres ». Mais un bon professionnel doit aussi être en contact avec ses sensations : les métiers qu’il exerce sont des métiers qui se ressentent. Par ailleurs, dans un milieu professionnel, il y a ce qu’on se raconte et il y a ce qu’on fait, la pensée et les actes. Les travailleurs sociaux ont l’impression qu’ils font tout pour sécuriser l’enfant, mais, malgré leur bonne volonté, ce n’est pas forcément le cas. La mise en situation à travers le théâtre nous montre à voir les actions que l’on mène au-delà du récit que l’on en fait. Les sessions théâtrales que j’anime consistent à faire rejouer à l’équipe des situations. C’est l’expérimentation qui nous fait comprendre et progresser. Changer pour avoir une posture favorable à celle de l’accompagné ne peut pas se faire de manière rationnelle, mais plutôt à travers la relation, l’expérience humaine et l’émotion.

Vous adoptez aussi une approche globale…

J’organise des sessions séparées pour les dirigeants et les salariés. Mais ma spécificité consiste aussi à les faire régulièrement travailler ensemble, en intégrant par exemple le chef de service dans la supervision des équipes éducatives. D’abord, parce qu’une équipe ne peut pas changer de cap sans la présence de son pilote. Ensuite, parce que ce dernier peut potentiellement avoir des informations utiles à la transformation de l’organisation. Enfin, parce que la supervision n’est pas le lieu de plaintes contre sa hiérarchie. Une modification efficace des pratiques implique de travailler en confiance. Comment pourra-t-on avancer si on a peur de parler devant son chef de service ? Quand un malaise existe dans les relations hiérarchiques, il faut en parler. D’ailleurs, tous les points de blocage doivent être abordés.

Pourquoi une organisation efficace est-elle indispensable en Mecs ?

Quand on travaille dans une entreprise classique, l’enjeu n’est pas le même. En protection de l’enfance, les tâches concernent l’humain, la finalité est l’enfant. On est en prise directe avec lui. Par rapport à d’autres métiers, les problèmes ont une conséquence majeure : l’enjeu du bon fonctionnement est que les besoins de l’enfant soient pris en compte. L’une des erreurs les plus courantes commises par les professionnels réside dans le fait de croire qu’il faut mettre les difficultés de fonctionnement de côté, parce qu’on n’est pas là pour s’occuper de soi mais des enfants placés. A l’image de ces parents en plein divorce que je reçois en consultation et qui m’annoncent avec soulagement que tout va bien, puisque leurs enfants ne sont au courant de rien. Mais la majeure partie du temps, les enfants savent. Les relations interpersonnelles ont un impact direct sur eux. En Mecs, les jeunes repèrent immédia­tement les problèmes au sein de l’équipe éducative. Etant donné leur situation, ils sont bien plus en alerte que d’autres sur ces questions relationnelles.

Vos interventions mettent l’accent sur le management. Pourquoi ?

Du chef de service angoissé par le groupe, qui passe son temps en réunion ou à remplir des papiers plutôt que dans son service et ne connaît pas le code pour entrer dans l’établissement, à l’ancien éducateur qui n’arrive pas à déléguer et s’occupe de réparer la grille d’entrée, j’ai pu observer chez les dirigeants des Mecs des glissements de rôle multiples. Comme dans toute organisation, le leader doit trouver sa juste place et définir qui fait quoi. Le manager doit s’assurer de l’organisation du travail, de sa bonne marche, des règles explicites ou implicites. Mais aussi d’entretenir les liens avec les juges, les collectivités locales, les organismes médico-sociaux, de transmettre les informations, de rappeler les échéances à venir. Il doit accompagner les équipes, particulièrement dans une Mecs, puisqu’elles tournent. C’est le chef du paquebot, qui est chargé d’anticiper, de donner une direction et de regarder la ligne d’horizon. Quand le manager ne répond pas aux demandes, prévoit une chose puis son contraire, décide du planning au dernier moment, quand on assiste à des conflits parce qu’il n’a pas pu trancher, que les tâches professionnelles qui incombent à chacun sont floues, chaque intervenant se noie dans les procédures sans voir la finalité de ce qu’il fait, perd du temps, se charge du travail des autres, tandis que certaines tâches ne sont effectuées par personne, sans qu’on s’en rende compte. Le dirigeant qui ne dirige pas ou qui, au contraire, veut absolument montrer son autorité en réorganisant tout, sans prendre le temps de comprendre pourquoi il est arrivé, ni faire participer les salariés à son diagnostic, bafoue l’histoire. Il crée des résistances et insécurise les membres de l’équipe. Comme partout, si les cadres ne cadrent pas, les équipes paniquent. Comment pourrait-on sécuriser un enfant si on n’est pas soi-même sécurisé ? La dynamique d’organisation d’un service en Mecs qui dysfonctionne est comparable à celle d’une famille en difficulté.

En quoi une équipe désorganisée reproduit-elle les dysfonctionnements familiaux ?

A l’image de certains parents, certains managers n’osent pas imposer, agissent par besoin d’être aimés plus que pour apporter un cadre, sont absents du quotidien ou sur la défensive et agressifs. Les éducateurs rejouent eux aussi les rôles familiaux. En Mecs, l’un des profils courants est celui de la mère nourricière, sacrificielle. Autrement dit, un professionnel guidé par un sentiment maternel, qui fait des heures supplémentaires, que ce soit pour compenser un collègue défaillant, en protéger un autre, ou cacher les manquements d’un directeur. En surtravaillant, il frôle le burn-out en permanence, ou ressent une colère contre ses collègues. Autre profil récurrent, celui que j’appelle le « gardien du temple ». Il s’agit d’un éducateur de longue date, rigide, incapable de faire évoluer ses habitudes. Il n’a pas envie de mettre en place ni de participer à une pensée collective, d’uniformiser les pratiques éducatives, ne fait pas ce qui est décidé collectivement. Il perpétue une tradition, résiste au changement comme un père résisterait à une organisation où il ne trouverait pas sa place. Comme dans les familles, il y a ceux qui se font avoir, ceux qui font le double des autres, ceux qui font à la place des enfants et ceux qui sont désinvestis.

De quelle façon les intervenants en viennent-ils à faire peser sur les enfants ce dont ils doivent justement les protéger ?

Quand on se dispute, que l’on prend parti pour un membre de l’équipe, qu’on évite le conflit par peur, on reproduit les mécanismes de la violence familiale. Quand on force les salariés à garder des secrets pour protéger d’autres salariés, quand on a peur du manager ou qu’on inverse les rôles, on reproduit les mécanismes de l’inceste. Les enfants n’écoutent pas ce qu’on leur dit, ils apprennent par mimétisme, ils s’imprègnent du fonctionnement des adultes autour d’eux. Si on encourage la bientraitance dans le discours mais que les salariés sont maltraités par l’organisation, sont en souffrance au travail, on renforce les problématiques de l’enfant que l’on voudrait combattre. L’équipe est prise dans des contraintes interpersonnelles face à des jeunes pris dans les contraintes de la protection de l’enfance. Dès lors, on ne répond pas aux besoins fondamentaux de l’enfant. Les conditions d’attachement, de sécurité, de fiabilité indispensables à son bien-être ne sont pas remplies.

Vous expliquez aussi qu’en raison de ces dérives, les enfants ne sont plus au cœur du dispositif…

Plus on est accaparé par les problèmes de management et les désaccords qu’ils entraînent, moins on s’occupe des enfants placés. On se défocalise du point de vue de l’enfant. A force de désorganisation, de mauvaise répartition des rôles, on ne visualise plus ou on n’anticipe plus qui fait quoi pour ces enfants, et on s’en occupe mal. L’enfant devient un objet de travail, voire une opportunité au regard d’une situation conflictuelle. Et on rate l’essentiel. Empêtré dans les contingences quotidiennes, on n’a plus la capacité de prendre du recul. Or un éducateur doit se mettre en situation d’imaginer ce qui n’est pas dit, sinon les enfants ne révèlent rien. J’ai assisté à une situation où une équipe de Mecs s’occupait d’un enfant aux problématiques multiples : en surpoids, incontinent, qui ne se lavaitpas. L’équipe avait mis en place un rituel de propreté, organisé des séances de sport, prévu des rendez-vous chez un nutritionniste. Mais personne n’avait pris le temps de réfléchir à la cause possible des symptômes. En fait, l’enfant avait été victime d’abus sexuels. A partir du moment où les professionnels ont été dans la bonne disposition pour l’entendre, l’enfant s’est confié, comme par magie. Ce n’est que lorsque l’organisation est bien rodée, que chacun est à sa place, qu’on trouve le temps de replacer l’enfant au centre. Un autre exemple saisissant est celui de cette Mecs dans laquelle plusieurs jeunes se scarifiaient et fuguaient. L’équipe m’a présenté la situation comme une contamination. Il s’avère que les éducateurs s’étaient transformés en taxis qui conduisaient les enfants d’un lieu médicalisé à un autre. Et n’avaient plus le temps de s’occuper de la maison : le pêle-mêle exposait les photos d’enfants partis depuis des années, le sapin de Noël était toujours là en mai et des cartons traînaient dans les couloirs ; on ne fêtait plus les arrivées, les départs, les anniversaires. Croyant bien faire, l’équipe renforçait en fait le problème qu’elle croyait combattre. J’ai proposé d’arrêter de courir et de réinvestir l’endroit, pour que les jeunes retrouvent une atmosphère de confort et de sécurité, qu’ils aient à nouveau envie de vivre dans cet endroit. En deux mois, les fugues et les scarifications ont progressivement cessé. Quand on manque de vision, on est obsédé par les symptômes et on ne s’occupe plus de la situation dans son entièreté.

Cette réflexion systémique suppose aussi d’améliorer la collaboration entre les différents intervenants. Est-ce le cas actuellement ?

En protection de l’enfance, chaque acteur a tendance à prendre une direction différente en étant persuadé de suivre la bonne voie. J’ai supervisé une Mecs qui s’occupait d’un enfant d’une famille qui en comptait huit, répartis dans six établissements différents, où chacun rejouait de son côté la situation de la famille. Personne ne s’était concerté. Par exemple, en fonction des intervenants, leur mère était vue comme une personne émouvante et fragile ou, au contraire, agressive et incontrôlable. Dans ce type de cas, la question n’est pas de savoir qui a raison, car personne n’a raison : chaque professionnel assiste à un morceau de la réalité. Il faut synchroniser les visions de chacun pour comprendre ce que les personnes suivies viennent rejouer devant les différents travailleurs sociaux. Au lieu de se mettre dans une posture d’opposition ou de concurrence, les différents acteurs doivent travailler ensemble et envisager le problème dans sa globalité. C’est le seul moyen de prendre du recul sur ce qui se passe. Lorsque de multiples intervenants autour d’une même situation pratiquent une simple cohabitation, cela ne donne rien. Si on n’appelle ses partenaires que lorsque la crise est là, c’est trop tard.

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