« La protection de l’enfance est confrontée à une double dynamique qui fragilise la capacité collective des départements et de leurs partenaires à répondre aux besoins des enfants protégés.
En premier lieu, une accélération des évolutions législatives, règlementaires et institutionnelles (comme la loi du 14 mars 2016, la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, la loi du 7 février 2022…) qui, dans leur majorité, posent de nouvelles obligations pour les départements (priorité de l’accueil chez un membre de la famille ou tiers digne de confiance, accueil des fratries, fin des placements hôteliers…) et ouvrent de nouveaux droits pour les enfants et jeunes protégés (tels l’entretien systématique par le juge des enfants, le droit à l’accompagnement et “le droit au retour” de 18 à 21 ans, l’accompagnement à l’accès aux origines…), alors que cette même stratégie nationale s’inscrit dans une logique de contractualisation financière entre l’Etat et les départements.
En second lieu, une saturation de l’offre de protection de l’enfance au regard des besoins (tant sur le placement que sur le milieu ouvert) dont les effets sont bien identifiés : des difficultés à mettre en œuvre les mesures dans un délai raisonnable, une approche des parcours dans une logique de flux au détriment d’une réponse individualisée répondant aux besoins fondamentaux de l’enfant, l’influence des offres existantes et disponibles dans l’analyse des besoins des enfants… Ces tensions sur l’offre et les symptômes associés ont des répercussions fortes sur les conditions de travail des professionnels, générant une difficulté à recruter, et donc à encadrer et protéger les enfants confiés.
Cette crise globale de la protection de l’enfance est complexe à appréhender, dans la mesure où les explications sont à la fois multiples et systémiques, et que leur imbrication crée des tensions spécifiques dans chacun des départements français. Elle peut engendrer un sentiment d’impuissance (“on ne maîtrise pas la demande”), de course en avant (“il faut créer des places”) ou des approches velléitaires sans véritable portée opérationnelle (“il faut renforcer la prévention”). A notre sens – et sans, bien entendu, minorer l’ampleur du chantier auquel sont confrontés les acteurs, dans un contexte de tension des moyens et de complexification des besoins –, le principal enjeu est celui de la priorisation des actions à mener, particulièrement en termes de sécurisation de l’accueil et des parcours des enfants confiés.
Par « sécurisation », nous entendons :
- la mise en œuvre sans délai des mesures de protection ;
- la garantie de conditions matérielles d’accueil adaptées aux besoins et aux attentes des enfants et des adolescents ;
- un niveau d’encadrement conforme aux besoins et à l’intérêt de l’enfant, impliquant de mobiliser des professionnels en nombre suffisant, mais également, formés, soutenus, reconnus et sécurisés dans l’exercice de leurs missions.
Freins et préconisations
Ces obligations minimales, on le sait, ne sont pas toujours respectées – au-delà des différents documentaires à charge qui ont mis en exergue des phénomènes de maltraitance en institution –, du fait de facteurs multiples et croisés : une embolie des services qui provoque des retards croissants dans la mise en œuvre des mesures ; un parc immobilier vieillissant marqué par des fragilités structurelles et inadapté aux besoins actuels des enfants et jeunes accueillis ; une crise d’attractivité sans précédent qui touche durement les métiers de la protection de l’enfance, avec des pénuries de personnels qualifiés qui ne permettent plus d’assurer les missions d’accompagnement et de protection dans le respect des exigences de qualité et de sécurité.
Dans ce contexte et afin de répondre à ces enjeux, il nous apparaît prioritaire, dans chaque département :
- de cartographier les risques en matière de prise en charge en établissement et service en déployant une méthode d’analyse mêlant remontées quantitatives – analyse de l’activité, délais d’exécution des mesures et délais de séjour, suivi des événements indésirables… – et qualitatives, comme la consultation des usagers, des professionnels et des partenaires ;
- de concevoir un cadre d’analyse de la qualité de prise en charge et de fonctionnement des établissements et services de l’aide sociale à l’enfance qui fasse référence et qui, au-delà du respect des obligations réglementaires, mette l’accent sur “ce qui compte” pour la collectivité ;
- de déployer des “plans de contrôle” des établissements et services – que les conseils départementaux ont l’obligation d’élaborer depuis 2020 – dont le pilotage devra être nourri par la cartographie des risques et qui doit garantir la mise en œuvre d’un référentiel d’analyse dédié ;
- de veiller à ce que les contrôles d’établissements et de services prévoient le recueil et la prise en compte de la parole des enfants sur leurs conditions d’accueil (qualité des espaces individuels et collectifs, respect de la vie privée et de l’intimité…), de prise en charge (qualité et personnalisation de l’accompagnement, suivi de la scolarité, accès aux loisirs, à la culture), jusqu’au suivi de leur santé et la prise en compte de leurs besoins, en abordant également les problématiques de maltraitance et de violence, qu’elle soit verbale ou physique, ponctuelle ou récurrente. Cette mobilisation des jeunes doit s’appuyer sur une méthodologie sécurisante pour eux, leur garantissant une pleine expression, quels que soient leur âge ou leur parcours(1) ;
- d’intégrer les services d’accueil familial dans ces démarches de contrôle de la qualité d’accueil et de prise en charge, dans la mesure où nombre d’enfants, en particulier dans les territoires à dominante rurale, sont placés en famille d’accueil alors même qu’elles sont, la plupart du temps, exclues des vagues de contrôles à ce jour ;
- de placer au cœur de la réflexion les enjeux de recrutement et d’accompagnement des professionnels, au travers d’une stratégie ambitieuse et opérationnelle d’attractivité des métiers de la protection de l’enfance, dans un contexte où nombre de départements et d’associations ne parviennent plus à recruter suffisamment de professionnels qualifiés pour sécuriser l’accueil des enfants.
Ces différentes actions ne seront évidemment pas suffisantes pour remédier à l’ensemble des difficultés rencontrées par les départements, les professionnels et les opérateurs. Elles constituent néanmoins un préalable à l’engagement d’une logique vertueuse(2), articulée autour des missions fondamentales de la protection de l’enfance et visant à garantir la sécurité et la qualité de la prise en charge des enfants protégés. »
(1) L’enjeu est notamment de pouvoir interroger, au travers de questionnaires ou groupes de parole spécifiques, des enfants accueillis (et non pas seulement des jeunes proches de la majorité).
(2) Qui impliquera au premier chef le secteur habilité, dans le cadre, notamment, du « dialogue de gestion » avec les départements, des approches « coût/qualité » et des stratégies de transformation de l’offre.
Pour aller plus loin :