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Expertises pédopsychiatriques : l'importance de la concertation

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Selon les signataires de la tribune, la présence de la famille est indispensable lors de toute expertise pédopsychiatrique

Crédit photo B. BOISSONNET / BSIP / BSIP via AFP
TRIBUNE - Ils sont référent social, responsable de foyer, psychologue, juge des enfants… Tous interviennent auprès des plus jeunes, et défendent ici l’importance de la collaboration avec les familles et les services dans la pratique de l’expertise(1).

« En France, l’expert est celui du juge, dont la décision reste libre et indépendante : juge des enfants en assistance éducative, juge d’instruction, juge de l’application des peines ou procureur au pénal. Au-delà de sa réponse apportée à la juridiction (manifestation de la vérité), l’expertise est un levier précieux directement pour l’enfant, ses parents et l’équipe éducative : non seulement elle permet de proposer d’éventuels diagnostics ou d’évaluer la responsabilité pénale, mais elle met la dynamique familiale dans une perspective historique et narrative. L’engagement et l’adhésion des différents partenaires, dont les avocats, sont essentiels pour soutenir les ressources de parents soucieux de changements. L’expertise n’est pas un temps de soin(2). Néanmoins, en psychiatrie, le temps du diagnostic comporte “indirectement” une dimension thérapeutique(3).

L’enfant ou le parent est parfois rencontré seul (déchéance d’autorité parentale, perturbation de l’enfant par les visites), mais la participation habituelle des parents et des référents AEMO [action éducative en milieu ouvert], MJIE [mesure judiciaire d’investigation éducative], ASE [aide sociale à l’enfance] ou PJJ [protection judiciaire de la jeunesse] permet de renseigner au mieux la juridiction sur l’état de santé d’un enfant, d’un parent, sur la dynamique psychique de la famille et son évolution. Les points de vue apportés sont complémentaires, mais les inquiétudes des équipes sont parfois exagérées et l’expert reste indépendant. Les responsabilités de chacun sont mises en avant ; des axes d’intervention sont définis pour que la situation ne représente plus un danger (code civil, art. 375).

L’assistance éducative peut concerner des troubles psychiatriques graves (schizophrénie, troubles du comportement alimentaire ou de la personnalité, addictions, suspicions de syndrome de Münchhausen par procuration) ou des antécédents judiciaires d’un parent (atteintes sexuelles, violences). L’aliénation parentale, souvent mise en avant, a une faible validité scientifique. Le concept précieux de perversion narcissique(4) est galvaudé. Le repérage d’une dynamique familiale pathologique est facilité par la description et le vécu du professionnel.

L’expertise favorise le lien des parents avec leur histoire. L’intervention du tiers expert permet au travailleur social d’avoir un autre regard, d’ajuster sa posture sur la situation connue parfois depuis des années. Les violences conjugales sont fréquentes (grossesses, séparations), mais souvent tues.

Présence parentale indispensable

L’expertise précise les enjeux des soins et leurs limites. Un diagnostic précoce peut stigmatiser, mais il valide souvent des inquiétudes parentales, parfois fondées sur des antécédents familiaux. Les symptômes psychotiques sont explicités avec pédagogie : hallucinations, automatismes mentaux et moteur, catatonie, etc. Certains symptômes sont annonciateurs d’une crise, d’une décompensation et de violences. Une attention particulière est portée sur les cauchemars de suicide ou de violences. Une instabilité avec manque d’attention à l’école peut appeler plus qu’une prescription d’amphétamines. Un diagnostic d’autisme soulève des inquiétudes, mais valide les préoccupations précoces des parents qui ont pu être malencontreusement banalisées. L’expertise rappelle les origines plurielles des troubles et rassure des parents culpabilisés d’en être à l’origine. Ce diagnostic est parfois écarté au profit d’un retard isolé du développement, d’une dépression de l’enfant (retrait interactif, attachement insécure), de séquelles de carences et d’exposition à des violences. Les besoins propres de l’enfant relèvent des domaines thérapeutique, éducatif et pédagogique.

La présence des parents est indispensable pour évaluer le lien avec l’enfant et en souligner les aspects constructifs, les compétences sur lesquelles s’appuyer. Certaines relations s’organisent selon un axe essentiellement narcissique, autocentré, plutôt qu’objectal, respectant l’intérêt premier d’autrui. Des projections intensément pathologiques circulent parfois au sein de la famille. Certains référents peuvent en être les réceptacles involontaires et en souffrir : vécu d’inutilité, dépression. Démasquer les circulations psychiques pathologiques en présence permet de restituer à chacun la part d’élaboration psychique qu’il doit lui-même fournir(5).

Les situations dangereuses – par exemple, quand l’enfant est pris dans le délire du parent (« C’est le fils du diable ! ») – sont à distinguer de celles où un parent gravement malade peut s’occuper convenablement de son enfant en milieu ouvert avec une aide intensive.

Lors de troubles bipolaires de l’humeur (accès maniaques, dépressions récurrentes), les parents et les équipes doivent apprendre à repérer les signes précurseurs d’une moindre disponibilité affective pour l’enfant, surtout en bas âge, car il peut souffrir de lâchages interactifs, même brefs, répétés. Les oscillations de l’humeur du parent peuvent être ravageuses.

Certains aspects pathogènes de la relation parent-enfant proviennent parfois des difficultés narcissiques de construction de l’enfant lui-même. Le parent s’est précocement suradapté à son enfant fragile aux exigences relationnelles importantes. Il convient alors de soutenir les progrès et l’émancipation de chacun.

Des recommandations peuvent être émises sur l’importance de renforcer les liens dans la fratrie, parfois seulement après que chaque enfant a construit des bases narcissiques suffisantes pour supporter la force de projections pathologiques soutenues. Chaque enfant doit trouver du sens dans son histoire familiale et son fonctionnement (affiliation).

Les difficultés propres de l’enfant sont à distinguer de facteurs environnementaux au sens large. La prise en charge varie entre soins pour l’enfant et ses parents, soutien des compétences parentales ou exigence d’un éloignement par rapport à une ambiance pathogène sans compréhension de la part de la famille ni perspective d’évolution rapide.

Évaluer la conscience du mineur

La justice pénale des mineurs évolue depuis l’ordonnance de 1945. La présomption d’irresponsabilité des mineurs de 13 ans (CJPM, art. 11-1) peut être renversée par tout moyen, mais, au regard des enjeux (déclaration de culpabilité), une expertise psychiatrique est souvent sollicitée pour évaluer la conscience qu’avait le mineur d’enfreindre la loi, question indépendante des troubles psychiques ou neuropsychiques ayant pu ensuite altérer, voire abolir, ce discernement. L’implication des éducateurs et psychologues de la PJJ est essentielle, que le jeune soit incarcéré, l’ait été ou le soit bientôt. Sans participer au travail d’enquête, l’analyse des éducateurs est complétée, du sens est proposé à certaines conduites délictuelles (trouble grave de la personnalité, psychose débutante, séquelles de carences, sentiment de toute-puissance…). Les passages à l’acte peuvent être un moyen de sortir d’un fonctionnement familial aliénant ou, au contraire, une manière de se soumettre à des supports identificatoires défaillants. Le parcours de vie de l’adolescent mis en cause ou en examen est essentiel. L’éclairage biographique, la mise en exergue de ses traits de personnalité, les relations établies entre son histoire et le passage à l’acte, l’appréhension de son positionnement sur les faits en lien avec cette histoire de vie sont fondamentaux pour permettre aux magistrats de prononcer la mesure présentencielle et/ou post-sentencielle la plus adaptée et de permettre ensuite aux éducateurs d’intervenir au plus proche des besoins du mineur, y compris en l’accompagnant dans un parcours de soins. Certains troubles précoces ne doivent pas être banalisés (sadisme envers les animaux, incendies, violences sur ascendants ou d’autres enfants, dégradations inhabituelles, consommations de toxiques à visée anxiolytique…). Les atteintes sexuelles, les infractions intrafamiliales se retrouvent parfois sur plusieurs générations. La froideur affective et le manque d’empathie sont préoccupants. Les ressources de l’adolescent doivent être sollicitées. Il ne s’agit pas d’être prédictif d’une délinquance future, mais de mettre en place un dispositif de soins adaptés à cet adolescent-là. Certaines prescriptions peuvent être suggérées. L’irresponsabilité pénale et la nécessité de soins urgents – tels que des soins psychiatriques sur décision d’un représentant de l’Etat (SPDRE) – sont parfois constatées. Le traitement pénal des actes posés est essentiel quand le discernement n’a pas été aboli, alors même que l’adolescent présente des troubles qui justifient des soins inscrits dans la durée. »

Les signataires : 

Sébastien Bourre, responsable foyer UEHC PJJ ; Laure Chambaudet, psychologue ; Virginie Cmiel-Monnier, juge des enfants, vice-présidente, TJ de Valenciennes ; Jean-Louis Goeb, psychiatre, expert agréé par la Cour de cassation et la Cour pénale internationale ; Florence Gomet, référente sociale, département du Nord ; Sandrine Lambin, conseillère technique « parcours des mineurs », direction territoriale du Nord ; Pauline Lequien, substitut du procureur, TJ de Valenciennes.

Notes

(2) « Place de l’expert en pédopsychiatrie », E. Martin et S. Nezelof – EMC Psychiatrie, 2022. Et décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires.

(3) Décret du 10 janvier 1992 déterminant règles et barèmes pour la classification et l’évaluation des troubles psychiques de guerre.

(4) Le génie des origines. Psychanalyses et psychoses, P.-C. Racamier – Ed. Payot, 1992.

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